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La Izquierda Diario
10 de mars de 2021 Twitter Faceboock

Penser l’émancipation
« Islamogauchisme » à la fac  : les universitaires toulousains répondent à Vidal
Le Poing Levé Mirail

A l’université Toulouse II ce mercredi, des universitaires organisaient un colloque pour réaffirmer la portée politique et militante de leurs travaux de recherche et faire un état des lieux de la précarité à l’université, en réponse aux attaques de Vidal et du gouvernement.

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Image : capture d’écran France 3

Alors que Vidal poursuit l’offensive islamophobe, raciste et sécuritaire du gouvernement sur le terrain universitaire en décrétant notamment que « l’islamogauchisme gangrène les universités », les universitaires toulousains, pour beaucoup signataires d’une tribune dans Le Monde qui exige la démission de la ministre, ont organisé un séminaire pour réaffirmer la portée politique et militante de leurs travaux.

Cet événement, dans lequel sont intervenus plusieurs enseignants-chercheurs, titulaires et précaires, des travailleurs administratifs et des étudiants, a réuni plus d’une centaine de personnes à 14h – à l’université en présentiel et sur les réseaux sociaux où il était diffusé en direct. Un séminaire pour « Penser l’émancipation, face aux attaques de Vidal et du gouvernement » qui rencontre d’autant plus d’écho que la campagne réactionnaire du gouvernement contre les études intersectionnelles (sur les oppressions racistes, patriarcales et l’exploitation capitaliste) ainsi qu’à l’encontre des militants anti-racistes, se poursuit à large échelle. Aujourd’hui, c’est la section UNEF de Grenoble qui est menacée de dissolution pour avoir dénoncé un enseignant qui a tenu des propos islamophobes dans un mail envoyé largement à ses étudiants.

Anna, étudiante en master au Mirail et militante au Poing Levé, faisant partie des personnes à l’initiative de cette réponse à Vidal, a ouvert la discussion en rappelant l’importance d’une telle démarche. « Aujourd’hui, il y a une volonté de la part du gouvernement de museler toutes les voix qui dénoncent cette offensive raciste et sécuritaire, et je pense que ce qui leur fait le plus peur, c’est une jonction des universitaires, des étudiants, avec le monde du travail, avec les mouvements anti-racistes et les quartiers populaires. Parce qu’on a vu au cours des manifestations contre la loi Sécurité Globale que ces luttes démocratiques, contre les violences policières et contre le racisme d’État, cristallisaient énormément de colère, notamment dans la jeunesse. »

Elle termine son intervention en expliquant qu’il est « indispensable aujourd’hui que des chercheurs puissent nous donner des outils, des clés de compréhension, pour combattre le désastre économique, sanitaire et social engendré par la gestion capitaliste de la crise. Il est primordial que des universitaires travaillent sur l’impérialisme, le colonialisme, le racisme, le patriarcat, le genre. Il est indispensable de penser l’émancipation. C’est pourquoi on a pris l’initiative de contacter un certain nombre d’universitaires – des enseignants chercheurs, des ATER, des BIATSS – pour parler de nos sujets de recherche, pour en affirmer la portée politique, et surtout pour signifier à Frédérique Vidal qu’on ne se laissera pas museler. »

A sa suite, de nombreux intervenants se sont succédé, pour parler de leurs travaux de recherche et de leur engagement militant. Franck Gaudichaud, historien et politiste spécialisé sur les mouvements sociaux en Amérique latine, est revenu sur l’accointance entre le discours gouvernemental et l’extrême-droite, « la fachosphère qui alimente la bête ». « Les questions qui se posent à nous aujourd’hui c’est : à quoi sert l’université ? Comment penser la relation entre les engagements sociaux et politiques et notre démarche de chercheur ? A quoi servent les intellectuels ? » Il rappelle à quel point l’université est traversée par une logique utilitariste et managériale, soumise aux intérêts des capitalistes. Alors que des soi-disant spécialistes tentent de démontrer que « le militantisme pourrit la recherche à l’université », l’universitaire rappelle que les mouvements sociaux ont toujours alimenté la recherche scientifique – par exemple en ce qui concerne les questions de genre – et vice-versa, sans pour autant que la démarche scientifique puisse être remise en cause dans ces travaux puisqu’il s’agit d’espaces de débats distincts. « Heureusement qu’il y a eu des syndicalistes, qui nous ont poussés à regarder l’Histoire par en bas, à penser le mouvement ouvrier, voire à y participer. Par contre quand on écrit, on s’inscrit dans une démarche sociologique, anthropologique, scientifique et on a pas besoin de Vidal pour nous le rappeler. ». En conclusion, Franck Gaudichaud insiste sur l’importance de la pensée critique et l’émergence d’intellectuels engagés.

Au début de son intervention, Hourya Bentouhami, maîtresse de conférence en philosophie, se déclare « coupable d’intersectionnalisme ». Ce qui dérange aujourd’hui, explique-t-elle, « c’est les pensées critiques, l’anti-racisme et plus particulièrement aujourd’hui celles et ceux qui luttent contre l’islamophobie, l’idée que ce terme puisse avoir une réalité sociale et politique ». Les attaques contre les études intersectionnelles (les discours féministes, anti-racistes) sont « un véritable ciment sociétal pour désigner un ennemi intérieur, c’est une rhétorique qui va de l’extrême-droite à la droite plus traditionnelle et même jusqu’à une certaine gauche ». Ce qui fait peur, explique-t-elle, c’est la pensée critique revendiquée notamment par une nouvelle génération de chercheurs et d’étudiants, qui cherchent à montrer ce qui reste de colonialisme dans la société. « Ce qui fait peur dans l’intersectionnalité, c’est la notion d’alliance qui a dedans, quelque chose de l’ordre d’une réponse globale face à l’ensemble des violences qui sont exercées ».

