http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
27 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Covid-19, les quartiers populaires en première ligne
Confinement répressif et gestion coloniale de la crise, entretien avec Saïd Bouamama
Gabriel Ichen

Saïd Bouamama est sociologue et militant du Front Uni de l’Immigration et des Quartiers Populaires (FUIQP). Dans cet entretien exclusif, nous revenons avec lui sur la situation dans les quartiers populaires face à la gestion répressive de la crise sanitaire et économique, mise en exergue par les dernières nuits de révolte.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Confinement-repressif-et-gestion-coloniale-de-la-crise-entretien-avec-Said-Bouamama

Crédit photo : Cyrille Choupas pour Ballast

Révolution Permanente : La crise sanitaire a révélé que la société entière reposait bel et bien sur les travailleurs et travailleuses. Quand on regarde les visages de ces « héros du quotidien » qui risquent leur vie en allant travailler on y voit bien souvent des personnes racisées. Comment l’expliquer selon toi ?

Saïd Bouamama : Une des leçons de la crise du covid-19 c’est qu’elle fait éclater ce qui est habituellement invisibilisé. C’est ce que j’appelle la notion de révélateur. Quand une société est confrontée à des chocs de ce type, cela visibilise ce qui est habituellement invisibilisé malgré les désirs de la classe dominante. Or ce qui est donné à voir ici c’est l’hétérogénéité de la société française en termes de conditions sociales. Cela se joue aussi pour les classes populaires qui ne sont pas une réalité homogène. Au sein des classes populaires il y a une hiérarchie qui est structurée et déterminée par la classe dominante.

L’immigration joue une fonction particulière là-dedans. En effet, l’immigration n’est pas un simple apport de population c’est d’abord un mode de constitution des fractions les plus exploitées du monde du travail. Pour répondre aux besoins des capitalistes et qu’ils puissent augmenter leurs profits, on fait venir des immigrés qui vont, non pas s’intégrer dans la société, mais s’insérer par le bas dans les fractions les plus dominées, les plus exploitées, dans les emplois les plus dangereux et les plus flexibles en termes de droit du travail.

Aujourd’hui, avec cette crise on a une visibilité claire de cette hiérarchisation et on voit bien à quelle place se situent ces « héros du quotidien ». Ils se situent au plus bas de l’échelle sociale. Le sociologue Abdelmalek Sayad soulignait déjà depuis longtemps que l’on n’a pas à faire à une immigration mais à l’arrivée de travailleurs immigrés. Immigrés et travailleurs sont des synonymes dans notre société. Ce sont les immigrés et leurs enfants qui sont envoyés dans tous les emplois sur lesquels repose le fonctionnement quotidien de la société.

RP : Ces mêmes héros du quotidien, célébrés dans les médias bourgeois, subissent pourtant de plein fouet la répression dans les quartiers populaires comme aux Ulis ou à Villeneuve-la-Garenne. Peux-tu expliquer ce phénomène de « double peine » qui touche les quartiers populaires ?

S.B. : En réalité ces héros du quotidien ne sont pas célébrés par la classe dominante et les médias bourgeois. Mais ces derniers sont contraints, aujourd’hui, de prendre en compte la visibilité du phénomène qui le rend incontournable. On aurait tort de considérer que c’est un véritable changement. C’est plutôt un recul tactique des classes dominantes, c’est une prise en compte du rapport de force à un moment donné et de la colère populaire qui peut s’exprimer dans une telle situation. Le véritable enjeu va se trouver dans la capacité de notre camp social à maintenir ce rapport de force. Ou, au contraire, la capacité de la classe dominante à nous imposer l’idée selon laquelle il faudra faire des efforts et des sacrifices pour reconstruire l’économie.

J’en veux pour preuve qu’on aurait pu avoir un plan d’urgence de revalorisation des salaires et des conditions de travail pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs. Et qu’a-t-on eu ? Une vulgaire prime de 1000 euros pour certains secteurs. On voit bien qu’il n’y a aucune volonté de prise en compte réelle de la place des travailleurs et de leur rôle social : celui de faire tourner l’économie.

La hiérarchisation, la parcellisation de la classe ouvrière a pour objectif premier d’éviter les luttes communes entre ses différents secteurs. Le capitalisme a créé un sous-prolétariat au sens de prolétariat surexploité, pour lequel les contradictions du système ont toujours été très fortes. Or la classe dominante a toujours eu peur des colères et des révoltes de ces secteurs. D’autant plus que ce prolétariat surexploité est aussi spatialisé c’est-à-dire qu’il habite dans des territoires particuliers où la proportion de personnes ayant la même condition sociale est énorme. Cela entraîne donc le risque de révoltes. Autrement dit, le rapport aux quartiers populaires, le rapport à l’immigration et à ses descendants, en particulier dans sa gestion policière, n’est pas simplement le résultat de débordements policiers. C’est le résultat du besoin de contrôler les quartiers populaires et de la peur des révoltes qui peuvent surgir de ces quartiers par la classe dominante.

