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La Izquierda Diario
23 de octobre de 2015 Twitter Faceboock

L’avenir dure longtemps. Les batailles aussi
Althusser. 25 ans après sa disparition
Juan Dal Maso

Juan Dal Maso

Un quart de siècle après sa disparition, l’œuvre et le legs de Louis Althusser continuent de faire polémique. Dans son édition du 25 octobre 1990, Le Monde publiait une nécrologie du philosophe intitulée « Le maître brisé ». Le philosophe, poursuivait le journal du soir, est « décédé lundi 22 octobre d’insuffisance cardiaque dans le centre de La Verrière (Yvelines). Il avait 72 ans ». Le même jour, le quotidien espagnol El País titrait « Louis Althusser, le dernier grand philosophe du marxisme, est mort à 72 ans ». Le chapeau, non exempt de sensationnalisme, soulignait par ailleurs « qu’en 1980 le penseur a étranglé sa femme et se trouvait interné dans un centre ».

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Celui qui a été l’un des principaux, voire le principal philosophe identifié au marxisme au cours de la seconde moitié du XXe siècle à échelle internationale laissait davantage, derrière lui, que cette fin triste et solitaire. Avec son œuvre, il laissait en héritage un parcours discuté, contradictoire et complexe qui continue à faire débat jusqu’à aujourd’hui. Louis Althusser est né le 16 octobre 1918 à Bir Mourad Raïs (anciennement Birmandreis) en Algérie. Fils d’une famille alsacienne installée dans la colonie, il reçoit une éducation catholique. En 1939, il rentre à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de la Rue d’Ulm, mais se retrouve mobilisé quelques mois plus tard. Fait prisonnier au cours de « la Débâcle », il passera cinq ans dans un stalag. De retour en France, il commence à travailler en tant que professeur à l’ENS en 1948, date à laquelle il prendra sa carte au Parti Communiste (PCF).

Althusser est l’auteur d’une œuvre prolifique publiée de son vivant mais également de nombreux travaux qui seront publiés de façon posthume. C’est lui qui imposera, des décennies durant, une certaine interprétation du marxisme dans le champ académique et politique, son ouvrage le plus connu étant très certainement les deux volumes de Lire le Capital dont on célèbre cette année le cinquantième anniversaire de la publication par Maspéro et qui est, dans sa version originale, un recueil de textes d’Althusser et d’Etienne Balibar mais également de Roger Establet, de Pierre Macherey et de Jacques Rancière.

C’est à cet ouvrage qu’Althusser doit une bonne partie de sa renommée internationale, mais aussi à Idéologie et appareils idéologiques d’État (1970). Dans ces travaux, Althusser se profile comme l’un des principaux animateurs du courant structuraliste au sein du marxisme. Partisan d’une « lecture symptômale » des textes de Marx, Althusser cherchait à coupler les clefs interprétatives de la pensée marxiste avec certaines coordonnées clairement marquées par l’esprit de son temps, à savoir le structuralisme et l’épistémologie néo-positiviste. Althusser va ainsi tracer des oppositions entre science et idéologie, entre l’objet de la science et l’objet empirique, tout en posant la nécessité d’une rigueur formelle dans les définitions conceptuelles, l’interprétation de la succession des « modes de production » comme un processus « sans sujet », sur la base d’une combinaison conceptuelle qui tentait d’expliquer les rapports sociaux dont les hommes étaient porteurs.

De ce fait, Althusser allait en s’opposant aux différentes variantes des marxismes humanistes et historicistes qui ont eu également un certain poids au cours de la seconde moitié du XXe, non seulement en France mais plus largement en Europe. Plusieurs facteurs avaient contribué à leur émergence, à commencer par la publication, en 1932, des Manuscrits économico-philosophiques de 1844 de Marx ; le développement de l’existentialisme et des courants phénoménologiques ; la poussée des courants dissidents qui s’appuyaient sur les conceptions « praxéologiques » et humanistes prônant le « retour à Marx » face au totalitarisme dans des pays comme la Yougoslavie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie ; la « déstalinisation » entamée par Nikita Khrouchtchev lors du XXe Congrès du PC soviétique de 1956 qu’Althusser identifiait au fer-de-lance de « l’humanisme » entendu comme une idéologie promouvant la coexistence pacifique avec le capitalisme.

