http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
8 de décembre de 2020 Twitter Faceboock

Interview
« Une politique écologique, c’est une politique aux mains des travailleurs » : Adrien Cornet, CGT Total
Arthur Nicola

A l’occasion de la journée mondiale pour le climat, nous avons interrogé Adrien Cornet, délégué syndical CGT à la raffinerie de Total Grandpuits. Pour lui, il faut dépasser l’opposition entre maintien de l’outil industriel et politique écologique.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Une-politique-ecologique-c-est-une-politique-aux-mains-des-travailleurs-Adrien-Cornet-CGT-Total

Crédit photo : O Phil des Contrastes

Propos recueillis par Arthur Nicola.

Révolution Permanente : les médias dominants ont tendance à opposer les impératifs écologiques et notamment la baisse d’émission de gaz à effets de serre avec la nécessité de préserver les emplois. Certains reprochent aux syndicats de ne pas être pour les réductions de CO2 parce que ça supposerait des suppressions d’emplois dans certaines branches du pétrole ou de l’automobile. En tant que raffineur à Total Grandpuits, que penses-tu de cela ?

Adrien Cornet, délégué syndical à la CGT Total Grandpuits : L’opposition entre travailleurs et transition écologique est fausse et contre-productive. Le fait de faire passer la CGT pour un syndicat qui est toujours productiviste et qui pense que le réchauffement climatique ne compte pas et qu’il faut d’abord faire passer avant tout la survie des entreprises et des industries qui consomment et qui produisent des énergies fossiles c’est une fausse idée. Les travailleurs en réalité vivent au milieu de cet environnement ; ils sont conscients qu’il n’y a pas un réel combat pour protéger le climat.

Ce qu’on porte comme idée à la CGT Grandpuits, c’est qu’on est conscients qu’il faut dépasser les énergies fossiles, mais pas au détriment des travailleurs. Au sein des raffineries on a des travailleurs qui ont des compétences, qui sont formés au niveau industriel et qui sont capables de produire les énergies de demain, qu’elles soient propres et respectueuses de l’environnement et qui répondent à nos besoins. Mais ces besoins on doit les définir non pas en fonction des profits de l’entreprise mais en fonction de nos besoins en termes de chauffage, d’énergie, autant de choses qui doivent se penser en dehors des conseils d’administration des entreprises capitalistes.

RP : Dans le cas de la restructuration de Grandpuits qui entraînerait 200 suppressions d’emplois, Total essaye d’expliquer que ces suppressions sont nécessaires du fait de la transition écologique. Qu’en penses-tu ?

Adrien Cornet : Aujourd’hui Total nous dit que pour réinvestir dans Grandpuits il faut transformer l’outil de travail pour une « reconversion verte ». C’est un faux argument parce qu’en réalité qu’est ce qui va se passer quand les capacités de raffinage de Grandpuits vont fermer ? Les produits finis vont être importés de pays où les normes environnementales et sociales sont moindres par rapport à la France. L’idée ce n’est pas d’opposer les travailleurs du Moyen-Orient ou d’Asie aux travailleurs français mais bien de dire : où sont les normes sociales et environnementales les plus hautes ? Où y a-t-il des CHSCT et des syndicats avec des traditions de luttes qui peuvent faire respecter le droit du travail ? C’est en France, et notamment à Grandpuits où l’on a ces possibilités et c’est pour cela qu’il faut conserver le raffinage. Non pas ad vitam eternam, mais le temps de trouver une réelle stratégie de transition écologique et de savoir comment on fait pour que les outils industriels de demain ne soient pas au service du profit mais bien au service de la protection de l’environnement.

La transformation de Grandpuits par Total avec un PSE qui prévoit 700 suppressions de poste ne répond pas à des besoins. On pourrait dire que demain on a plus besoin de plastique. On pourrait se passer du plastiques des pots de yaourt ; il suffirait qu’on ait tous des yaourtières qui soient réutilisables. Aujourd’hui on produit du plastique pour continuer à assurer des sorties pour les produits qui sont issus des hydrocarbures : c’est en cela que c’est nécessaire. Défendre l’idée du recyclage pour le plastique c’est bien mais c’est aussi et surtout assurer une porte de sortie pour les produits issus des hydrocarbures. Imaginons que Total pense vraiment à la transition écologique. Et bien ils arrêteraient tout de suite les projets liés aux hydrocarbures : ils arrêtent le pipeline qu’ils font en Ouganda ; ils arrêtent les projets gaziers qu’ils ont au Mozambique, etc.

RP : Pour toi, la logique de Total est tournée avant tout faire les profits, contre les intérêts sociaux et environnementaux des travailleurs. Quelle politique écologique devrait donc porter la classe ouvrière ?

