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La Izquierda Diario
13 de mai de 2022 Twitter Faceboock

Guerres, crises et révolution
Que dit la crise au Sri Lanka sur les conséquences de la pandémie et de la guerre en Ukraine ?
Philippe Alcoy

Dans les hautes sphères, on craint que les conséquences économiques de la guerre en Ukraine produisent des soulèvements populaires. A ce titre, la crise au Sri Lanka est une combinaison de plusieurs facteurs et pourrait se répéter dans plusieurs pays. Une opportunité pour la classe ouvrière internationale ?

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Depuis plusieurs semaines la situation économique et sociale est devenue très tendue au Sri Lanka, mais ces derniers jours elle a pris une tournure nouvelle avec des actions radicales de la part de la population, des affrontements qui ont fait plusieurs morts et blessés et une grève générale massive. La population exige le départ du président, Gotabhaya Rajapaksa. Sous la pression de la mobilisation ouvrière et populaire le premier ministre, Mahinda Rajapaksa (frère du président), ainsi que plusieurs ministres ont dû démissionner. Pour tenter de calmer la colère populaire, le président a nommé un nouveau premier ministre issu de l’opposition, Ranil Wickremesinghe, qui a déjà occupé ce poste… cinq fois depuis 1993 !

Mais rien ne peut garantir que cette manœuvre marche. La crise économique est très profonde dans le pays et touche profondément les travailleurs et les secteurs populaires. L’inflation explose et des produits de base sont en rupture de stock. Cette grave situation ne naît pas de rien. Elle est le résultat d’une combinaison de facteurs externes et internes.

La pandémie de COVID-19 a en effet durement frappé le pays limitant fortement ses exportations, le tourisme (qui représente 5% du PIB du Sri Lanka) ainsi que les envois d’argent depuis l’étranger. Cela a fait exploser la dette du pays et s’effondrer les réserves en devises fortes. Une série de décisions internes pour faire face à cette situation ont approfondi la crise : pour éviter d’utiliser les devises le gouvernement a interdit l’achat de fertilisants pensant pouvoir pousser au développement d’une agriculture bio. Le résultat a été une chute de la production agricole qui a considérablement aggravé la crise alimentaire actuelle. Mais le véritable coup de grâce a été la guerre en Ukraine qui a fait exploser les prix du carburant et de produits comme le blé, touchant directement la population. Ainsi, le 12 avril dernier le gouvernement a dû se déclarer en cessation de paiements de sa dette.

Bien que certains analystes et dirigeants d’institutions impérialistes comme le FMI pensent que le défaut de paiement sur la dette sri-lankaise était nécessaire, la situation ne semble pas si simple à résoudre. En effet, le Sri Lanka s’est retrouvé ces dernières années sous pression car il ne pouvait pas emprunter sur les marchés financiers internationaux à des prix abordables, ce qui a poussé le gouvernement à s’endetter auprès de créanciers privés et à passer des accords bilatéraux avec des pays comme l’Inde et notamment la Chine. Celle-ci détient une partie importante de la dette sri-lankaise. Par conséquent toute restructuration de la dette doit être négociée avec ces acteurs très divers.

Mais dans un contexte de rivalités et frictions géopolitiques au niveau international l’équation devient très délicate. Comme on peut le lire dans Foreign Affaires : « les rivalités régionales et mondiales compliquent également la manière dont le Sri Lanka peut s’attaquer à sa dette. Les obligations du Sri Lanka sont détenues principalement par des créanciers privés aux États-Unis. La Chine voudra s’assurer que tout allégement de la dette que [le FMI] propose au Sri Lanka ne serve pas principalement à rembourser ces détenteurs d’obligations. Ces préoccupations rendront invariablement plus difficile un futur processus de restructuration de la dette ».

La situation est plus délicate encore, les conditions de « l’aide » proposée par le FMI et les organismes financiers internationaux auront pour conséquence plus que probable l’accentuation de l’exaspération populaire : augmentation de prix, privatisations d’entreprises étatiques, gel de salaires des fonctionnaires, suppression des aides, entre autres.

