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La Izquierda Diario
15 de novembre de 2021 Twitter Faceboock

Ouverture à la concurrence
Grève des agent en gare à la SNCF : "Le 1er décembre on veut zéro cheminot derrière les guichets !"
Clément Alonso

La direction de la SNCF veut s’attaquer aux conditions de travail des agents commerciaux en gare à Paris-Nord. En réponse, les cheminots appellent à une journée de grève le 1er décembre. Entretien avec Anthony Auguste, délégué SudRail Paris-Nord et agent d’accueil sur la ligne H.

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Manifestation des cheminots contre le Pacte Ferroviaire en 2018. Crédit photo : O Phil des Contrastes

Révolution Permanente : Pour commencer, peux-tu nous expliquer vos revendications et pourquoi les commerciaux gare sont en conflit avec la direction ?

Anthony : La direction de la ligne H a annoncé une réorganisation qui devrait arriver vers avril 2022. Nous ne sommes pas les seuls à être impactés, car un paquet d’établissements en Île-de-France vont subir des réorganisations au niveau des commerciaux. L’objectif de ces réorganisations est simple : plus de productivité, et casser l’humanisation au sein des gares, pour qu’on soit moins d’agents sur le terrain et que ceux qui restent soient polyvalents et surtout mobiles.

La direction veut qu’on soit multitâches qu’à ce jour, qu’en plus de la vente on fasse de la gestion de site. Faire plusieurs gares en une journée en faisant simplement des passages pour veiller au bon fonctionnement des appareils de vente et informations s’assurer que les équipements de la gare fonctionnent, qu’aucune dégradation n’est visible, et qu’on fasse de la « Lutte Anti Fraude » de manière accrue en enfilant une veste de contrôleur et en distribuant des contraventions, comme les controleurs sans avoir les même rémunération, ni les mêmes acquis. On nous demande donc de mettre l’accent sur la « mobilité », la polyvalence et les multi-compétences. On est déjà à moitié dedans, mais on nous demande d’être itinérants, qu’on aille partout. Bref le métier est en plein évolution mais surtout il y a une réelle perdition pour nous mais surtout pour les usagers.

« On a déjà fait des actions sur la Ligne H, avec un envahissement d’une réunion entre la direction et les délégués, en conviant les agents pour qu’ils expriment leur mal être devant la direction. »

Donc pour faire face à tout ça, syndiqués et non-syndiqués on s’est rassemblés et on a réussi à créer un mouvement. C’était la toute première action sur la ligne H, le 11 Octobre. On s’est préparé le vendredi pour le lundi, et on est allé interpeller la direction. Tout le monde a pu parler et la réunion que la direction voulait faire à huis-clos avec les délégués élus dans les instances de proximité ne s’est pas tenue.

La seconde fois le 26 Octobre, on a fait une journée de mobilisation avant la nouvelle réunion, et à la demande des agents on s’est réunis en assemblée générale pour décider d’une nouvelle action. Une écrasante majorité a voté pour. On était une cinquantaine avec le même mot d’ordre : « on ne veut pas de cette réorganisation qui va chambouler nos vies et nos conditions de travail, et qui va nous faire perdre de l’argent ! »

« On voit cette réorganisation d’un mauvais œil. Une seule personne fait plusieurs métiers avec un seul salaire. Certains ont postulé dans l’entreprise pour être contrôleurs, ils ont été recalés et aujourd’hui ils se retrouvent à faire du contrôle en tant que commercial gare. »

Nos conditions de travail sont dures en réalité. On peut commencer le travail très tôt avec des prises de services à 4h du matin, et des fois on peut aussi finir le travail a 2h du matin. En plus, comme dans d’autres établissements, on est en sous-effectif chronique depuis un certain temps. Sans oublier les difficultés financières : le coût de la vie augmente, on est impacté de plein fouet, mais à la SNCF ça fait sept ans qu’on n’a pas eu d’augmentation de salaires. On se bat aussi pour ça !

D’ailleurs il faut savoir qu’on sort déjà d’une période de réorganisation massive dans notre établissement. La direction a voulu mettre en place des « petits collectifs » soi-disant pour assurer plus de présence dans les gares, et lutter contre l’absentéisme, avoir la présence d’un manager car c’étais soit disant une demande des agents. Mais ça a été une catastrophe, car depuis ce moment-là les gares sont encore moins tenues qu’avant. Finalement, on a un tas de collègues qui sont déroutés par cette réorganisation. C’est un échec cuisant pour la direction même si elle ne l’avouera jamais. Car maintenant elle veut mettre en place une énième réorganisation suite à la signature du nouveau contrat avec Île-de-France Mobilités [l’organisme régional qui détient le réseau de transports en commun et qui est présidé par Valérie Pécresse, ndlr] pour les années 2022-2023. Au fond tout ça est surtout fait pour permettre à la direction de faire des profits sur le dos des salariés et des usagers.

