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La Izquierda Diario
26 de mai de 2020 Twitter Faceboock

Leur « école d’après » et la nôtre 
Contre les nouvelles attaques du gouvernement, imposons une école émancipatrice
Elise Duvel

Si le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, n’a pas encore présenté de projets aboutis pour la rentrée 2020-2021 les premières pistes envisagées, à savoir les 2S2C (sport-santé-culture-civisme) et l’obligation de fournir des supports à la fois pour le travail en classe et à distance, indiquent que le gouvernement souhaite poursuivre la déconstruction de l’école. Sous couvert de la crise provoquée par le COVID 19, les solutions d’urgences, présentées comme des mesures exceptionnelles, pourraient devenir pérennes.

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Les 2S2C, « l’avenir de l’école » ?

C’est le titre retenu par un article publié sur le site du Café pédagogique » suite à l’audition de Jean-Michel Blanquer devant le Parlement. Interrogé le 19 mai sur les questions urgentes, le ministre s’est également prononcé sur la rentrée 2020-2021. Blanquer a alors introduit la dernière trouvaille du ministère, qui devait permettre le retour à l’école du plus grand nombre d’élèves, tout en respectant le protocole sanitaire : les 2S2C, pour « Sport, Santé » et « Culture, Civisme »."Nous avons à penser une place supplémentaire du sport et de la culture à l’école […] Une contrainte forte peut nous amener à une évolution positive car on avait déjà l’objectif de développer la place du sport et de la culture. Ce qui préfigure cela c’est le 2S2C". Le projet pourrait être alléchant : faire le cours à un groupe d’élèves réduit pendant que l’autre groupe fait des activités sportives, culturelles et artistiques. Mais venant de ce gouvernement libéral, on peut vite se rendre compte de la face cachée de l’iceberg. 
 
En effet, les 2S2C seraient un dispositif périscolaire proposant des activités sportives, artistiques ou culturelles avec différents intervenants extérieurs à l’école, comme des animateurs payés par les communes. Par ce biais, c’est une véritable rupture que propose le ministre. Un désengagement en bonne et due forme. Un de plus. Car si les instances locales organisent une partie du temps scolaire et péri-scolaire, cela ouvrira grand la porte à une aggravation des inégalités entre écoles et entre communes sachant que les budgets que les communes allouent aux écoles varient de 1 à 10, elles n’ont pas - ou ne donneront pas - toutes les mêmes moyens pour les mettre en place. En effet, on peut tout à fait imaginer que les communes habitées par des classes aisées, plus riches, auront les moyens pour mettre en œuvre des activités de qualité. A l’autre extrémité, lorsqu’il n’y a pas d’argent, ce sera un ballon pour le sport et des feutres pour l’activité artistique. 

Ce que ce gouvernement vise à accroître délibérément, alors qu’elles sont déjà colossales, ce sont les inégalités entre les écoliers des communes riches et pauvres. On est loin du discours et des larmes de crocodiles versées par Macron et Blanquer il y a quelques semaines, utilisant l’argument des inégalités pour rouvrir les écoles à marche forcée, dans la précipitation la plus totale, sans stratégie, et sans matériel sanitaire satisfaisant. 
Les enseignants d’EPS, d’arts plastiques ou d’éducation musicales pointent également le danger de voir disparaitre leur matière. Le gouvernement tente de faire de ces 2S2C une alternative à l’organisation de l’école actuelle excluant tout ce qui ne constitue pas les « fondamentaux » définis par les réformes Blanquer, à savoir « lire, écrire, compter, respecter autrui ».

En diminuant l’offre de formation des élèves à l’école, le gouvernement cherche non seulement à faire des économies, en déchargeant l’Éducation Nationale d’un poids qu’il juge trop élevé. Mais l’objectif « des fondamentaux » est aussi une volonté d’appauvrissement de la culture des élèves les plus socialement défavorisés. Cette école des « fondamentaux » est liée à « l’école du socle » où la discipline devient un outil pour rendre les élèves plus employables et corvéables à merci. Le socle n’offre qu’un smic culturel, en l’occurrence, pour reprendre l’expression de Christian Laval, « ce que le plus mauvais des élèves du plus mauvais des collèges doit savoir ». La culture et les savoirs ne sont plus valorisés pour eux-mêmes mais ce qui importe c’est le savoir-faire. Sous couvert de vouloir réduire les inégalités, ce nouveau dispositif déclare la guerre aux pauvres et aggrave la ségrégation sociale. 
Voilà comment ce dispositif, qui passait depuis quelques semaines pour une solution provisoire permettant l’accueil du plus grand nombre, est en train de devenir le modèle à suivre pour l’école de demain. Comme l’a dit Blanquer devant les sénateurs le 19 mai, une « école nouvelle », une "nouvelle organisation du temps" avec "une place plus importante pour le sport et la culture" et une "juste place pour le numérique".
 
 

Le Présentiel-distanciel : une école « à la carte », le renforcement des inégalités, la double journée de travail et une plus grande place au secteur privé

 
Autre sujet en discussion dans les salons du ministère : le renforcement de l’usage du numérique pour favoriser l’enseignement à distance. 
 
Un projet de loi présenté le 19 mai par une député à l’Assemblée Nationale vise à ajouter le terme « obligatoirement » à l’article suivant du Code de l’Education : « Dans le cadre du service public de l’enseignement et afin de contribuer à ses missions, un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance est [obligatoirement] organisé. » 
 
« Inclure l’enseignement distanciel comme un complément voire une solution alternative, afin de pallier des absences imprévues, élèves malades mais qui peuvent suivre les cours à distance, élèves bloqués par l’absence de transports en commun, intempéries... tel est l’objet de la présente proposition de loi ». 
 
