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La Izquierda Diario
16 de mars de 2021 Twitter Faceboock

"Rend l’art Jean"
Quand la critique du gouvernement s’invite sur la scène des Césars
Margot Vallère

Alors que l’année passée a été profondément marquée par la crise sanitaire et économique, les interventions des actrices et des acteurs lors de la quarante-sixième édition des Césars se sont révélées éminemment politiques.

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Crédit Photo : AFP

L’an dernier, on disait déjà que jamais la cérémonie, traditionnellement caractérisée par sa « légèreté » et son aspect très codifié, n’avait jamais été aussi politique. La quarante-cinquième saison des Césars avait en effet été le théâtre d’une vaste polémique concernant la victoire de Roman Polanski, accusé de viol et d’agressions sexuelles rapportées par plusieurs femmes. La rue avait alors largement soutenu Adèle Haenel qui, révoltée, avait quitté la salle avec toute son équipe. Déjà l’an passé, les réactions avaient été vives, et alors que de nombreuses femmes, écœurées par la victoire de Polanski, étaient descendues dans la rue pour dénoncer le sexisme structurel et avaient appelé au boycott du film, la presse bourgeoise ainsi que certains acteurs affichaient leur soutien au réalisateur.

Cette année, alors que l’on a fêté il y a quelques jours le premier anniversaire des mesures sanitaires contre le coronavirus, la quarante-sixième saison des Césars a elle aussi pris une tournure très politique, reflétant un climat de crise profond.

Le gouvernement dénoncé pour sa gestion économique de la crise sanitaire

Dans un contexte de crise sanitaire qui dure toujours et de crise économique importante, le cinéma et, plus largement, le milieu de la culture sont tout simplement à l’arrêt. Si une "éclaircie" lors de l’été 2020 avait donné l’espoir d’une reprise des évènement culturels, la rentrée et le deuxième confinement ont sonné le glas de la culture, fermant brusquement toutes les salles de théâtre, de cinéma et de concert. Aujourd’hui, et alors que "l’année blanche" des intermittents touche à sa fin sans renouvellement prévu, les aides distribuées par l’Etat à ce secteur et particulièrement aux travailleurs précaires restent dérisoires. Ainsi, au terme d’une année marquée par la gestion gouvernementale catastrophique de la situation épidémique, ayant empêché la tenue d’évènements culturels et la production cinématographique, à quoi bon maintenir la cérémonie, censée célébrer le septième art ?

C’est la question qu’a posé Marina Fois, actrice engagée et maîtresse de cérémonie dans son fameux discours d’ouverture : « Pourquoi faire les Césars cette année ? Une année de cinéma sans salle et sans public et un public sans film ». La cérémonie s’est donc ouverte sur un discours engagé, revenant sur la situation sanitaire et pointant directement du doigt l’exécutif pour ses manquements concernant la gestion de la crise. Dans un monologue de huit minutes, la maîtresse de cérémonie a livré un discours plein de sarcasmes contre le gouvernement, et particulièrement contre la ministre de la culture Roselyne Bachelot, en qui elle a affirmé avoir perdu toute confiance : « Et que faire lorsqu’on a plus confiance en son ministre de tutelle à l’heure où se joue l’avenir du cinéma et de l’exception culturelle française ? ». Elle s’est ensuite attaquée à la décision du gouvernement de maintenir les grands magasins ouverts, tandis que les lieux culturels demeurent fermés, pointant du doigt la priorité donnée à la recherche du profit. « L’art quand c’est pas rentable, ça fait chier », a-t-elle ironisé.

A l’image de Marina Fois et de son plaidoyer pour la réouverture des salles, d’autres artistes ont exprimé leur colère contre le gouvernement lors de cette cérémonie hautement médiatisée. L’actrice populaire et engagée, Corine Maseiro, est apparue sur la scène de l’Olympia en arborant un costume de peau d’âne et s’est progressivement déshabillée, jusqu’à apparaître entièrement nue devant les spectateurs et les spectatrices. Alors qu’elle devait présenter les nominations dans la catégorie « meilleurs costumes », elle a décidé de se révéler dans sa dernière tenue avec inscrit sur le buste « No culture, no future ». Sur son dos, l’actrice avait également inscrit « Rend l’art Jean », appelant ainsi directement le premier ministre Jean Castex à mettre en place des moyens conséquents dans le secteur de la culture. En effet, le gouvernement qui agite son plan de relance à 100 milliards d’euros depuis le mois de septembre, ne prévoit d’en dédier que deux milliards à la culture - la solution à tous les problèmes, selon Roselyne Bachelot.

Hommage aux victimes des violences policières

Dans la veine politique de la cérémonie, l’acteur, réalisateur et rappeur Jean Pascal Zadi, originaire de Seine-Saint-Denis, s’est vu remettre le César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans « Tout simplement noir ». Alors qu’il recevait son prix, ce dernier s’est exprimé sur les violences policières et le mouvement anti-raciste. En remerciant « tous ceux qui ont ouvert la brèche avant lui », il a évoqué les noms d’Adama Traoré et de Michel Zeckler, le producteur de musique noir qui avait été victime de violences policières dans le XVIème arrondissement lors du deuxième confinement.

La violence de la réaction

Cette séquence a offusqué de nombreuses personnalités et provoqué un tollé dans certains médias, à l’image du Figaro qui dans un article intitulé « Cérémonie des Césars : Le Titanic de l’exception culturelle » a estimé que le cinéma, en perdition, a ruiné son image. Dans cet article empreint de haine, le journaliste affirme : « Après une année extrêmement difficile pour le 7e Art et avant des négociations cruciales pour l’avenir du secteur, on espérait un peu de dignité de la part de la vitrine du cinéma français. On attendait Antigone, on a eu les Bidochons. ». Certaines personnalités comme Isabelle Balkany ainsi qu’Éric Ciotti ont également adressé des tweets cinglants à l’égard de la comédienne, regrettant « le monde d’avant » pour reprendre les mots du député LR des Alpes Maritimes.

L’an dernier déjà, on avait assisté à la vague de réactions qu’avait provoqué le départ d’Adèle Haenel pour avoir osé briser les codes bourgeois d’une cérémonie bien instituée. On pouvait donc s’attendre cette année encore à des réactions, à l’instar de celle du Figaro, qui fustigent des actrices et acteurs en rupture avec ces codes. Mais, au delà de cette rupture avec les codes bourgeois d’une cérémonie presque cinquantenaire, la quarante-cinquième édition des Césars est marquée par une très forte politisation des sujets évoqués, tels que la crise sanitaire, la crise économique et l’inaction flagrante de l’exécutif, mais aussi l’émergence du mouvement anti-raciste en France porté par Assa Traoré.

En dernier instance, les commentaires réactionnaires de la bourgeoisie qui s’offusque révèle la peur d’une remise en cause à grande échelle de ses valeurs et de son programme économique, au moment où les intermittents et travailleurs précaires commencent à se mobiliser pour protester contre la réforme de l’assurance chômage et la précarité structurelle du secteur de la culture. Le théâtre de l’Odéon à Paris ainsi que de nombreux autres établissements sur tout le territoire sont occupés par des comédiens, poussés à bout par la précarité grandissante et par le manque de perspectives d’avenir.

 
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