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La Izquierda Diario
9 de juin de 2021 Twitter Faceboock

Anti-racisme
Attaqué pour « racisme », Taha Bouhafs transforme son procès en tribune contre le racisme d’Etat
Lou-Salomé Duverger

Ce mercredi avait lieu le procès du journaliste Taha Bouhafs, accusé de racisme par la LICRA et par Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat de police Unité SGP-FO, à la suite d’un tweet. Une attaque judiciaire visant l’anti-racisme, et qui donnait au procès un caractère très politique.

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Photo : AFP

Un procès très politique visant l’anti-racisme et la dénonciation du racisme d’Etat

 
Le 3 juin 2020, au lendemain d’une manifestation organisée par le Comité Adama réunissant plus de 20 000 personnes, la déléguée nationale du syndicat de police Unité SGP-FO, Linda Kebbab, s’exprime au micro de France Info. Elle s’en prend alors au mouvement de lutte pour Adama Traoré – tué en 2016 à l’issue d’un contrôle par des gendarmes – mené par sa sœur, Assa Traoré. Cette dernière est accusée par Linda Kebbab d’instrumentaliser pour son propre intérêt la mobilisation Black Lives Matter qui se déploie internationalement à ce moment-là, suite au meurtre de George Floyd par Derek Chauvin. Pointant ce qui serait une différence de nature entre la police française et la police américaine, Linda Kebbab finit par conclure que la police n’est pas raciste, en justifiant cette affirmation par le fait qu’elle n’aurait jamais subi d’attaques racistes au sein de la police…

Le soir même de cette intervention au micro de France Info, Taha Bouhafs retweete les propos de Linda Kebbab avec la description « ADS : Arabe de service ». Le journaliste et militant antiraciste pointe ainsi le fait que l’institution policière utilise une personne racisée, Linda Kebbab en l’occurrence, pour discréditer les luttes contre les violences policières tout en croyant se protéger contre les accusations de racisme. Sur la base de ce tweet, Linda Kebbab, épaulée par la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), porte plainte contre Taha Bouhafs en l’accusant d’avoir tenu des propos racistes.

Le procès de cette affaire éminemment politique se tenait ce mercredi 9 juin 2021 à 12h30 au TGI de Paris. La veille, Taha Bouhafs notait : « je suis accusé de racisme pour avoir dénoncé le discours et la posture d’une syndicaliste policière qui nie le racisme de la police et invisibilise donc les réelles victimes ». Un discours qu’il a porté lors du procès aux côtés de ses avocats Arié Alimi et Yassine Bouzrou, avocat dans l’affaire Adama Traoré. Des avocats connus pour leurs combats en faveur de la défense des droits fondamentaux, opposés pour l’occasion à Thibault de Montbrial, specialisé dans la défense des forces de sécurité intérieure notamment lors d’affaires de violences policières.

Le procès, pas terminé à l’heure où nous écrivons cet article, aura ainsi été l’occasion d’une véritable confrontation politique, que les live tweets du Média et de Sihame Assbague permettent de retracer. Tandis que Arié Alimi pointe que l’accusation de racisme ne peut pas être effective alors que les deux individus sont « issus d’une même origine sans rapport d’infériorisation ». Une plaidoirie qualifiée sans détour de « tribune indigéniste » par Thibault de Montbrial, reprenant ainsi une rhétorique réactionnaire habituelle contre les anti-racistes. A la barre, Taha Bouhafs revient quant à lui sur son engagement militant et son expérience avec la police en tant qu’individu racisé, dénonçant le racisme systémique de l’institution policière et le paradoxe du procès d’ « un militant antiraciste jugé pour racisme anti-arabe parce qu’il a dénoncé le racisme systémique de la police et tous les mécanismes et stratégies de ce racisme ».

Pour l’occasion, Taha Bouhafs a sollicité plusieurs témoins. Parmi eux Noam Anouar, un ancien policier, qui explique comment il a été « l’arabe de service » pendant ses années de service. D’autres policiers témoignent comme Amar Benmohamed, brigadier-chef au TGI de Paris, qui dénonce également la violence et le racisme de ses collègues. Il est suivi par David E., lui aussi policier, qui s’auto-qualifie de « noir de service » et qui raconte son expérience du racisme de la police et qui expose comment, en école des police, on apprend aux futur.e.s agent.e.s à discriminer les minorités raciales – même à l’intérieur de l’institution.