C’est pour cela que beaucoup d’analystes sont inquiets par la situation sociale et l’approfondissement de la lutte de classes dans le pays. Et cela d’autant plus que le Sri Lanka connaît des journées qui font penser à un soulèvement populaire profond, dirigé contre l’ensemble du personnel politique du régime et plus en général contre les classes dominantes ultra riches et corrompues. The Economist décrit alarmé la situation : « les Sri-lankais sont furieux. Le 9 mai, des manifestants ont incendié des dizaines de maisons, appartenant pour la plupart à des hommes politiques, ce qui a précipité la démission de Mahinda Rajapaksa, le premier ministre autrefois bien-aimé. Les forces de sécurité l’ont évacué, lui et sa famille, vers une base navale alors qu’une foule tentait de prendre d’assaut sa résidence officielle. Des milices populaires ont installé des points de contrôle à l’extérieur des aéroports du pays pour l’empêcher, ainsi que d’autres responsables, de fuir. L’état d’urgence est en vigueur. L’armée a reçu l’ordre de tirer à vue sur les émeutiers et les pillards ».

La crainte principale parmi les dirigeants internationaux, dont ceux du FMI, c’est que ces soulèvements populaires se répètent dans d’autres pays, à commencer par les Etats les plus pauvres mais sans exclure que ces révoltes puissent avoir lieu également dans les pays impérialistes. Cependant, l’Asie du Sud-est est l’une des régions qui inquiète le plus. En effet, il s’agit de pays très sensibles aux variations des prix des denrées alimentaires, qui sont en ce moment sous une forte pression inflationniste. « En 2021, les ménages philippins ont consacré près de 40 % de leurs dépenses totales à la nourriture et aux boissons non alcoolisées, selon l’Autorité philippine des statistiques. En comparaison, les ménages américains ont consacré 8,6 % de leur revenu disponible à la nourriture, selon l’Economic Research Service », peut-on lire sur le site de la chaîne nord-américaine CNBC.

Si la situation économique au niveau international a été fortement impactée par la pandémie commencée en 2020 et que les tendances inflationnistes étaient déjà présentes, il est indéniable que l’agression russe en Ukraine est en train d’accentuer ces tendances économiques et de préparer le terrain pour des possibles soulèvements populaires. Ainsi l’analyste Frida Ghttis écrit à propos des derniers évènements au niveau international : « du Pérou au Sri Lanka, l’attaque de la Russie contre l’Ukraine provoque une onde de choc économique qui aura des répercussions politiques majeures, d’autant plus qu’elle intervient après deux ans d’une pandémie mondiale préjudiciable à l’économie. Le président russe Vladimir Poutine a peut-être visé l’Ukraine, mais il crée de l’instabilité sur toute la planète. Les dégâts sont déjà visibles dans certains cas, mais les impacts les plus graves et les plus durables de cette guerre sauvage sont encore devant nous. Chaque région et chaque pays rencontrera de nouveaux troubles dans son propre contexte, mais les grandes lignes du problème se dessinent déjà. Le principal vecteur d’instabilité est l’inflation, dont la contribution aux bouleversements sociaux et politiques n’est plus à démontrer. Il est bien connu que la flambée des prix du blé - et donc du pain - a contribué à alimenter les soulèvements du printemps arabe il y a dix ans, déclenchant de multiples guerres et révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La situation actuelle est encore plus inquiétante ».

Nous sommes loin de penser que de façon mécanique et automatique les crises économiques engendrent des soulèvements ou même des révolutions. On ne peut pas savoir en avance quelles peuvent être les réactions ouvrières et populaires face à une situation désespérée. Parfois la sidération et la paralysie l’emportent sur la colère. Et même en cas de révolte, de soulèvement ou même de révolution la possibilité que l’énergie des travailleurs et de la jeunesse soit canalisée ou déviée par des forces politiques conciliatrices ou carrément réactionnaires reste. C’est pour cela que nous mettons en avant l’importance stratégique pour la classe ouvrière et les secteurs populaires de la construction d’organisations politiques révolutionnaires complètement indépendantes de la classe capitaliste nationale et des impérialistes.

Cependant, le tournant de la situation mondiale après la pandémie et notamment la guerre en Ukraine est en train d’actualiser aujourd’hui la définition que Lénine avait fait au début du XXe siècle de notre époque comme celle des « guerres, crises et révolutions ». Pour éviter que les forces réactionnaires n’en sortent victorieuses, la classe ouvrière et les classes populaires doivent commencer à s’organiser et à penser un projet de société qui aille au-delà des horizons du capitalisme et qui renverse ce système à la racine.

 
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