« La troisième action, on a fait un appel franc à la grève en début de mois car c’est la période où les usagers viennent recharger leur Pass Navigo. Les débuts de mois sont des moments clés pour la direction en terme de profits, on veut démontrer que sans cheminots les gares ne tournent plus »

Le 2 novembre, les agents de la ligne H se sont retrouvés en assemblée générale en gare d’Ermont-Eaubonne. On était une trentaine, et on a voté la poursuite du mouvement. Pendant ce temps, une cinquantaine d’agents de la ligne B avaient aussi fait une assemblée générale à Aulnay-sous-Bois. Il faut savoir qu’entre agents de la ligne B et de la ligne H, on est liés et on fait souvent des actions ensemble. Donc on a voté et on a décidé d’aller crier notre colère à la direction régionale à Paris-Nord. On a expliqué à la seule cadre qui est descendue nous voir, que nous ne voulons pas de ce projet, et qu’on compte se battre pour sauver notre métier !

« Les collègues sentent que quelque chose se passe ! Avant ça, il n’y avait pas de combativité. Mais on a décidé de s’unir, syndiqués et non syndiqués, et la direction est la première étonnée. »

Cet état d’esprit plaît aux collègues car ils sentent qu’ils peuvent se parler et décider de leur mouvement. Ça permet de rallier tout le monde, les collègues non-syndiqués, ceux qui n’ont pas l’habitude de faire grève, etc. C’est important pour moi de le souligner car c’est comme ça qu’on peut avoir une force de frappe qu’on n’avait pas avant.

RP : Peux-tu nous parler de l’appel à la grève du 1er décembre ? L’objectif c’est de mobiliser tous les secteurs du commercial en Île-de-France ? Comment se passe l’organisation de cette journée ?

Anthony : On a d’abord posé un préavis de grève pour cette journée du 1er décembre avec Sud-Rail. On s’est réunis entre commerciaux d’Île-de-France et le but c’est de frapper fort tous en même temps au même moment. Parce qu’il ne faut pas oublier que la direction prévoit de mettre en place des réorganisations un peu partout dans la région – sans compter les lignes E, P et le T4 qui ont déjà subi la réorganisation cet été.

« Ces réorganisations sont des plans sociaux déguisés puisqu’elles prévoient des suppressions de postes massives. On ne se laissera pas faire ! »

Ensuite on en a parlé aux autres syndicats. Les choses ne se sont pas faites de manière fédérale (entre les directions des syndicats) mais plutôt de manière régionale. C’est-à-dire que chacun a contacté les syndicats sur son secteur pour discuter de cette date de mobilisation.On essaye d’avoir tous les syndicats avec nous, on veut que ce soit une journée forte, on a encore 3 semaines pour bien préparer cette journée. Tout le monde comprend qu’il se passe quelque chose en Île-de-France.

« Le but c’est d’être tous ensemble, on se fiche de qui a eu l’idée en premier, cela n’a aucune importance, on veut réunir du monde, on veut 0 agents dans les guichets le 1er Décembre ! »

RP : Récemment on a pu voir plusieurs grèves dans différents secteurs sur l’Axe Atlantique par exemple. Avez vous essayé de vous coordonner avec d’autres corps de métiers à la SNCF ?

Anthony : Je ne peux pas donner de réponse uniforme mais on essaye bien-sûr ! Selon les secteurs, il y a des corps de métiers où il n’y a pas forcément d’attaques tout de suite, donc c’est un peu plus dur de faire bouger des collègues qui ont été déjà impactés ou qui ne le sont pas encore. Mais par exemple, on discute avec les conducteurs, et on a un point commun : c’est le SA 2022 (Service Annuel). Avec les roulements des trains, les arrêts à faire, les horaires qui sont tombés, ça va être un service dégradé avec des conditions de travail encore plus difficiles, des cadences augmentées. Ça ne vend pas du tout du rêve !

Dans certaines régions, les conducteurs seront en grève le 13 décembre. D’autres veulent venir en grève avec nous le 1er Décembre. En tout cas on essaye de faire connaître notre mouvement et d’en discuter avec les autres salariés. Par exemple, les contrôleurs de Paris Rive Gauche (Secteur Montparnasse-Austerlitz) vont subir la réorganisation des « petits collectifs ». Donc on veut faire une passerelle avec eux parce qu’on a déjà eu cette réorganisation chez nous. En tout cas, l’ensemble des cheminots ont tout un tas de problématiques communes et ont toutes les raisons de se battre pour des conditions de travail et de salaire dignes.

RP : Quelles perspectives après le 1er décembre ?

Anthony : Cette journée du 1er décembre en appelle d’autres. C’est le début de quelque chose pour les commerciaux. On prévoit d’autres actions pour maintenir la flamme. C’est aussi à ça que servent les Assemblées Générales, il y a des tas de collègues qui proposent des actions, ou des pétitions et des tracts à destination des usagers. Pour lutter il y a principalement la grève mais on essaye de coupler ça avec d’autres aspects, comme discuter avec les associations d’usagers. Et puis on essaye de faire comprendre aux collègues qu’il faut militer la grève et qu’il n’y a pas de recette miracle. On n’est pas seuls dans la lutte. Il y a les cheminots, les usagers, les élus... On essaye de mettre ça bout à bout.