Des intellectuels et militants anti-racistes sont également présents. Youcef Brakni, militant du Comité Adama, considère que les accusations contre Taha Bouhafs de Linda Kebbab servent à attaquer les mobilisations antiracistes de l’été 2020 : « on l’envoie au front pour nier la réalité et disqualifier des mobilisations historiques ». Françoise Vergès, politologue et quatrième témoin à être entendue, expose clairement comment l’accusation contre Taha Bouhafs relève du racisme : « Parler d’arabe de service, c’est mettre en lumière une stratégie du racisme qui consiste utiliser des alibis pour occulter le fait que le racisme est systémique. Criminaliser cela, ce n’est pas combattre le racisme...mais l’antiracisme ». Finalement, le dernier témoin à être entendu est Eric Fassin, sociologue et militant antiraciste, qui explique que l’expression « arabe de service » est insultante mais non raciste puisqu’elle pointe la « complicité avec un ordre social qui met les non-blancs dans une position inférieure. On peut être en désaccord politiquement mais c’est une catégorie opératoire et utilisée ».

Autant d’éléments récusés par la défense réactionnaire de l’avocat de Linda Kebbab. Celui-ci n’aura pas hésité à insulter les témoins présents les présentant comme de dangereux idéologues. « Ils veulent fermer les prisons, tout brûler...c’est très grave ce qui se dessine. Vous vous souviendrez de cette audience si ça arrive » note-t-il rapporte ainsi Sihame Assbague. Une rhétorique très proche de celle mobilisée par le gouvernement, la droite et l’extrême-droite ces derniers mois pour s’en prendre systématiquement aux anti-racistes. Rien de surprenant de la part d’un avocat spécialiste en défense des puissants, qu’on a pu voir plaider pour Valérie Pécresse, pour le vice-président d’Airbus ou encore pour les policiers responsables de la mort de Cédric Chouviat.

Une continuité de l’offensive contre l’anti-racisme des derniers mois

 
L’accusation judiciaire de racisme qui s’abat sur Taha Bouhafs, par son contexte initial comme par le déroulement du procès, ne peut être séparée de l’affaire Adama Traoré et de la lutte que mène depuis quasiment cinq ans le Comité Adama, ni de la large politisation anti-raciste que le gouvernement n’aura eu de cesse de tenter d’étouffer depuis un an. Comme l’affirme Éric Fassin dans un article pour Médiapart, « « Violences policières », pour Emmanuel Macron, « c’est devenu un slogan », qui revient à affirmer « qu’il y a une violence consubstantielle à la police, comme d’autres disent : “il y a un racisme consubstantiel à la police”. » Il s’agit bien d’un déni du racisme institutionnel. En témoignent les poursuites contre Assa Traoré pour avoir nommé les gendarmes aux mains desquels son frère est mort – alors que ceux-ci, depuis 2016, ne sont toujours pas mis en examen. C’est pourquoi il était et reste légitime de parler d’une affaire d’État. ».
 
De fait, face à la polarisation sociale engrangée par le mouvement BLM, l’Etat mène une lutte sans merci pour défendre l’institution policière. Une lutte menée en collaboration avec la justice bourgeoise, qui garantit une impunité policière très large, avec le pseudo-antiracisme bourgeois d’une organisation comme la LICRA, mais aussi avec toutes celles et ceux qui servent de caution au racisme d’Etat, à l’image de Linda Kebbab.

Dans ce cadre, et quand bien même on peut interroger le procédé visant à s’appuyer pour sa défense qui vise le racisme d’Etat sur des policiers en exercice dans une institution entièrement raciste et réactionnaire, Taha Bouhafs aura réussi le pari de transformer son procès en une véritable tribune politique, mettant le doigt sur la question centrale du racisme d’Etat, dont l’institution policière est un des fers de lance.

 
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