Un temps proche des thèses maoïstes, Mao signalant par ailleurs Khrouchtchev comme l’acteur central de la transformation de l’URSS en un « social-impérialisme » et comme porte-drapeau du « révisionnisme », Althusser identifiait les courants humanistes et historicistes comme de possibles soutiens de positionnements « ultras » tout autant que « sociaux-démocrates » qui, en dernière instance, loin de s’opposer, se complétaient, selon le philosophe.

Lorsque Mai 68 éclate, Althusser est aligné sur la politique du PCF qui ne se prive pas de critiquer les débordements gauchistes du mouvement étudiant. Cette position sera par la suite durement critiquée par l’ancien disciple d’Althusser, Jacques Rancière, dans l’un de ses ouvrages les plus connus, publié en 1974, La Leçon d’Althusser.

Influencé également par le maoïsme et la révolution culturelle chinoise, Rancière range l’althussérisme comme une « pensée de l’ordre » dans son ouvrage de 1974. Althusser, pour Rancière, ne l’avait jamais posé clairement, mais n’en pensait pas moins : mai 68 n’avait jamais existé. Rancière identifiait ce positionnement avec certaines réélaborations althussériennes à l’instar de la « lutte de classe dans la théorie » (ce qui revenait, pour Rancière, à distinguer idées bourgeoises et idées prolétaires en allant à contre-sens du scientisme de l’étape antérieure) ou encore de l’élaboration du concept « d’appareil idéologique d’Etat » sans référence aucune au mouvement de 1968 et à sa remise en cause des institutions éducatives et universitaires. L’historien britannique E.P. Thomson, un autre critique d’Althusser, aurait qualifié à son tour la critique ranciérienne « d’hallucination maoïste ». Pourtant Rancière avait réussi, en 1974, à toucher l’une des contradictions de celui qui avait été son maître : sa solidarité vis-à-vis de la politique du PCF.

De la période postérieure à la poussée ouvrière et populaire qui va de 1968 à 1981, on retiendra ses écrits sur le « matérialisme de la rencontre », très populaires dans de nombreux secteurs de la gauche européenne actuelle en raison de son insistance sur la contingence, la critique de la téléologie et son anti-déterminisme radical.

Pour Warren Montag, auteur de Althusser and his contemporaries. Philosophy’s perpetual war, publié en 2013, ce changement de perspective du structuralisme à la contingence est plus apparent que profond. Althusser, selon Montag, a toujours maintenu une tension entre ces deux positions que l’on pourrait retrouver y compris dans Lire Le Capital, une œuvre au sein de laquelle Montag identifie deux conceptions distinctes de « structure ».

L’analyse globale de l’œuvre d’Althusser n’est pas l’objet de cet article, bien entendu. On se limitera à conclure sur le fait que cette œuvre tente, de façon distincte, selon les moments, de cerner la problématique qui a traversé le marxisme théorique au cours de la seconde moitié du XXe : comment établir un rapport entre les « déterminations objectives » et « l’activité subjective » qui englobe la connaissance des contradictions du capitalisme en tant que théorie de l’action politique, sans pour autant tomber dans des lectures unilatérales s’éloignant d’une façon ou d’une autre de la pensée marxiste originale.

Tant pour celles et ceux qui considèrent que l’althussérisme est une option pour la reconstruction de la pensée de Marx que pour celles et ceux, auxquels je m’identifie, qui estiment qu’il est partie intégrante de la crise du marxisme, son héritage continue à faire débat, à l’instar de son idée de la philosophie comme « champ de bataille ».

 
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