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La Izquierda Diario
10 de mai de 2020 Twitter Faceboock

Crise sanitaire et sociale
Quelle école face à la crise quand « des gamins de ta propre classe ne vont pas manger » ?
Jackson Leniwy
Marion Dujardin, enseignante dans le 93

Macron veut rouvrir les écoles pour imposer la reprise économique au mépris des risques sanitaires. Face à la gestion catastrophique de la pandémie par le gouvernement, à la faim et à la misère qui frappe les classes populaires, les travailleurs de l’éduc’ peuvent mettre l’école à disposition pour résoudre la crise.

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Une file d’attente lors d’une distribution d’aide alimentaire à Clichy-sous-Bois. - AFP

De plus en plus de foyers touchés par la crise alimentaire

En temps « normal », ce sont plus de 5 millions de personnes qui bénéficient quotidiennement d’aides alimentaires. Ce qui est déjà anormal ! Pertes d’emplois en masse, fermetures des écoles et donc des cantines scolaires, chômage partiel, étudiants précaires par exemple à l’université Paris VIII à Saint-Denis... Le confinement a fait exploser les besoins de ces aides depuis près de deux mois. Selon le Secours Populaire, la demande a été multipliée par trois dans certaines villes et de nouvelles familles continuent d’arriver chaque jour. Et encore une fois, ce sont principalement les quartiers populaires qui sont les plus touchés par la crise.

Mais si de plus en plus de foyers sont aujourd’hui en situation de détresse alimentaire, c’est que beaucoup ne peuvent pas travailler, mis au chômage partiel ou total, et ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. Il y a quelques jours France 3 Paris Ile-de-France titrait qu’« un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté et ne mange pas toujours à sa faim ». Et en effet dans la période le nombre de licenciements s’accélère, comme dans le secteur du tourisme et de la restauration où de nombreux établissements menacent de mettre la clé sous la porte avec beaucoup de travailleurs sans contrats de travail stable voir sans contrat du tout, mais aussi dans l’industrie et notamment l’aéronautique où des sous-traitants de grands groupes annoncent leur intention de licencier les ouvriers à la pelle, précarisant ainsi des familles entières.

Dans ce contexte, le 23 avril dernier, le gouvernement annonçait une aide de 39 millions d’euros destinée aux différentes associations et territoires. Une somme bien maigre rapportée aux 110 milliards offerts au grand patronat dans le cadre du plan global présenté par la macronie quelques jours plus tôt pour tenter de faire face à la crise économique, ou même des 7 milliards d’euros que l’Etat destine exclusivement à Air France. Une nouvelle démonstration des priorités de ce gouvernement qui préfère mettre en vente des masques à des prix exorbitants dans les supermarchés plutôt que de les mettre à disposition de tous ceux qui en ont besoin.

Face à la gestion catastrophique de la crise sanitaire par le gouvernement et à son incapacité à répondre à la crise sociale autrement que par la répression dans les quartiers populaires, ce sont les plus précaires eux-mêmes qui s’organisent pour distribuer les aides vitales à des millions de personnes. Ces dernières semaines, les associations ont vu arriver beaucoup de nouveaux bénévoles. Et pour cause, face aux demandes grandissantes d’aide et à l’augmentation croissante des prix il y a urgence à prendre nos affaires en main.

Face au gouvernement et au patronat qui veulent nous faire payer la crise, des exemples de solidarité

L’initiative des travailleurs de l’usine Neuhauser en Moselle pour dénoncer l’intention de la direction de l’entreprise de détruire 800 à 1200 palettes de denrées alimentaires et réclamer leur distribution est exemplaire et évoque est un symbole de la solidarité de classe dans toute sa splendeur. A l’image d’un mai 68, lorsque les paysans venaient directement apporter des victuailles dans les usines comme celle de Sud Aviation.

Le 30 avril dernier suite à la pression médiatique [les travailleurs de Neuhauser annonçaient une première victoire : « Les produits concernés ne seront plus destinés à la destruction mais seront redistribués aux associations ainsi qu’aux salariés. Si d’aventure les stocks n’étaient pas écoulés par ce biais, ils seront directement redistribués à la population, notamment par un système de « drive », géré par des salariés eux-mêmes, impliqués et conscients des enjeux. » Même si quelques jours plus tard la direction a fini par jeter plusieurs palettes, cette lutte doit nous inspirer dans la période.