Les violences policières dont on parle, sont des pressions constantes qu’il faut comprendre comme des messages adressés aux quartiers populaires pour contenir les colères et les révoltes. Donc aujourd’hui il n’est pas contradictoire d’avoir d’un côté une célébration des héros du quotidien, mais qui rappelons-le, est tactique et momentanée. Et, de l’autre côté, l’existence d’un système qui cadenasse les quartiers populaires afin qu’ils n’entrent pas en contact avec d’autres fractions du monde du travail, avec d’autres secteurs du prolétariat afin de les maintenir marginalisés de telle sorte que : soit, les révoltes ne parviennent pas à s’exprimer, soit, quand elles s’expriment, elles se retrouvent dans l’isolement total.

Aujourd’hui, si on regarde de près ce qui se passe dans les quartiers populaires, on s’aperçoit qu’aucun dispositif n’a accompagné l’impact économique du confinement qui a arrêté un certain nombre de secteurs. Un arrêt qui allait produire des conséquences désastreuses sur les conditions de vie des habitants des quartiers populaires. En clair, on avait là une population qui était déjà dans des conditions de survie, de grande précarité, et qui se voit supprimer les quelques revenus qu’elle avait puisqu’elle ne peut plus travailler. Ce sont des secteurs pour lesquels la moindre baisse de pouvoir d’achat vient remettre en cause la survie des personnes. Aujourd’hui dans les quartiers populaires on a donc une situation économique dramatique avec des problèmes alimentaires, des problèmes de faim qui réapparaissent.

Si vous ajoutez à cela la pression policière constante et le système policier, qui bien entendu, ne va pas rompre avec sa culture raciste et de mépris de classe, on se retrouve avec la situation actuelle qui est effectivement une double peine pour les quartiers populaires. Voire même une triple peine, avec d’un côté la pauvreté et les problèmes de faim immédiate pour ceux qui ne bossent plus. Car certaines activités ont été arrêtées et ne bénéficient pas de chômage partiel car ils occupent la plupart du temps des emplois précaires et non protégés. Et, d’un autre côté pour ceux qui bossent encore, le fait d’être dans des secteurs dans lesquels il n’y a pas de conditions sanitaires et d’hygiène suffisante pour faire face au virus.

Il faudra regarder le bilan humain de l’épidémie ! Il faudra faire les comptes en termes de classe sociale, quelle classe a donné le plus de mort ? Il faudra regarder aussi en termes d’origines et y compris en termes de sexe et on s’apercevra qu’on n’a pas du tout été égaux devant l’épidémie. Et on verra que les classes populaires, et en particulier celles issues de l’immigration l’auront payée très chèrement. Et en réponse à cette situation que voit-on ? La pression constante des forces de police dans les quartiers ce qui entraîne forcément un sentiment de colère énorme.

RP : Face à cette situation, de nombreux quartiers se soulèvent et des révoltes ont éclaté dans plusieurs villes de France ces derniers jours. On pense tout de suite aux révoltes de 2005. Une bonne partie de la gauche et de l’extrême-gauche avait refusé de soutenir ces dernières. Est-ce que les coordonnées sont différentes aujourd’hui après le nouveau cycle de lutte des classes ouvert par les Gilets Jaunes et confirmé par le mouvement de grève de décembre dernier ? Notamment vis-à-vis de la question de la répression quotidiennement connue en banlieue et qui s’est étendue à d’autres secteurs des classes populaires.

S.B. : Pour bien saisir toutes les coordonnées de cette question, il faut d’abord bien comprendre ce qu’ont représenté les soulèvements de 2005. Novembre 2005, ce sont près de 400 quartiers qui se soulèvent pendant 21 jours. Autrement dit à ce moment en termes historique c’était la plus grande révolte populaire depuis la commune de Paris. On aurait pu s’attendre, à ce moment-là, non pas à un accord béat sur les révoltes, mais à une dynamique de soutien et d’unification de notre camp social. Or il s’est passé autre chose.

On a eu une marginalisation, un isolement, voire l’approbation de la répression d’État parmi de nombreuses forces à gauche et parmi les organisations du mouvement ouvrier. Cela a représenté une rupture dans la possibilité d’unifier les classes populaires contre un même ennemi. La leçon tirée de 2005 dans les quartiers populaires a été : « nous ne sommes pas perçus et pris en compte comme faisant partie des classes populaires ».

