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La Izquierda Diario
26 de mars de 2021 Twitter Faceboock

Portrait de gréviste
Anthony, gréviste Infrapôle SNCF : "Là-haut ils ont besoin de nous pour avoir leur salaire"
Emilia Louise

Anthony a 26 ans et travaille depuis 6 ans à la SNCF. Il est agent de maintenance et s’occupe du remplacement des rails grandes lignes à l’Infrapôle Paris Nord. Depuis le 18 janvier lui et ses collègues sont en grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Portrait d’une nouvelle génération ouvrière qui relève la tête.

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À 26 ans, Anthony travaille depuis 6 ans à la SNCF. Il est agent de maintenance de la voie et s’occupe notamment du remplacement des rails. Lui et ses collègues sont en grève depuis le 18 janvier pour dénoncer leurs conditions de travail. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la journée de solidarité organisée par différentes organisations étudiantes dont le Poing levé, à Paris. Les grévistes de l’infrapôle sont venus apporter leur soutien aux étudiants qui essaient de s’organiser pour dénoncer le mépris du gouvernement à l’égard de la jeunesse.

Un sentiment de mépris qu’Anthony connaît bien. Il raconte comment lui et ses collègues se battent pour leur dignité et contre l’absence de considération de leur hiérarchie à leur égard.

Révolution Permanente : Peux-tu nous raconter la grève ?

Anthony : La grève a commencé le 18 janvier. Moi je suis pas rentré directement dans la grève, comme toute ma brigade à la . C’est la brigade souterraine qui a commencé la grève. Nous on est rentré coté Grandes Lignes dedans une semaine après. Quand on est de nuit, on fait une grève d’une heure en plein milieu de service. Comme ça, ça empêche de faire de la maintenance. Vu que les heures d’arrêt de circulation sont de 00h30 à 4h30, en fait on peut pas commencer le chantier parce que sinon on va pas le rendre avant la reprise du trafic, les trains ne pourront pas circuler. Ils sont du coup obligés de reporter les chantiers. Ils commencent à faire appel à des entreprises extérieures qui eux clairement s’en foutent de la réglementation. Ils essaient de nous avoir comme ça, de jouer avec tous les moyens pour détruire notre grève. Mais on sait qu’en général ils sont jamais irréprochables.

Au bout de deux semaines, on a fait un repas où on a réuni les deux brigades. On a fait une petite photo de rassemblement qui n’a pas plu à la direction. On était dans une voie de service, là où aucun train ne circule. Dans la photo il y a avait un collègue qui avait presque 4 mois de chemin de fer, il était à la fin de sa période d’essai. Mais la direction a décidé d’utiliser sa présence sur la photo pour le licencier et peser sur la grève. Le directeur a fait passer un message au chef d’équipe, en disant que si on arrêtait la grève, il le ferait réintégrer. Quand on a compris que c’était une manoeuvre du patron pour réprimer, le lendemain on est partis au siège pour exiger sa réintégration immédiate. On a réussi à avoir gain de cause, ils l’ont réintégré au bout d’une semaine. C’est une victoire d’avoir bougé pour faire arrêter la répression. Mais le coup du directeur a fonctionné à moitié lui, car lui il se fichait du collègue le but c’était juste d’atteindre le moral des grévistes en grandes lignes, car une grande partie de la brigade a eu peur de la répression. Aujourd’hui presque toute la brigade a arrêté la grève et on est que quatre à continuer et à tenir bon.
Une grande partie de la brigade qui était dans cette photo là, ils ont eu un avertissement. Le seul qui a eu un entretien disciplinaire, comme les autres de la brigade souterraine, c’est Yannis un collègue qui est toujours grévistes « comme par hasard ». Il y a deux jauges, deux traitements différents entre les grévistes et ceux qui ont arrêté. Dans la même brigade pour le même fait, ils sanctionnent d’une manière les grévistes et de l’autre les non grévistes.

RP : Comment avez-vous réagi face à cette répression ?

Anthony : Clairement, ça les fait chier qu’on fasse la grève, ils veulent qu’on revienne au pas et qu’on soit des bons toutous. Ça a toujours été comme ça. Nous on a fermé notre gueule depuis le début. Moi depuis le début de ma carrière, j’ai jamais ouvert ma gueule mais même je sais que nous, dans notre secteur de travail on est pas trop des gens qui se plaignent. On a toujours subi, on a toujours fait des choses hors sécurité. Clairement, on risque notre vie quand on travaille, il y a la circulation des trains. On s’est jamais plaint et la première fois qu’on se plaint, ils veulent nous virer, nous sanctionner gravement. Ils ont pris la photo comme prétexte mais on sait très bien que c’est pas ça. Ils veulent qu’on revienne au pas et qu’on ferme notre gueule.

Le plus important c’est déjà de pas lâcher, de continuer et d’être encore plus déterminé qu’avant. Pointer du doigt tout ce qui est mal, tout ce qui est hors sécurité. Notre travail est tellement spécifique en matière de sécurité. À chaque fois, nos chefs ils le disent clairement. Si on suit la sécurité à fond, on peut pas travailler. Et maintenant, depuis la grève on leur fait comprendre qu’il y a plein de trucs qu’on fera plus comme avant c’est clair ! Et même sans faire grève en fait, on veut plus travailler dans des conditions d’insécurités parce que y’a pas assez d’agents pour faire les chantiers en sécurité. Et en fait on accentue ça parce qu’on veut être traités un peu mieux, comme des humains. Notre direction a voulu utiliser la répression pour nous faire arrêter. On va rendre coup pour coup, on va rendre deux fois plus fort. On va pas s’arrêter là, pas après 60 jours.