« L’infamie suprême aujourd’hui, déclare Hourya Bentouhami, c’est qu’on rend les intellectuels critiques, intersectionnels, coupables de complicité avec le terrorisme islamiste. Pourtant je n’ai jamais entendu parler d’un terroriste qui cite Stuart Hall, par contre il y a des terroristes d’extrême-droite qui citent Finkielkraut et Renaud Camus ». Elle rappelle aussi qu’on pourrait parler « d’islamo-droitisme » quand les grandes puissances impérialistes comme la France font commerce d’armes de guerre avec des pays comme l’Arabie Saoudite.

Sylvain Cantaloube, travailleur administratif au CNRS et militant à la CGT, est intervenu pour « apporter un point de vue plus syndical sur la question », en rappelant la situation dramatique de précarité que connaissent les étudiants et beaucoup de travailleurs à l’université, en rappelant également que Vidal et le gouvernement ont été les artisans de la LPR qui a contribué à attaqué profondément le milieu de la recherche tout en s’en prenant à l’ensemble des militants et de la communauté universitaire. Il pointe aussi que derrière les polémiques sur « l’islamogauchisme », ce dont on ne parle pas c’est « les interventions impérialistes de l’armée française en Afrique et notamment au Mali ». En tant qu’ingénieur en laboratoire de biologie, il rappelle également les incohérences d’une gestion de l’université en fonction des profits du patronat, qui a notamment conduit au début des années 2000 à arrêter les recherches alors en cours sur le coronavirus. Des problématiques transversales aux sciences expérimentales et aux sciences humaines et sociales.

Annalisa Lendaro, sociologue travaillant sur les politiques migratoires et les espaces frontaliers, est revenue sur la construction de la race, non pas comme une notion biologique, mais comme « un rapport de pouvoir socialement produit qui continue à structurer des pans entiers de nos relations sociales et politiques ». « Produire des savoirs et faire en sorte que ces savoirs puissent s’inscrire dans des débats sociétaux ne leur enlève évidemment pas leur caractère scientifique » insiste-t-elle. « C’est même l’une des missions fondamentales des Sciences humaines ».

Thomas Sommer Houdeville, sociologue également et enseignant précaire, a brossé un tableau de la misère à tous les étages de l’université. « L’université en France fonctionne aujourd’hui avec 30000 poste de précaires. Si on les supprime, l’université s’effondre. La précarité aujourd’hui par exemple, c’est être chargé de cours, et être payé 4 fois par ans, avec sa première paye plusieurs mois après avoir commencé à enseigner, et être rémunéré en dessous du SMIC ». « Un gouvernement qui maintient la précarité à un tel niveau, c’est un gouvernement qui méprise profondément la communauté universitaire et les étudiantes et les étudiants en premier lieu. » Pour lui, les attaques du gouvernement révèlent de la part des classes dominantes « une détestation de l’université en ce qu’elle pourrait produire de savoir émancipateur et de pensée critique pour une grande masses des jeunes du pays ».

La sociologue Stéphanie Mulot est ensuite revenue sur ses travaux de recherche et les cours qu’elle dispense sur l’histoire coloniale de la France, et en particulier sur les travaux de Franz Fanon, particulièrement méprisé par l’université française. « Ce qui est censuré et ligoté se débat toujours pour survivre, pour faire débat. Plus on est attaqués et plus on se défend. »

Sophie, membre de l’Union des Etudiant.es de Toulouse, a condamné les polémiques islamophobes du gouvernement, rappelant notamment les discriminations à l’égard des femmes voilées en revenant sur l’exemple de Myriam Pougetoux, membre de l’UNEF censurée à l’assemblée pour le simple fait de porter le voile. « Le racisme et l’islamophobie sont structurels dans la société ». Elle rappelle le combat indispensable pour une université inclusive, ouverte à toutes et tous.

Enfin, pour conclure, Mireille Bruyère, économiste critique, a rappelé dans une intervention par visioconférence, comment l’université a été transformée et modelée en fonction des besoins et des attendus du capitalisme néolibéral. « Beaucoup de mouvements, auxquels j’ai participé, ont lutté contre des réformes qui visaient à faire rentrer l’université dans ce qu’on appelle l’économie de la connaissance ». Les études incriminées par le gouvernement, la pensée critique, ce sont des études « qui dévoilent le discours et l’imposture scientiste du gouvernement qui tente de répondre à des divisions sociales réelles par de pseudo-discours scientifiques et pédagogiques. Mais ces divisions, qui existent, ce sont avant tout des divisions politiques et c’est ce que ces études intersectionnelles, insupportable pour le gouvernement, cherchent à démontrer ».

Très enthousiasmés par cette première échéance de réponse politique et universitaire aux attaques de gouvernement et en défense de la liberté académique et de la pensée critique, les intervenants se sont accordé à dire qu’il s’agissait d’un premier pas important pour construire une riposte d’ensemble, à laquelle les universitaires doivent prendre part. Un événement qui en appelle d’autres, donc.

Retrouvez l’intégralité des interventions dans la vidéo ci-dessous :

 
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