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La Izquierda Diario
24 de septembre de 2021 Twitter Faceboock

Crise à Cabo Delgado
Guerre au Mozambique. Derrière les annonces de victoire, la situation dramatique des déplacés
Philippe Alcoy

Malgré la propagande officielle sur les victoires sur les insurgés islamistes, la situation dramatique des déplacés internes est en train de dévoiler les fractures socio-économiques structurelles dans la région, aggravées par la guerre.

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Un mois après la reprise par les forces armées mozambicaines et rwandaises des principales villes détenues par les insurgés islamistes dans la province de Cabo Delgado au nord du Mozambique, la situation reste instable et surtout les réfugiés se trouvent encore dans une situation très difficile. En effet, la prise de la ville de Palma en mars dernier, à quelques kilomètres du site d’exploitation gazière que TotalEnergies est en train de construire, a forcé des milliers de personnes à fuir la ville. Beaucoup de ces déplacés internes se sont réfugiés dans la capitale de la province, Pemba. Certaines analyses estiment que depuis 2017 le conflit a fait autour de 800 000 déplacés internes.

L’offensive islamiste de mars avait forcé TotalEnergies et d’autres multinationales comme ExxonMobile à arrêter leurs travaux. Et en juillet dernier arrivaient des milliers de soldats de différents pays de la région, dont le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Botswana et la Tanzanie. Après une offensive rapide de la part des armées étrangères et de l’armée mozambicaine, qui n’a pas rencontré de résistances significatives, la ville de Mocímboa da Praia, aux mains des islamistes depuis août 2020, a été reprise. Depuis, le gouvernement mozambicain et ses partenaires ne font qu’envoyer des messages triomphalistes et rassurants sur la conduite de la guerre. Or, dans une guerre où l’information est contrôlée farouchement par le gouvernement et les forces armées, il est difficile à savoir quel est la réalité des déclarations publiques. Dit autrement, il reste encore beaucoup d’interrogations sur la conduite des combats, sur l’identité des leaders du mouvement (qui sont toujours en liberté). En outre, des rapports récents sur des attaques dans la région font penser qu’il est très probable que les islamistes aient adopté une nouvelle tactique, de type guérilla. Tout cela ne permet pas de trop prendre au pied de la lettre les déclarations triomphalistes des dirigeants mozambicains.

En ce sens, il est très étonnant de lire des articles en France qui relaient de façon presque acritique le discours des autorités mozambicaines. C’est le cas de Jacques Deveaux, rédacteur de la section Afrique de France Télévisions qui le 17 septembre dernier écrivait un article dont le titre était, ni plus ni moins, « Mozambique : retour à la normale au Cabo Delgado, et le Rwanda y a largement contribué ». Un « optimisme » étonnant, qui semble en outre très intéressé, qui contraste avec les différents rapports depuis le terrain.

En effet, depuis plusieurs semaines arrivent des témoignages directs depuis les villes concernées qui font état de grandes difficultés des déplacés internes retournés à Palma mais aussi de la part de ceux et celles qui restent encore dans les camps de réfugiés. L’une des principales difficultés rapportées concerne l’approvisionnement de denrées alimentaires. Dans beaucoup de camps de réfugiés des familles entières ne reçoivent aucune aide alimentaire, souvent parce qu’elles ne figurent pas sur les listes des ONGs. « Dans le district de Macomia, jusqu’au 18 septembre, les familles déplacées des postes administratifs de Mucojo, Quiterajo, ainsi que des villages de Quissanga et du district de Muedumbe, n’avaient reçu aucune aide alimentaire des autorités, selon nos sources locales », rapporte le journal Ikweli.

