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La Izquierda Diario
8 de février de 2021 Twitter Faceboock

Racisme et réseaux sociaux
Témoignage. Quand la parole islamophobe décomplexée s’invite chez les psychologues, en toute impunité

« Je hais le puritanisme et je suis du genre à enlever le haut sur la plage dès qu’une chauve-souris se pointe dans les parages, tant je suis obsédée par la liberté des femmes ». Ces propos racistes et ouvertement islamophobes ont été tenus par une autrice et psychologue reconnue, au sein d’un groupe privé Facebook de plus de 15.000 personnes, dédié aux échanges entre psychologues et étudiants en psychologie. Il ne s’agit pas ici d’énumérer un énième propos islamophobe tant les réseaux sociaux en regorgent, mais bien de témoigner de l’islamophobie ambiante qui gangrène notre société, et malheureusement, notre belle profession.

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A nouveau donc, des propos islamophobes humiliants, insultants et déshumanisants une catégorie de femmes sont proférés sous couvert de “féminisme” et de liberté des femmes. Ironie. Exerçant le métier de psychologue, je ne peux me résoudre au silence.

Je me questionne donc sur la façon dont cette psychologue se comporte face aux femmes, consœurs ou encore patientes, ayant choisi de porter un voile, et qu’elle n’hésite pas à déshumaniser en “privé”. La lecture de ce message, reprenant le champ lexical de la fachosphère, m’a fait l’effet d’une bombe tant je croyais (naïvement je l’avoue) que la formation au métier de psychologue était foncièrement incompatible avec le racisme, l’homophobie et toute forme d’expression de haine de l’Autre.

Lorsque je demande à la psychologue en question d’expliciter son propos, tant je peine à y croire, je ne reçois aucune réponse, silence radio. Au bout de plusieurs heures, je décide de signaler ce commentaire aux administrateurs du groupe, convaincue que l’on serait tous d’accord pour considérer que ces propos n’ont nullement leur place au sein d’un groupe de psychologues bienveillants, et qu’un recadrage de leur part serait pertinent. Cependant, le simple fait d’oser signaler ce commentaire m’a valu une déferlante de réponses agressives ou encore moqueuses me faisant passer, moi, pour la fautive. En effet, je peine à le croire mais tout le monde semble d’accord pour affirmer que ces propos relèvent simplement de la liberté de parole de l’autrice. Les quatre administrateurs sont unanimes, et me reprochent de ne pas avoir laissé, je cite, “l’espace et le temps” à la principale intéressée de répondre. Aucun d’entre eux ne lui demandera de s’expliquer. Encore pire, ils surenchérissent et font de ”l’humour” en faisant allusion à l’une des planches de Rorschach (test projectif) en forme de chauve-souris, et ils semblent trouver cela drôle… Je n’en crois pas mes yeux à ce moment-là tant la situation est surréaliste… Quand je demande à l’un des administrateurs de réagir il me rétorque ironiquement “intervenir ? vous voulez que j’envoie le GIGN chez cette personne ?” (cf. captures d’écran ci-jointes). Les admin me diront ensuite que le commentaire n’est pas haineux.

L’islamophobie véhiculée par ses propos semble être réduite ni plus ni moins à une « liberté de parole ». Les commentaires ironiques me faisant passer pour quelqu’un de susceptible se succèdent, personne ne voyant le mal dans le fait de qualifier des milliers de femmes de chauve-souris. Ce consensus abject de la part de confrères et consœurs a sans doute été plus violent à vivre que le propos en lui-même. En revanche, la pseudo liberté d’expression qui justifie qu’on insulte des femmes de chauve-souris ne me sera pas accordée puisqu’on me demande expressément de m’arrêter, car je deviens “lourde et insistante”, plus tard on me demandera également “d’arrêter d’alimenter la polémique”. Je crois rêver, ou plutôt cauchemarder.

Refusant de me taire, on va ensuite m’y contraindre, puisque les commentaires seront alors désactivés sous la publication en question. Liberté de parole à géométrie variable donc qui permet de rabaisser une certaine catégorie de femmes mais pas de s’opposer à des propos racistes. A la lâcheté des propos viennent s’ajouter les clichés sur les femmes voilées qui serait soumises par essence et qui par conséquent ne pourraient en aucun cas être psychologues, ni se retrouver au milieu de cet entre-soi de psychologue blanc.hes. Drôle de féminisme où le mépris prévaut sur la sororité.

Ne parlons même pas ici du sens grotesque du commentaire en lui-même, qui pourrait prêter à sourire par son absurdité : cette femme clame fièrement qu’elle enlève le haut sur la plage (topless) lorsqu’elle voit une “chauve-souris” (femme en burkini donc). On comprend en filigrane qu’elle se sent provoquée (par une femme qui ne l’a sûrement même pas remarquée d’ailleurs) et veut donc provoquer à son tour… en montrant sa poitrine, comme si cette dernière allait être une sorte de kryptonite, à la vue de laquelle la femme vêtue d’un burkini tomberait directement à la renverse… cela n’est pas sans rappeler les procédés de Génération Identitaire, mettant du porc dans les rayons Halal des supermarchés. Une bonne fois pour toutes : chers fachos, ni le porc, ni la vue de seins nus ne sont nocifs à la vue de musulmans, calmez-vous !

Cette histoire pourrait rester anecdotique tant malheureusement banale, mais l’ampleur de l’islamophobie qui touche l’ensemble de notre société prend des proportions de plus en plus inquiétantes. Pour ma part, c’est la première fois que je me retrouve face à des propos racistes proférés avec autant d’aisance de la part de "consœurs" et c’est précisément cette aisance qui m’inquiète. Je recevrai tout de même par la suite des messages de soutien via la messagerie privée Messenger.

Les nombreux témoignages d’agression de femmes voilées en France devraient nous alerter. Tolérer ce type de propos c’est se rendre complice d’une violence raciste qui a trop souvent justifié des violences physiques à l’encontre des femmes voilées. Que ces propos soient tenus par des soi-disant féministes semble être ici le comble de l’ironie.

Dans un contexte de violence islamophobe qui touche particulièrement les femmes, il semble indispensable de rappeler la nécessité de penser un féminisme intersectionnel qui prendrait en compte l’ensemble des formes de domination et de discrimination que vivent l’ensemble des femmes pour dépasser les « biais blanc » de certains discours féministes. Discours qui, par ailleurs, ne fait que reproduire l’oppression prétendument combattue. Le féminisme intersectionnel donne ainsi de la visibilité aux femmes qui subissent à la fois le sexisme et le racisme, le sexisme et l’homophobie ou encore le sexisme et le classisme, et pourrait prendre place au sein d’une lutte féministe INCLUSIVE. Si cette conception ne comporte rien de nouveau pour les féministes décoloniales qui défendent cette vision depuis bien longtemps en France, l’offensive islamophobe qui se tient au plus haut sommet de l’État nous pousse à en rappeler la pertinence. En effet, la libération de la parole islamophobe est à replacer dans le contexte d’instrumentalisation politique des attentats terroristes qui a permis au ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, de s’octroyer le droit de s’attaquer aux “thèses intersectionnelles” à l’Université ou encore au Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de dissoudre récemment le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF). Cette montée en puissance de l’islamophobie institutionnelle, qui légitime le développement du racisme ordinaire et des discours haineux, exige une réponse collective et à la hauteur des enjeux de demain.

Par pitié, laissons ENFIN les femmes disposer de leur corps comme bon leur semble !

 
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