Adrien Cornet : La politique écologique qu’on doit penser pour la classe ouvrière, c’est avant tout une politique aux mains des travailleurs. Ce n’est pas un vain mot de dire que demain, avec les compétences des travailleurs, en leur assurant un travail qui les éloigne de la précarité, on pourrait les faire travailler pour l’écologie, pour la planète, pour protéger l’environnement. Un exemple : demain quand on va dépasser les normes qui polluent les fleuves dans lequel on rejette les eaux issues de notre industrie, plutôt que d’aller chercher des solutions pour diluer, pour cacher ces dépassements, les ouvriers arrêteraient l’outil de travail, ils chercheraient à résoudre le problème par une maintenance de l’outil de travail et ensuite ils redémarreraient l’outil en toute sécurité. Tout simplement parce qu’ils habitent aux abords de ce fleuve.

Aujourd’hui ce n’est pas ce qui se passe parce qu’une entreprise capitaliste elle pense avant tout aux profits. Un outil de travail aux mains des travailleurs, c’est penser écologie, c’est penser sécurité. Sinon demain on aura un Lubrizol bis à Grandpuits, parce que Total pense profits et rentabilité à deux chiffres. Nous on a les capacité de le penser : avec les ingénieurs et les ouvriers, on est capable de penser collectivement de comment on fait.

RP : Ce dont tu parles c’est ce que de nombreux marxistes dont Léon Trotski ont théorisé comme le contrôle ouvrier de la production…

Adrien Cornet : Oui c’est ça ! On se trompe si on se dit que c’est l’État capitaliste qui doit tout gérer et être au centre. C’est une fausse solution. Penser cela, c’est penser qu’on va se retrouver avec une gestion étatique de l’outil de travail dans un système capitaliste. Même dans une situation où l’on aurait planifié va penser d’abord la production dans le sens de faire du profit.

Si on regarde EDF quand c’était entièrement public, cela ne les a pas empêché de faire des mauvais choix. Mais pourquoi ils vont ces mauvais choix ? Un système qui enlève le pouvoir de décision aux travailleurs va toujours faire le mauvais choix : on va privilégier les économies, le profit, on va penser aides d’État alors que les travailleurs sont au centre de l’outil de travail et de son environnement. Ils vont penser leur sécurité et la protection de leur environnement. Ce sont des gens qui vivent avec le fleuve et la forêt d’à côté. C’est ce qu’il faut faire comprendre aux gens : c’est décider collectivement, mais dans un espace délimité.

Quand on pense avec les travailleurs de Grandpuits, on pense dans un espace délimité ; pareil pour une centrale nucléaire, avec les travailleurs au centre qui y produisent et y vivent. Et c’est eux qui vont pouvoir dire quand cela ne va pas et trouver une autre solution. Cela suppose mettre les capacité intellectuelles en ingénierie au service de cette protection, pas au service du meilleur financier.

RP : Pour ces objectifs, la lutte des salariés pour la reprise en main de leur outil de travail est centrale, et lors du dernier congrès de la Fédération CGT Nationale des Industries Chimiques, une motion a été votée expliquant que « la stratégie des journées d’actions isolées est une impasse car décourageante et sans perspective  ». Aujourd’hui, quelle est la stratégie à suivre pour faire reculer le patronat sur les suppressions d’emplois mais aussi sur la question écologique ?

Adrien Cornet : Aujourd’hui notre stratégie à nous, à la CGT Grandpuits c’est de dire clairement qu’on n’est pas là pour négocier le poids des chaînes. C’est pour cela qu’on a proposé cette motion qui a été votée au Congrès. On est là pour dire zéro suppressions d’emplois, pour dire clairement que des entreprises comme Total qui versent 7 milliards de dividendes en 2020, tout en prenant des milliards d’aides d’État et veulent faire croire qu’ils sont dans la misère alors que les salaires des PDG de ces mêmes entreprises augmentent, sont en train de saisir une opportunité avec le Covid.

Ils le savent et s’en saisissent : 200 suppressions d’emplois direct à Grandpuits, 500 chez les sous-traitants, 694 dans les sièges sociaux via un plan de départ volontaire. Ces suppressions d’emploi n’ont rien à voir avec la transition écologique, c’est juste réduire la masse salariale, pour optimiser la rentabilité à court-terme, plutôt que penser le bien être des salariés. Et on va se retrouver avec une stratégie environnementale à la baisse.

Notre stratégie, avec d’autres syndicats, notamment la CGT Toray qui est en train de faire une lutte exemplaire, c’est de lutter pour empêcher la signature des PSE. On ne fait pas ça par dogmatisme, mais parce que lorsqu’on a un million de chômeurs en plus, un millions de personnes qui passent sous le seuil de pauvreté en plus ; qu’est ce qui va leur arriver aux travailleurs qui ont pris un chèque d’un ou deux ans de salaire dans le cas d’un PSE ? Ces gens là vont crever de faim et se retrouver au RSA. C’est ça la suite ! Nous ce qu’on veut, c’est un emploi, qui leur permette de s’éloigner de la précarité et nourrir leur famille : c’est pour cela qu’on se bat.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com