Cette situation inflige des humiliations supplémentaires aux déplacés comme le fait que certains « intermédiaires » entre les réfugiés et les ONG demandent des rapports sexuels en échange d’aliments. Les personnes qui ne figurent pas sur ces listes donnant accès à la distribution d’aliments sont obligées d’en acheter. Et les prix sont devenus exorbitants. Parfois ces produits de première nécessité sont même vendus par des membres des forces de sécurité, selon les habitants. « Ils nous nourrissent avec du manioc séché et des feuilles de pommes de terre, car nous devons tout acheter et nous n’avons pas d’argent pour le faire », raconte une réfugiée.

En effet, à Palma le litre d’huile de cuisine coûte 150 meticais (Mt), le kilo de riz coûte entre 170 et 200Mt, le sucre vaut entre 200 et 250 Mt. Pour se faire une idée de la cherté de ces produits il faut mentionner que le salaire mensuel des fonctionnaires au Mozambique est de 4 691 Mt (63€), celui des salariés agricoles est de 4 829 Mt (64€), et dans le secteur de la pêche il est de 5 570 Mt (74€). Rappelons que la plupart des réfugiés n’ont aucun revenu, sont au chômage et sans aucune perpective d’emploi dans la région. Cette situation pousse un habitant de Palma à affirmer : « Maintenant la situation est calme, la guerre qui reste est la faim et le manque d’emplois ».

Il y a effectivement beaucoup d’inquiétude. Car même si ces derniers jours certains articles expliquent que la situation s’est améliorée, si dans les prochains mois il n’y a pas un changement de fond, il existe un risque réel de famine dans la province. En ce sens, Cabo Ligado écrit dans son rapport du début du mois de septembre : « un nouveau rapport du Famine Early Warning Systems Network prévoit que tous les districts de Cabo Delgado, à l’exception de Namuno, Montepuez et Balama, dans l’ouest de la province, seront confrontés à une crise d’insécurité alimentaire pendant la saison des pluies de cette année. Le rapport souligne qu’un des principaux facteurs de la crise est le fait que la distribution de nourriture du Programme alimentaire mondial (PAM) a été rationnée ces derniers mois en raison du manque de financement. L’organisation n’a effectué qu’une seule distribution en juillet pour couvrir les mois de juillet et d’août, et prévoit d’effectuer une seule distribution en septembre pour couvrir les mois de septembre et d’octobre. Cela signifie qu’en l’absence d’une augmentation du financement de l’aide alimentaire, les personnes dépendant des versements du PAM ne pourront absorber en moyenne que 39 % de leurs besoins caloriques quotidiens ».

Toute cette situation crée des tensions au sein des camps, entre les réfugiés et les salariés des organisations humanitaires en charge de la distribution de la nourriture, entre personnes déplacées et les autres habitants locaux, dont certains reçoivent des colis alimentaires destinés aux réfugiés. Ce mécontentement s’est traduit récemment par des manifestations de réfugiés. Cependant, la militarisation de la région impose des limites à l’action collective : toute critique ou révolte peut être interprétée comme un soutien aux islamistes, notamment dans une situation où l’on soupçonne la présence d’islamistes parmi les civils.

En effet, cette méfiance vis-à-vis des civils est un autre résultat inévitable de la militarisation de la région. Et elle est en train de rendre encore plus difficile le retour des civils. « Ma maison a été brûlée et depuis que je suis revenu, je dors dans le jardin. Je n’ai pas encore commencé à construire une nouvelle maison, car les matériaux de construction se trouvent dans la brousse et je suis encore en train de réfléchir à la manière dont je vais construire une nouvelle maison, car j’ai peur d’aller dans la brousse de crainte d’être confondu avec le groupe qui a mené des attaques ici », témoigne Mussa Ali, un habitant de Palma.

Comme nous le voyons, la situation est loin d’être revenue à la « normale », comme la propagande officielle prétend. Non seulement il est impossible de dire si les islamistes ont été vraiment vaincus militairement, mais il y a d’énormes défis qui concernent des fractures socio-économiques structurelles qu’aucune intervention militaire peut résoudre. Encore moins une intervention militaire pensée principalement pour défendre les intérêts des multinationales comme TotalEnergies et nullement la population civile.

 
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