À Marseille les travailleurs du McDonald’s de Saint-Barthélemy ont quant à eux réquisitionné le site depuis le début du confinement afin de distribuer des colis alimentaires à la population des quartiers nord de la ville qui vivait la précarité et la misère avant même le confinement, et se retrouve aujourd’hui dans une situation dramatique. Une action à laquelle la direction de McDonald’s France s’oppose, alors qu’elle relance partout son activité au mépris de la santé des salariés. Nair Abdallah, membre du collectif Maison-Blanche, témoigne : « Nous au début on était confinés, on a laissé passer 4, 5 jours, et quand on a vu que le confinement était repoussé on a décidé de retourner sur le quartier. Les familles commencent à nous dire qu’elles ne mangent plus rien, par exemple une mère de famille nous a expliqué qu’elle ne mangeait que de la soupe à l’oignon avec ses trois enfants depuis plus de trois jours ».

Alors que le gouvernement donne des milliards aux grands patrons et veut faire payer la crise aux plus précaires, les travailleurs du Mac Donalds marseillais de Saint-Barthélemy donne l’exemple. Solidaires, ils montrent qu’il est possible de reconvertir la production pour satisfaire les besoins de la population. Étendre cette expérience aux entreprises de l’agro-alimentaire et de la grande distribution pour nourrir la population, ou encore à l’industrie textile, automobile et aéronautique pour produire des masques pour tous, des respirateurs et du matériel médical, permettrait de faire face à la crise sanitaire et économique.

Et les établissements scolaires ne sont pas en reste, puisqu’au cœur des quartiers populaires les plus durement touchés, les profs et personnels de l’éduc’ peuvent également jouer un rôle en mettant l’école au service de la résolution de la crise. Un projet que seuls les travailleurs qui font tourner la société peuvent imposer de concert avec les habitants, à l’heure où le gouvernement et le patronat n’ont qu’un objectif : déconfiner à marche forcée pour relancer la pompe à profit, au mépris des risques sanitaires, en s’en prenant aux droits des salariés, et en envoyant les profs et travailleurs de l’éduc’ en première ligne face à l’épidémie.

Mettre l’école au service des classes populaires et de la résolution de la crise

La fermeture des écoles au début de la pandémie a été synonyme d’un repas garanti en moins pour de nombreux enfants qui fréquentent d’habitude la cantine. Face à cela plusieurs professeurs ont fait le choix de se mettre au cœur de cette problématique, préoccupés par les difficultés que pouvaient rencontrer leurs élèves et leurs familles. Nous en avons interrogé plusieurs.

Comme Gwenn, professeure des écoles à Sarcelles. Elle a commencé à aider aux distributions alimentaires un peu par hasard, pour aider la famille précaire d’un élève relogé à l’hôtel pendant le confinement : « En tissant du lien avec les familles des élèves, tu te rends compte que certains sont vraiment dans une précarité extrême, n’ayant pour seuls moyens de ressources que les Resto du Cœur une fois par semaine ou la Croix rouge par exemple, et que ceux-là même se sont retrouvés en difficulté de distribution du fait de la réduction des dons au début du confinement. Du coup tu te rends compte encore plus pendant ce confinement, alors que tu apportes le travail photocopié ou en clé USB à l’hôtel, que certaines familles et que certains des gamins de ta propre classe, ne vont juste pas manger. »

L’appartement de Gwenn sert à stocker des colis alimentaire

Thomas professeur des écoles à la Courneuve a décidé dés le début du confinement de rejoindre le Secours populaire. « Alors moi j’ai rejoins le secours populaire parce que j’ai vu qu’il y avait beaucoup de gens exposés à la précarité dit-il, encore plus qu’avant tout ces gens fragiles qui étaient en marge de la société et du système et je savais que ce ne serait certainement pas l’État qui allait prendre en charge la crise et l’aide dont ces personnes avaient besoin. J’ai connu le Secours populaire par mon colocataire en fait qui est bénévole là-bas. Du coup moi je vois que ce genre d’association apportent une aide régulière a plein de gens qui sont dans des situations complexes. Après c’est vrai que moi j’ai toujours un peu une interrogation vis-à-vis du rôle de ces associations qui se substituent quelque part à ce que devrait faire la société dans son ensemble. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui font ça mais j’ai parfois eu le sentiment qu’on achète la paix sociale sur la contribution de ces associations. Je me suis dit comment concrètement maintenant je peux aider ceux qui sont dans des situations difficiles. »

