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2 de septembre de 2022 Twitter Faceboock

Analyse internationale
Chili. Vers un nouveau pacte « d’unité nationale » après le référendum sur la constitution
Fabián Puelma

Au Chili, les négociations avancent de façon frénétique afin d’assurer la paix sociale quel que soit le résultat du référendum constitutionnel de dimanche. Les partis du gouvernement et de l’opposition, les médias et les grandes entreprises, entendent tous bâtir un nouveau pacte d’unité nationale.

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Nous relayons cet édito de Fabian Puelma, militant révolutionnaire chilien du Parti des Travailleurs Révolutionnaires, paru le 1er septembre sur La Izquierda Diario Chili.

Ce dimanche aura lieu au Chili un référendum sur la nouvelle constitution, pour décider de l’approbation ou non du texte qui a été discuté par la Convention constitutionnelle depuis un an et demi. Ces dernières semaines, deux phénomènes contradictoires ont émergé : une polarisation sociale et politique et, en parallèle, la recherche d’une modération de la situation et d’accords par en haut.

D’un côté, des scandales politiques et médiatiques qui visent à infléchir le résultat du référendum, tels que l’arrestation du leader mapuche Héctor Llaitul, le renvoi de la ministre du développement social Jeanette Vegal pour avoir dit qu’il y avait des prisonniers politiques mapuche, le scandale suscité par un spectacle lors de la cérémonie de clôture de la campagne Apruebo [pour le vote en faveur de la constitution] à Valparaíso, les cyclistes renversés par des partisans du Rechazo [favorables au rejet de la constitution], ou encore la scène de bagarre en plein Congrès entre différents députés. Autant d’éléments qui reflètent la polarisation politique et sociale.

Dans le même temps, les partis, les médias et les groupes d’affaires poussent à la modération et tentent de sceller des accords. Comme le rapporte le journal El Mercurio : « A La Moneda [siège de la Présidence du Chili, les derniers événements ont suscité l’inquiétude que des affrontements aient lieu dimanche. Une des conséquences en termes de communication est que la Moneda a appelé à la modération, et ce quel que soit le résultat. »

Pourtant, ce n’est pas simplement un changement de communication. Il s’agit d’une définition stratégique sur la façon de faire face à la situation post-référendum. Le gouvernement du Frente Amplio, du Parti communiste et de l’ex-Concertación est ainsi à la tête d’une « politique d’accords » fondée sur trois piliers : parvenir à un consensus avec la droite sur les modifications à apporter à la nouvelle Constitution en cas de victoire du « oui » ou appeler à un nouveau processus constitutionnel encore plus limité et antidémocratique en cas de victoire du « non » ; rechercher une « normalisation » de l’économie basée sur des mesures d’austérité sur le terrain fiscal, monétaire et de la consommation ; enfin, recomposer l’autorité de l’État en approfondissant les mesures bonapartistes telles que la militarisation du sud du pays et la criminalisation des « extrêmes ».

Le résultat de dimanche sera la base sur laquelle se mènera cette politique de recherche d’un consensus. Le vote « oui » et le vote « non » sont deux voies alternatives vers le même objectif de restauration d’une gouvernabilité capitaliste après la rébellion populaire de 2019 et la crise économique post-pandémie. Il n’est donc pas surprenant que les termes et conditions d’un nouveau « pacte d’unité nationale » soient déjà sur la table.

Les acteurs et le contenu du nouveau pacte social

Il est ainsi symptomatique que Julius Baer, un cadre supérieur de la banque d’investissement suisse, ait résumé le dilemme politique chilien de la façon suivante : « Quoi qu’il arrive, l’important est de noter que, dans le camp du « oui » comme dans le camp du « non », la grande majorité des gens est convaincue qu’il faut modifier la Constitution existante ou en créer une nouvelle. Les deux camps considèrent nous devons rechercher qu’il faut aller vers plus de consensus au centre. » Et il n’est pas surprenant que Gabriel Boric ait répété ad nauseam qu’« il n’y aura ni gagnants ni perdants. »

Il ne s’agit pas seulement d’une déclaration de bonnes intentions. Les négociations entre les partis du gouvernement et la droite se poursuivent de manière frénétique afin de parvenir à un consensus sur un plan d’action post-référendum. Eric Aedo, le chef des députés de la Démocratie chrétienne, a assuré qu’en cas de victoire du « non », le consensus pourra se former de plusieurs manières : le président Boric doit être l’acteur principal de l’accord, un nouveau référendum est inutile et il doit y avoir une nouvelle convention constitutionnelle, mais celle-ci doit être beaucoup plus limitée et expéditive.

