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La Izquierda Diario
28 de mai de 2022 Twitter Faceboock

Une catastrophe en vue
Guerre en Ukraine, sécurité alimentaire globale et méthodes de gangster
Philippe Alcoy

La réactionnaire invasion de l’Ukraine par la Russie et les réponses de puissances impérialistes sont en train de préparer une catastrophe alimentaire planétaire, qui sera payée avant tout par les pays les plus pauvres.

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En termes de potentielles conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine, l’un des secteurs que l’on doit suivre attentivement est celui de la production agricole. En effet, aussi bien la Russie que l’Ukraine sont des producteurs de premier ordre au niveau international. Aussi, la guerre est en train de toucher de plein fouet ce secteur et on estime qu’autour de 20 millions de tonnes de graines sont bloquées en Ukraine.

De fait, la force navale russe bloque depuis le début de la guerre les ports ukrainiens et a réussi à les couper du monde. Cependant, nous sommes récemment entrés dans une situation très délicate où le temps presse, car les infrastructures de stockage doivent être libérées afin de faire de la place pour la récolte de cette année. Il y a donc un risque réel de perdre des millions de tonnes d’aliments, ce qui mettrait en péril la sécurité alimentaire des populations de plusieurs régions du monde. Ce chantage de « gangster » est une arme que le pouvoir russe n’hésite plus à utiliser dans sa guerre réactionnaire.

La Russie et l’Ukraine sont responsables pour près d’un tiers de la production agricole mondiale. Avant l’invasion russe, l’Ukraine exportait 4,5 millions de tonnes de produits agricoles, soit 15% de la production mondiale de maïs, 12% de la production de blé et 50% de l’huile de tournesol. On estime que le prix du maïs a grimpé de 28% depuis le début de la guerre et celui du blé, qui avait augmenté de 53% depuis le début de l’année, a connu une hausse supplémentaire de 6% le 16 mai dernier, après que l’Inde ait annoncé une suspension d’exportations suite à des conditions climatiques défavorables.

Cependant, cette augmentation des prix, conséquence de l’invasion russe, ne fait en réalité qu’accentuer et accélérer une dynamique de hausse des prix des produits agricoles qui avait lieu depuis le début de l’année. Comme on pouvait le lire dans un article de Foreign Policy début mars : « avant même le début de la guerre, les marchés mondiaux étaient déjà mis à rude épreuve par la pandémie en cours et les sécheresses régionales, qui compriment la production et alimentent l’inflation dans le monde entier. Au cours des premiers mois de la pandémie, les prix du blé ont bondi de 80 %, selon le Fonds monétaire international. Les prix à terme du blé ont atteint 10,59 dollars le boisseau (…), soit le prix le plus élevé depuis 2008 ».

Cette situation est aujourd’hui exacerbée par la politique russe de bloquer les ports ukrainiens, empêchant que sa production puisse être écoulée dans les marchés mondiaux. Ainsi, des millions de tonnes de graines et produits agricoles ukrainiens sont aujourd’hui bloquées et la capacité de stockage du pays saturée. Mais le problème le plus important c’est que dans quelques semaines devrait commencer la période de récolte et si les infrastructures de stockage et les ports ne sont pas libérées, la production se perdra mettant en danger des millions de personnes à travers le monde.

Les dirigeants d’institutions internationales et des gouvernements sont conscients des risques que cela pourrait poser en termes humanitaires mais aussi économiques et socio-politiques. « António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a prévenu le 18 mai que les mois à venir menacent "le spectre d’une pénurie alimentaire mondiale" qui pourrait durer des années. Le coût élevé des aliments de base a déjà fait augmenter de 440 millions le nombre de personnes qui ne sont pas sûres de manger à leur faim, pour le porter à 1,6 milliards. Près de 250 millions de personnes sont au bord de la famine. Si, comme cela est probable, la guerre se prolonge et que les approvisionnements en provenance de Russie et d’Ukraine sont limités, des centaines de millions de personnes supplémentaires pourraient tomber dans la pauvreté. Les troubles politiques s’étendront, les enfants souffriront de retards de croissance et les gens mourront de faim », peut-on lire dans un article récent dans The Economist.

Ce blocage criminel des ports ukrainiens est sans doute l’une des seules « prouesses » dont l’armée russe peut se vanter au cours sa réactionnaire mais non moins désastreuse invasion en Ukraine. Logiquement, maintenant, Poutine est en train d’utiliser son avantage sur ce terrain pour obtenir des concessions de la part des puissances occidentales. Le gouvernement russe a ainsi déjà fait savoir qu’il pourrait accéder à la demande de l’ouverture d’un « corridor humanitaire » et du déblocage des ports ukrainiens en échange d’un assouplissement de certaines sanctions.

