http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
1er de janvier de 2023 Twitter Faceboock

Brésil
Gouvernement Lula : vers un nouveau « présidentialisme de coalition » ?
Leandro Lanfredi

Lula a achevé jeudi la nomination de son gouvernement, articulant des ministres influents parmi les mouvements sociaux, en particulier noirs et indigènes, mais aussi une grande part de politiciens de la droite traditionnelle, d’oligarques, ainsi que de membres de partis alliés à Bolsonaro. Ce jeu d’alliance annonce-t-il un retour du « présidentialisme de coalition » au Brésil ?

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Gouvernement-Lula-vers-un-nouveau-presidentialisme-de-coalition

Traduction : Jyhane Kedaz

Luis Inácio Lula da Silva s’apprête à assumer la présidence du Brésil pour la troisième fois ce dimanche 1er janvier. Jeudi 29 décembre, il a présenté les 37 ministres de son gouvernement. Parmi les élus, des figures influentes des mouvements noirs et indigènes, mais aussi une grande part de politiciens de la droite traditionnelle, des supporters du coup d’État institutionnel contre Dilma Roussef, jusqu’à des membres de partis ayant soutenu Bolsonaro à l’image du ministre de la Défense José Múcio Monteiro, affilié au Parti Travailliste Brésilien d’extrême-droite. Certains partis n’ayant même pas appelé à soutenir l’alliance Lula-Alckmin se sont vus attribuer des ministères. Quelques remarques à la veille de l’investiture de Lula, sur ce que ces nominations disent du futur gouvernement et de la crise du régime brésilien issu de la Constitution de 1988.

Quelques faits tout d’abord sur les nominations : une part importante des postes – mais pas des ressources – a été attribuée aux partis ayant soutenu l’alliance de Lula avec Geraldo Alckmin dès le premier tour (à savoir le Parti des Travailleurs, le Parti Communiste du Brésil, le Parti Socialiste Brésilien, ainsi que la coalition du Parti Socialisme et Liberté et des écologistes PSOL-REDE). Dans cette liste, on retrouve des néolibéraux purs et durs comme Geraldo Alckmin, l’ancien vice-gouverneur de São Paulo Márcio França, ou encore Marina Silva. Lula a également réservé un ministère au parti centriste de Ciro Gómes, qui avait appelé à le soutenir au second tour. Parmi les partis ayant soutenu Lula dès le premier tour, l’un des seuls à s’être retrouvé sans poste ministériel est « Solidarité », lié à l’organisation « Força Sindical », qui aurait pu générer des rivalités avec la CUT, plus grande confédération syndicale, contrôlée par le PT.

Au moins une dizaine de ministères sont aux mains de la droite traditionnelle, dont certains très influents aussi bien politiquement qu’en termes de capacité d’allouer des ressources, permettant de construire un soutien politique au Congrès, mais aussi dans les élections. Une droite traditionnelle qui avait déjà fait partie du gouvernement de coalition autour de Michel Temer, après le coup d’État institutionnel contre Dilma Roussef, mais aussi du gouvernement de Jair Bolsonaro. Certains de ces partis n’ont même pas soutenu la candidature Lula-Alckmin, pas même au second tour. Symptôme de cet opportunisme, certains ministères ont été confiés au PSD, qui a oscillé entre un soutien à des candidats bolsonaristes au niveau local et à Lula au niveau fédéral.

Il faut également souligner la curieuse situation autour d’União Brasil, une coalition libérale de droite qui réunit un parti traditionnel du centre-droit brésilien et celui qui a porté Bolsonaro aux élections de 2018. Bien que Lula ait accordé trois ministères à cette formation, son chef, Luciano Bivar, a déclaré qu’elle ne soutiendrait pas le nouveau gouvernement au Congrès et s’est déclarée « indépendante ». Cette situation est liée à une pression interne, car l’União Brasil possède une forte aile pro-Bolsonaro qui critique la participation au gouvernement, et veut d’autre part faire jouer le rapport de force dans les éventuelles négociations parlementaires avec le nouveau gouvernement.

Le plus parlant est que parmi cette dizaine de ministères aux mains de la droite traditionnelle, la plupart n’ont même pas participé à la campagne de Lula-Alckmin. C’est le cas des futurs ministres de la Défense, de l’Énergie, l’Agriculture, des Communications, ou bien de la Planification et des Transports. À l’inverse, les formations plus à gauche qui ont participé à la campagne de Lula, comme le PSOL et la REDE, se sont vus attribuer des ministères avec moins de poids.
Le fait que Lula nomme dans de nombreux ministères des membres de partis qui ne l’ont même pas soutenu invite les travailleurs qui espèrent une amélioration de leurs conditions de vie sous son mandat à réfléchir : le gouvernement Lula-Alckmin sera au contraire davantage conditionné par ses alliances à droite, bien plus que par la seule coalition électorale avec le candidat Geraldo Alckmin.