Jusqu’où on est prêts à aller ? On verra avec le temps. Mais quoiqu’il arrive le chemin parcouru sur la ligne H, c’est déjà une victoire. Je suis fier de mes collègues ! J’en ai vu certains se déplacer, participer, j’ai même un collègue qui m’a dit : « En vingt ans de boîte c’est la deuxième fois que je fais grève. La première fois c’était pour venir vous voir et la seconde c’était le 2 novembre pour l’AG ! »

Je suis heureux parce que les consciences s’éveillent avec la patience et le travail militant. Mais je pense aussi que si on implique les collègues avec des assemblées générales souveraines et démocratiques, des lieux ou on leur laisse la parole et ou ils sont acteurs de leur devenir, on voit le chemin parcouru. On fait tout notre possible pour s’organiser et être à l’écoute de tout le monde. Parce qu’on spontanément les collègues vont parfois proposer des choses auxquelles les militants syndicaux oublient de penser.

« En tout cas une chose est sûre c’est que les commerciaux sont prêts à se battre. Au commercial, on nous a toujours dit que la grève ne sert à rien. Mais pour un patron il n’y a rien de plus rageant que de voir ses salariés en grève. »

On tient absolument à faire passer le message qu’une gare sans cheminots, c’est une gare qui ne tourne pas. Les trains continueront peut-être de rouler sans les commerciaux en gare, mais il n’y aura personne au guichet, personne pour renseigner les usagers ni assurer de présence. Le pire dans tout ça c’est que la plupart du temps, ceux qui conçoivent les réorganisations ne connaissent même pas les gares. Ils ne connaissent même pas notre environnement de travail !

RP : La rentrée a été marquée par une grève reconductible qui a duré jusqu’à huit semaines chez les conducteurs de bus Transdev d’Île-de-France. Contre la privatisation des transports publics et les conséquences de l’ouverture à la concurrence, est-ce que tu penses qu’une alliance est possible avec les autres travailleurs du secteur ?

Je me suis déplacé à plusieurs reprises pour soutenir les grévistes de Transdev. Je suis allé à plusieurs rassemblements et à la Rencontre des travailleurs des transports d’Île-de-France qui avait été organisée à Melun.

« Ce mouvement m’a encore plus ouvert l’esprit. Parce que leur présence, c’est notre futur ! »

Les appels d’offres, la privatisation, ce sont des choses que nous allons vivre à la SNCF. A Transdev ils le vivent déjà. Donc on a vraiment des problématiques en commun : nos patrons veulent nous mettre en concurrence, mais nous sommes des travailleurs et c’est la chose qui nous uni. Un autre point commun, c’est qu’on ne se laissera pas faire. Pendant la grève contre la réforme des retraites en 2019, on s’était déjà battu ensemble avec les collègues de la RATP et d’autres entreprises de transports qui étaient venues nous voir à Gare du Nord. On a montré que ce n’est pas parce qu’on a pas le même logo sur la veste qu’on n’arrive pas à tisser des liens ensembles et se battre ensemble !

D’un côté il y a les travailleurs – peu importe l’entreprise – qui voient leurs conditions de travail se dégrader, et de l’autre les patrons – là aussi quelque soit l’entreprise – qui ont tous la même doctrine : faire le plus de profits en embauchant le moins de monde possible. L’ouverture à la concurrence c’est vraiment le pilier idéal derrière lequel les patrons peuvent se cacher et faire passer tout un tas de réorganisations.

« Pendant la crise sanitaire, le gouvernement et les patrons en ont profité pour réduire les transports publics. Ça leur a servi de laboratoire pour tester des choses. »

En tout cas, quoiqu’il arrive, on doit travailler ensemble. On doit s’unir, on doit répondre à ces attaques, on fait partie de la même famille. Pour moi les travailleurs de Transdev, de la RATP et des autres boites ce sont mes collègues ! On a pas le même logo mais on a les mêmes intérêts, à partir de là tout est dit !

RP : Par quoi veux-tu conclure ?

Dans cette interview, on parle surtout de la SNCF. Mais de manière plus générale, c’est le monde du travail qui est attaqué de partout aujourd’hui. Les gens n’arrivent plus à boucler leur fin de mois, à manger, à se loger, ça devient irrespirable. Les politiciens votent tout un tas de lois pour précariser les travailleurs. Donc il y a un climat particulier mais je suis optimiste. J’espère que l’hiver sera chaud socialement. On a le devoir de se battre pour les générations futures. La lutte, c’est la vie. Même si on gagne pas tout le temps on peut être fiers de se battre parce qu’on se pose des questions et on réfléchit sur le monde qui nous entoure. C’est comme ça qu’on pourra atteindre nos ambitions et y arriver !

 
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