L’esprit général est de vouloir restreindre le nombre de sièges réservés aux peuples autochtones (on parle de le fixer sur la base du nombre de votants et non de personnes inscrites sur la liste électorale) ou d’interdire les listes indépendantes pour favoriser l’élection d’« experts » (l’une des propositions sur la table est d’avoir des listes fermées par les partis). Selon les rumeurs, les discussions pourraient également ne pas se dérouler seulement au Congrès, le gouvernement pourrait y participer et il y aurait des dispositions pour faciliter l’obtention d’un accord.

Toutes les puissances réelles du pays font ainsi pression pour un large accord, car en définitive toutes veulent prendre part à un nouveau « pacte d’unité nationale ».

Du côté de la grande bourgeoisie, Bernardo Larraín Matte, l’ancien président de la fédération patronale SOFOFA, a déclaré : « il y a de nombreuses raisons de ne pas se reposer sur l’espoir que la politique, à elle seule, tracera une nouvelle voie et nous y conduira avec succès. Ces dernières années, la politique du gouvernement n’a eu de cesse d’échouer à conclure les accords nécessaires pour faire face aux secousses de l’explosion sociale, les inégalités sociales approfondies par la pandémie, la croissance économique léthargique (désormais touchée par l’inflation), la confiance dans les institutions qui ne progresse pas, tandis que l’insécurité continue de frapper la population. Pour le bien de notre pays, espérons que le 5 septembre [le lendemain du plébiscite] des leaders émergeront au sein du parti au pouvoir et de l’opposition capables de donner un sens au concept éculé de nouveau pacte social. »

Malgré un ton plus « humble », c’est sur la même ligne que se situe l’homme d’affaires et consultant Eugenio Tironi : « Quel que soit le résultat de dimanche, déclarait Mario Marcel il y a quelques jours, le processus constituant ne va pas s’arrêter et de larges accords seront nécessaires pour le mener à bien. Ceux d’entre nous qui faisaient partie de la Concertación ont pu mettre leur expérience au service de ce défi (...) et continuer à se respecter mutuellement malgré le fait qu’aujourd’hui nous occupons des positions différentes. »

Cap au centre contre les extrêmes, pendant que la classe ouvrière paie les coûts de la crise

Derrière ce climat tendu de polarisation politique et de scandales, un nouveau pacte d’unité nationale est donc en train de se forger, allant du réformisme du Parti communiste, du progressisme petit-bourgeois du Frente Amplio, des représentants de la bourgeoisie progressiste du Parti socialiste et de l’ancienne Concertación, à la droite de Chile Vamos, jusqu’aux grands groupes économiques nationaux et internationaux.

Mais ce nouveau consensus repose sur deux paris fondamentaux. D’une part, l’idée qu’il faut faire retomber les conséquences de la crise économique sur la classe ouvrière et les secteurs populaires. Pour l’instant, le gouvernement ne s’attaque pas directement au mouvement de masse. Boric parie plutôt sur une redistribution timide des richesses, comme on l’a vu dans son discours à la SONAMI où il a demandé aux grandes compagnies minières de distribuer une partie de leurs bénéfices. Mais dans un contexte de crise économique, d’inflation galopante et de récession imminente, les réformes ont un caractère palliatif. Elles ne sont pas en mesure d’enrayer la perte des salaires, la montée de la pauvreté, le développement des bidonvilles, la stagnation de l’emploi et la précarisation du travail.

Le deuxième pari est de réprimer et de criminaliser durement ceux qui contestent le nouveau pacte de gouvernement. Ce n’est pas une coïncidence si, au moment même où Michelle Bachelet parlait de la nouvelle Constitution comme d’une ligne de départ qui nécessitera des ajustements et des améliorations, la Police d’investigation (PDI) exhibait comme un trophée l’arrestation d’Ernesto Llaitul, fils du leader historique mapuche du Comité de coordination Arauco-Malleco (CAM). Les derniers jours de la campagne sont ainsi symptomatiques du climat général.

L’opération de la campagne pour le « oui » (dans laquelle tous les partis agissent avec une unité d’action zélée, qui va de l’ex-Concertation aux Mouvements nationaux constituants et au regroupement dirigé par le maire de Valparaiso Jorge Sharp) consiste à accepter les différentes revendications de la droite sous couvert de battre le « non » dans les urnes. Leur accorder ce qu’il demande, « quoi qu’il en coûte pour ne pas voir les fachos triompher ». Cependant, lorsque le gouvernement de Gabriel Boric fait le sale boulot que le gouvernement de Piñera n’a pas réussi à faire, c’est aussi la droite qui est à la fête.

C’est pourquoi il est indispensable de se battre pour une alternative politique indépendante, portée par les travailleurs et les secteurs populaires. Une alternative qui, non seulement sera une opposition de gauche au gouvernement de Boric, mais qui démasquera la nouvelle fraude historique qui est en train de se mettre en place avec la nouvelle Constitution. Une alternative qui promeut un programme pour faire payer la crise aux capitalistes en reprenant le chemin de la mobilisation et de la lutte dans les rues.

 
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