Cette répartition des postes diffère partiellement de celle d’autres coalitions gouvernementales, où une répartition proportionnelle aux accords électoraux précédents ou basée sur des démonstrations de loyauté dans les votes parlementaires avait tendance à prévaloir. Alors que des postes sont attribués aux forces politiques qui l’ont soutenu au premier ou au second tour ou qui se sont engagées à le soutenir au Congrès, ce qui est nouveau cette fois, c’est que des postes ont été attribués à des personnalités qui ne l’ont soutenu dans aucune instance électorale, dans le but de rechercher des accords ou une cooptation de ces personnalités et partis.

C’est-à-dire que dans cette formation gouvernementale, il y a une nouveauté par rapport au « vieux » présidentialisme de coalition, que nous avons vues précédemment, par exemple dans les gouvernements de Fernando Henrique Cardoso, Lula ou Dilma. De nouvelles caractéristiques sont plus communes aux formations gouvernementales parlementaires. Parmi les 37 ministres, on compte sept sénateurs élus, dont deux fils de sénateurs et d’oligarques traditionnels : Renan Calheiros et Helder Barbalho. En plus de ces sept sénateurs élus, la composition ministérielle montre également l’influence d’autres sénateurs qui ont réussi à nommer des proches collaborateurs à des portefeuilles clés.

Grâce à ces accords, le nouveau gouvernement pourrait disposer d’une majorité au Sénat. À la Chambre des députés, le jeu est plus complexe. Que va tenter de faire Lula  ? Cherchera-t-il à former une majorité parlementaire en donnant plus d’importance à ce qu’on appelle le « centrão », désormais dirigé par le duo União Brasil – PSD, afin de supplanter la coalition bolsonariste précédente formée par le PP et les Républicains  ? Ou peut-il parier sur une combinaison d’accords avec des secteurs du Centrão et d’accords mineurs avec des congressistes spécifiques qui lui permettent d’atteindre une majorité en échange de mécanismes du type « budget secret » – un mécanisme créé sous le gouvernement de Bolsonaro qui permet la distribution secrète de fonds aux députés et sénateurs pour réaliser des travaux et autres dépenses dans leurs régions, en échange d’un soutien parlementaire ?
En outre, cette coalition gouvernementale très large est appuyée par l’indice boursier brésilien (Bovespa), la principale chambre patronale (FIESP) et des grands médias comme Globo. Mais dans le même temps, cela devrait être un signal d’alarme important pour les travailleurs, indiquant qu’il y aura une pression des capitalistes encore plus importante sur le gouvernement.

Il est également important de voir qu’au contraire du gouvernement Bolsonaro, qui avait donné à son exécutif des caractéristiques plus bonapartistes, en s’appuyant sur l’opération Lava Jato et les forces militaires pour rallier le soutien du « centrão », il y a maintenant une tentative du nouveau gouvernement de Lula de maintenir en vie le régime de 1988 et ses partis en renforçant les « coalitions ».

Chaque gouvernement de coalition présente un aspect initial de bonapartisme, selon les définitions de Gramsci. Ainsi, au lieu de la dégradation ouverte et accélérée de ce qui reste du régime politique de 1988, comme Bolsonaro avait l’intention de le faire, nous assistons peut-être maintenant à la dégradation au ralenti offerte par la conciliation de classe du nouveau gouvernement. Cette politique de conciliation de classe, si pratiquée par le PT dans ses gouvernements précédents, aura de nouveaux défis à relever, non seulement du point de vue des conditions internationales plus défavorables qu’en 2003, mais aussi en interne, au vu de la capacité électorale et de mobilisation de l’extrême-droite, qui a acquis une force institutionnelle dans les gouvernements régionaux et au parlement. Mais aussi, car cette nouvelle coalition parlementaire et ministérielle complexe peut amener son lot d’instabilité.
Dans ce cadre, il apparaît d’autant plus que la lutte contre l’extrême droite, la lutte pour les intérêts des travailleurs, comme l’abrogation de toutes les réformes anti-populaires et anti-ouvrières menées par Temer et Bolsonaro, nécessitera l’indépendance des travailleurs vis-à-vis du nouveau gouvernement et de sa conciliation avec les partis et figures capitalistes et putschistes.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com