Voici venue l’école à la carte, et des enseignants qui devront adapter leurs supports afin qu’ils puissent s’accorder au présentiel et au distanciel au pied levé selon les aléas et des désirs des uns et des autres. C’est la porte ouverte à la double journée de travail, celle avec les élèves en présentiel et celles avec les élèves restés chez eux pour Y ou X raison. 
Bien sûr, ceci n’est qu’un projet, qui ne sera peut-être pas voté, mais il exprime le désir des macronistes et consorts d’instaurer une école numérique. 
 
Une école à distance est une manne financière importante pour les amis de Macron et son monde. Toute une série de plateformes privées existent déjà et pourraient voir augmenter leurs bénéfices grâce à la généralisation de l’école à distance. 
Quand on sait qui se cache derrière Blanquer à la rue de Grenelle, siège du ministère, on n’est pas surpris. En effet, le directeur du cabinet du ministre de l’Éducation nationale Christophe Kerrero est aussi membre du conseil scientifique de l’IFRAP, un lobby libéral qui milite notamment pour la réduction des effectifs de fonctionnaires. Entre les membres de l’Institut Montaigne, l’IFRAP et les lobying des plateformes privées en ligne, le ministre est parfaitement entouré de tous les vautours libéraux. 

Pourtant, l’école à la maison a révélé encore plus la réalité de cette école à deux vitesses. Très vite, le problème de l’école à distance via le numérique a mis en lumière les inégalités, déjà très fortes entre les élèves, renforcées par les réformes successives des gouvernements qui n’ont eu de cesse de mener des politiques de détérioration des conditions de travail et d’études. Dans l’immédiat, en fonction de la catégorie sociale à laquelle appartient l’enfant, l’accès au numérique et à la connaissance n’est pas le même. En effet, tous les parents n’ont pas les mêmes moyens ou la capacité de pouvoir assurer ce suivi. La crainte des enseignants est de voir s’accentuer les inégalités au sein de l’école et entre les quartiers si le gouvernement souhaite pérenniser ce dispositif.

De même, l’école n’est pas uniquement un lieu de transmission des savoirs, où l’enseignant.e se contenterait de faire entrer dans la tête de ses élèves les connaissances ou les savoir-faire nécessaire à leur intégration dans la société. L’école est aussi un lieu essentiel dans la sociabilité des élèves et de leurs familles. C’est l’une des réalités qu’a permis de mettre en lumière la période de confinement. Le lien émotionnel, essentiel notamment pour les plus jeunes élèves, ainsi que l’accompagnement de chacun.e nécessitent des rencontres régulières et une présence physique de l’enseignant.e. L’école est aussi, et en particulier pour les élèves les plus défavorisés, un lieu d’intégration, qui permet la rencontre avec les autres et constitue, parfois, le seul lien positif avec le reste de la société. C’est d’ailleurs ce que soulignait le ministre lui-même, lorsqu’il prétendait se lamenter sur le sort des enfants victimes de violences dans leurs familles, ou souffrant de la faim chez eux, pour accélérer la réouverture des crèches et écoles…

Notre école d’après, c’est une école émancipée

 
Même si tous ces éléments ne sont que projets pour le moment, refuser cette volonté de privatisation et cette libéralisation accentuée qui ne dit pas son nom, c’est refuser la fonction actuelle de l’école, une fonction qui sert à reproduire les classes sociales et à les légitimer. L’école, dans cette société, divise, sépare et produit les classes sociales. Et parce que l’école reproduit les classes sociales, elle est à deux vitesses. Avec la crise sanitaire, les inégalités inhérentes de la société entière éclatent au grand jour.

Le secteur de l’éducation est en ébullition face à toutes les contre-réformes successives qui ne cessent de détruire le service public national.
L’émancipation de tous et toutes devrait être le cœur du travail d’enseignant. Pour les enseignants comme pour les élèves et l’ensemble de la société, la situation de crise que nous traversons force à penser quelle école nous voulons et dans quelle société nous la voulons ! Dans l’Education Nationale, la crise sanitaire nous donne l’occasion de faire un bilan critique de l’école.

Elle nous permet aussi, paradoxalement, d’expérimenter de nouvelles formes d’écoles, qui donnent du crédit aux revendications portées par les enseignant.e.s et professionnels de l’éducation depuis des années. Nous faisons aujourd’hui l’expérience d’effectifs réduits, de contacts renforcés avec certaines familles, d’une adaptation du rythme des apprentissages à la situation et aux besoins des élèves, et pouvons constater par nous-même qu’une autre école est possible, et qu’elle est même souhaitable. 

De cette expérience, le gouvernement ne choisit que de pérenniser le pire. La destruction de l’école s’insère dans une vision globale de la société, où ce sont les intérêts économiques des grands patrons et des actionnaires qui dirigent les décisions de l’Etat. Le choix de prioriser le retour au travail pour relancer l’économie, d’investir des milliards dans des plans de sauvetage à des entreprises qui s’apprêtent à licencier à tour de bras tout en continuant à verser des dividendes à leurs actionnaires, et, à l’inverse, les économies constantes sur les services publics - l’hôpital, l’école, la culture… - montrent qu’il n’y a d’argent magique que pour ceux qui en possèdent déjà.

C’est pourquoi combattre le projet d’école défendu par le gouvernement et construire une école de l’égalité ne passera que par un renversement global de cette société, qui produit – et reproduit - les classes sociales. Pour cela, il est plus nécessaire que jamais de s’unir pour lutter ensemble contre le monde qu’on souhaite nous imposer.

 
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