Des initiatives individuelles qui font nombre parmi le corps enseignant, et qui pourraient se généraliser et s’organiser depuis les établissements scolaires. C’est ce dont témoigne Marion professeure au collège Diderot à Aubervilliers où une distribution alimentaire a été organisée la semaine dernière : « C’est l’établissement qui nous a sollicité pour participer à une distribution, on est tout de suite très nombreux à avoir dit oui. Je crois que c’est la première chose que l’on faisait qui avait du sens depuis le début du confinement ! C’est le gestionnaire qui a dans notre cas tout organisé en récupérant les fonds sociaux et en faisant les achats. Il a reçu beaucoup de dons des fournisseurs pour qui l’initiative est apparue comme exemplaire. On espère remettre ça en œuvre collectivement et rapidement. Et on espère également organiser la fabrication de masques sur l’établissement avec et pour les familles. On a décidé de prendre nos affaires en main parce qu’on sait bien qu’on n’a pas grand chose à attendre d’en haut et qu’on pense que l’on peut se mettre au cœur de la résolution de cette crise ! » Ce type d’initiative depuis les établissements scolaires à également eu lieu au collège Fabien ou au collège Garcia Lorca à Saint-Denis et il reste à les démultiplier.

Dans les quartiers populaire la solidarité des habitants est donc au rendez-vous. Mais elle ne suffit pas et doit s’accompagner des mesures d’urgence pour que ce ne soit pas aux classes populaires de payer la crise. D’abord sanitaires, comme l’exigence de masques pour tous et de tests massifs, sans quoi les écoles que le gouvernement veut rouvrir à marche forcée risquent de devenir des foyers de contamination. Mais pas seulement puisque pendant que de nombreux foyers ont perdu avec le confinement tout ou une partie de leurs revenus du jour au lendemain et peinent à se nourrir, les entreprises de la grandes distribution et de l’agro-alimentaire font des profits comme jamais, et leurs bénéfices ont bondi de 22%.

Par conséquent l’Etat doit imposer le gel des prix des produits de première nécessités qui pèse aujourd’hui sur les finances des plus précaires. Les habitants du quartier devrait pouvoir contrôler les prix en s’organisant en comité de quartier, tandis que les salaires devraient être indexés sur l’inflation au cas où les prix augmentent quand même. Pour tous ceux qui se retrouvent sans revenus ou avec des pertes considérables, il faut une allocation universelle à hauteur du SMIC, la suspension des loyers et des factures d’eau, gaz et électricité. Et surtout interdire les licenciements et partager le temps de travail entre toutes et tous sans baisse de salaire est donc primordial pour faire face à la crise, puisqu’à la racine de ce mal il y a les licenciements qui ont entraîné ces pertes de revenus et le chômage de masse qui ne fait qu’augmenter avec 250.000 personnes supplémentaires inscrites à Pôle Emploi en avril.

Alors que le gouvernement fait passer les intérêts des entreprises avant la santé de la population, il est clair que ces mesures ne pourront être imposées que par les classes populaires elles-mêmes, par l’auto-organisation, la solidarité et la lutte dans les quartiers et dans les entreprises. A ce titre, les profs et les travailleurs de l’éducation qui dénoncent une école « garderie du Medef » et questionnent ainsi la fonction sociale de l’institution scolaire – au service de qui et au service de quoi ? – ont un rôle à jouer. D’abord pour mettre les écoles au service de la résolution de la crise, à l’instar de ces profs et personnels qui n’hésitent pas à s’investir pour distribuer des colis alimentaires aux plus précaires. Mais aussi en requestionnant profondément la place de l’école dans une société capitaliste et en y opposant leur modèle d’école, d’apprentissage et de société. Nombreux dans la période veulent se mettre au service de la résolution de la crise tant sanitaire qu’économique, la solidarité et l’auto-organisation doivent se généraliser pour que notre classe s’organise, prenne ses affaires en mains et ne crève pas de faim !

 
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