Tout cela fait l’objet de marchandages obscènes. Comme on peut le lire dans le Wall Street Journal : « l’idée que la Russie ouvre les ports de la mer Noire en échange d’exemptions de sanctions a déjà été lancée par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, qui a suggéré que les embargos sur les exportations d’engrais de Moscou et de la Biélorussie pourraient être levés (...) Si elle est adoptée, la proposition des Nations unies de réduire les sanctions sur les engrais russes et biélorusses pourrait contribuer à atténuer la crise actuelle des prix alimentaires. Les sanctions contre les engrais tels que la potasse, dont la Russie et le Belarus sont respectivement les deuxième et troisième fournisseurs mondiaux, ont contribué à faire grimper leurs prix. Les agriculteurs ont donc répercuté le coût de ces engrais ou en ont utilisé moins, ce qui a réduit le rendement des cultures en période de pénurie ».

Cependant, ces négociations se heurtent à l’opposition de certains gouvernements occidentaux qui préfèrent songer à des alternatives comme de faire escorter les cargos par des navires de l’OTAN, notamment ceux de la Turquie qui ont un droit illimité de naviguer dans les eaux de la mer Noire. Cela impliquerait cependant que l’Ukraine enlève les mines qu’elle a parsemé autour de ses ports pour éviter une attaque russe, mais aussi d’éviter les mines que les forces russes elles-mêmes ont posé à proximité des eaux ukrainiennes. D’autres responsables des Etats membres de l’OTAN craignent des accrochages avec la force navale russe, ce qui pourrait avoir des conséquences encore plus néfastes. Ce sont en somme les mêmes réserves que vis-à-vis de l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne demandé par Kiev au début du conflit.

Justement les autorités de Kiev semblent tenir leur position « dure » face à la Russie, y compris sur ce terrain. Ainsi, son ministre des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a déclaré que face à ce « super problème » il y avait une solution militaire : « vaincre la Russie » ; puis il a insisté sur l’envoi d’armes lourdes pour l’armée ukrainienne : « Si nous recevons encore plus de soutien militaire, nous serons en mesure de les repousser (...) de vaincre la flotte de la mer Noire et de débloquer le passage des navires ». Cela révèle aussi la difficulté à trouver des routes et des moyens de transport alternatifs pour les exportations agricoles. En effet, le transport ferroviaire vers d’autres ports de l’UE est compliqué par le fait que l’écartement des rails ukrainien est différent de celui des voies ferrées européennes. Le transport par les routes apparaît comme une alternative, mais très limitée par le manque de camions disponibles, de postes de douanes, par les délais supplémentaires (qui font augmenter encore plus les coûts), entre autres. A tout cela il faut ajouter le fait que, selon les autorités ukrainiennes et l’OTAN, la Russie a concentré ses attaques ces dernières semaines sur des infrastructures ferroviaires, ponts, hangars de silos.

On voit le caractère totalement réactionnaire du régime de Poutine qui utilise de véritables « méthodes de gangster » pour obtenir des gains en « jouant » avec la nourriture de millions de personnes à travers la planète. Mais tout cela ne peut pas nous faire oublier que, malgré les discours hypocrites d’aujourd’hui, la politique réactionnaire des sanctions contre la Russie mise en place par les puissances impérialistes a exactement la même logique : faire du chantage avec les besoins des populations. Inévitablement, le prolongement de la guerre amène à des situations néfastes comme celle qui se déroule actuellement.

Et les conséquences peuvent être très graves pour des centaines de millions de personnes non seulement dans les prochains mois mais pour les prochaines années. En effet, la sécurité alimentaire pour les travailleurs et les secteurs populaires des Etats les plus pauvres se trouve déjà sous pression des conséquences de la pandémie et du réchauffement climatique, dont les entreprises impérialistes sont les principaux responsables. La guerre en Ukraine et ses conséquences accentuent ce drame, qui en fin de comptes est le résultat direct du fonctionnement normal du système capitaliste.

Comme nous le disons depuis le début de la guerre, si à côté des camps réactionnaires en dispute dans cette guerre il n’y a pas le surgissement d’une alternative indépendante, de classe, guidée par les intérêts des travailleurs et des secteurs populaires, ces impasses rétrogrades ne feront que se répéter et s’approfondir menaçant le monde entier de tomber dans un gouffre de barbarie et de souffrance.

Pour faire face à la menace qui pèse sur des centaines de millions, voire plus, de personnes dans le monde, le mouvement ouvrier doit se battre pour mettre fin à l’agression russe, sans faire aucune confiance à l’OTAN et à Zelensky, mais aussi revendiquer l’expropriation des grands propriétaires terriens en Ukraine et en Russie, ainsi que de l’agrobusiness et de tous les spéculateurs sur la faim des peuples afin de mettre le secteur sous contrôle des travailleurs et planifier la production en fonction des besoins alimentaires mondiaux.

 
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