RP : Comment se fait-il que ce secteur rarement mobilisé se soit mis en grève ? En quoi a-t-elle changé tes rapports avec la direction ?

Anthony : C’est un ras le bol. Avec le Covid on travaille dans des conditions insoutenables. En ce moment je me prends la tête à mort avec mes chefs, parce qu’il y a eu des cas positifs dans notre brigade, mais ils ont pas déclaré tous les cas contacts, juste pour que les mecs puissent continuer à travailler et continuer la production, d’ailleurs SUD Rail a déposé un droit d’alerte sur ce qui s’est passé et nous sommes plusieurs à avoir effectué notre droit de retrait. En fait, c’est un ras le bol de plein de choses. Le fait que la brigade souterraine se batte, ça nous a donné de la force pour se battre et on voit que notre combat il est pas illégitime. On se bat pour une bonne cause, l’amélioration de nos conditions de travail et de salaire, parce qu’on aime notre métier et le service public ferroviaire, mais on veut le faire dans des meilleurs conditions.

Quand je suis rentré à la SNCF, on était dans une brigade assez docile. La hiérarchie juste au-dessus de nous, quand on respecte pas ses désirs, elle nous punissait. Notre salaire il est lié aux primes, donc ce sont les nuits qui font que notre salaire il est raisonnable. Du coup, pour nous faire courber l’échine, ils nous mettaient un mois de jour par exemple, ou des trucs comme ça, ou bien ils te retiraient ton astreinte, toutes nos primes, jusqu’à ce que tu reviennes au pas et que tu rampes devant lui. Moi avec la grève j’ai réalisé que ces gens là ils ont rien de plus que nous : c’est eux qui s’occupent des programmes, qui font l’administratif mais au final la haut ils ont besoin de nous pour avoir leur salaire. Le rapport de force s’est complètement inversé. Ils ont toujours fait croire que c’était eux qui dictaient tout, qui faisaient la pluie et le beau temps, mais au final, on a compris que c’était notre force de travail qui était importante, maintenant qu’on a compris cela le rapport de force s’est complètement inversé.

Depuis la grève ils nous méprisent, ils nous regardent mal. Ils font passer le message dans les autres brigades qu’on « ne veut pas travailler », qu’on est des bons à rien. Qu’on se prend pour des stars limite, qu’on veut faire des chichis parce qu’on veut plus d’argent. Mais c’est pas ça, on se bat pour notre dignité, notre honneur. On a fait plusieurs tournées et les collègues sont toujours content quand on discute avec eux et ça leur permet de comprendre que ce qu’ils disent c’etait de la propagande pour éviter que ça pète partout.

RP : Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui c’était important pour toi de venir à la journée de solidarité en soutien aux étudiants ?

Anthony : Moi quand j’ai commencé la grève je me suis dit, il me reste quarante piges à la SNCF, je me suis dit c’est pas possible, je vais démissionner avant. On est la jeunesse, on a la fougue, on a les dents longues, on raye le parquet. Franchement c’est beau. Je pense pas que les anciens ils pourraient faire les même combats que nous. Et puis bientôt ce sera nous les anciens, on se bat pour ceux qui vont arriver après nous.

On est tous l’avenir de demain. On a tous à peu près le même âge, c’est vous les étudiants qui allez faire la France de demain et voir comment vous êtes traités c’est insoutenable, c’est pas possible, c’est inhumain. Je sais pas, vous devriez être dans les meilleures conditions pour travailler. C’est là qu’on comprend pas le gouvernement, c’est stupide en fait.

De voir qu’à chaque fois qu’on fait une manif il y a énormément d’étudiants qui nous soutiennent, il y a d’autres corps de métier, il y a la RATP, la raffinerie de Total, pleins de gens qui nous soutiennent, ça nous fait chaud au coeur. C’est pour ça qu’au final la grève elle est facile.

RP : À la journée de solidarité, il y avait aussi un membre du comité Justice et Vérité pour Gaye Camara. En quoi les violences policières c’est un sujet qui te sensibilise, et est-ce que tu penses que c’est important de créer des liens de solidarité avec d’autres secteurs ?

Anthony : Quand je vois l’enfant à Bondy qui s’est fait tabassé, ou tous les gens qui sont morts ou qui se sont fait blesser par la police, ça me révolte et j’ai envie de me battre pour ça aussi. Au final, peut-être que le gouvernement a la police avec lui, les armes pour nous faire peur, mais ils sont qu’un petit pourcentage. Mais c’est nous la France, c’est pas eux. Eux ils servent à rien, c’est nous qui font et feront la France de demain. Quand tu es un cas individuel tu as plus peur du gouvernement alors que quand on est tous ensemble, on est largement plus forts qu’eux.

Clairement, le gouvernement est assez bancal et c’est à nous de nous réveiller et de nous battre. De plus se laisser faire et subir la répression, les lois de merde qui sont votées. C’est à nous de nous réveiller et de nous battre pour qu’on puisse enfin être légitime.

 
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