Est-ce que les choses ont changé depuis ? A l’évidence des choses ont changé. Car l’appareil d’Etat et la classe dominante ont été contraints, de par leur crise, par l’ampleur des mouvements de contestation comme les Gilets Jaunes, d’appliquer la répression violente de la police à des fractions des classes populaires qui en étaient jusque-là épargnées. Certaines prises de conscience ont donc été faites, soit parce qu’il y a eu des convergences concrètes de soutien des uns aux autres, soit parce qu’il y a eu des rapprochements à travers des campagnes de soutien ou de solidarité. Est-ce que ça sera suffisant pour éviter la réédition de l’isolement des quartiers populaires comme en 2005 ? Rien n’est certain.

Cette extension de la prise de conscience de la violence systémique de la police à des fractions plus large des classes populaires est récente. Elle n’a pas encore eu le temps d’imprégner l’ensemble du mouvement social et de se transformer en véritable culture politique. C’est un pas en avant énorme mais on ne sait pas encore si ce sera suffisant pour éviter un deuxième 2005. D’autant plus qu’en face, l’État et la classe dominante ne seront pas passifs. L’attaque idéologique sur ce qui se passe dans les quartiers populaires est déjà en cours. Elle avait déjà commencé avant même les dernières explosions à Villeneuve-la-Garenne.

La classe dominante, son État et ses médias avaient commencé dès le début du confinement avec un discours sur l’incivilité des habitants de quartiers populaires, sur leur irresponsabilité. On a vu se multiplier les déclarations disant qu’ils ne respectent pas le confinement avec des soi-disant chroniqueurs et journalistes s’autorisant à faire des commentaires, sans base d’enquête et sans chiffres à l’appui. On voit bien là comment on gère une crise par la peur. Il s’agit de présenter une partie de la population comme allergique à la rationalité, allergique au minimum de responsabilité et donc des personnes qu’on ne peut pas soutenir. On les construit comme des barbares, comme des sauvages incapables de comprendre la nécessité du confinement et le danger qu’ils feraient courir au reste de la société.

Il y a là une bataille aussi idéologique entre, d’un côté la prise de conscience héritée du mouvement des gilets jaunes de la bataille contre la réforme des retraites, sur le rôle de la police contre les classes populaires notamment, et d’un autre côté, la campagne idéologique de la classe dominante. Par rapport à cette course de vitesse il est impératif d’appeler aujourd’hui le maximum d’organisations, d’associations, de syndicats, d’unions locales, peu importe le niveau, et de multiplier les déclarations de soutien vis-à-vis des quartiers populaires. Des déclarations qui lancent un signal visant à dire que nous ne sommes pas dupes et que ces révoltes des quartiers populaires ne sont pas ce que la classe dominante voudrait nous faire croire.

RP : Lors des GJ il y avait eu une jonction avec les quartiers populaires, et notamment le Comité Adama, sur des intérêts de classe communs. On voit que les révoltes en banlieue expriment aussi un ras-le-bol social similaire auquel s’ajoute évidemment le racisme d’État. Comment construire cette solidarité et cette unité de classe ? Quel rôle le mouvement ouvrier doit-il jouer sur cette question ?

S.B. : Le mouvement ouvrier a un rôle primordial à jouer dans l’unification des classes populaires. En novembre 2005, dès la première semaine de révolte, j’avais proposé un texte à l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier (qui bien entendu n’a pas été repris). Ce texte faisait la proposition d’une manifestation commune en direction des quartiers populaires de la Seine-Saint-Denis avec un message clair : vous êtes nos enfants, vous êtes nos frères. Il est impératif de réaffirmer un « Nous » des classes populaires.

Je pense que la question qui se pose par rapport aux révoltes c’est celle-là : une fraction des classes populaires se révoltent ; va-t-elle être isolée ou va-t-elle être comprise comme étant une révolte populaire à part entière ? C’est l’enjeu de ce qui se passe aujourd’hui dans les quartiers.

RP : La grève de décembre avait révélé de nouvelles figures ouvrières, issues de l’immigration et des quartiers. Une section de la CGT RATP Bus à Pantin a pris position contre la répression dans les quartiers à la suite de l’affaire de Villeneuve-la-Garenne où un jeune a été gravement blessé. Vous évoquiez dans la dernière échéance du FUIQP la nécessité de construire un syndicalisme plus politique qui pose la question notamment du racisme au travail et de la surexploitation produite par le racisme. Et justement dans la grève de décembre on a vu émerger des nouvelles figures ouvrières issues de l’immigration et des quartiers. Dans le contexte actuel quel rôle peut jouer cette « nouvelle peau » du mouvement ouvrier ?

S.B. : C’est une très bonne nouvelle. C’est sans doute la seule perspective si on veut attendre un changement structurel dans les rapports entre les différentes fractions des classes populaires. Si on essaye d’analyser ce que sont les classes populaires aujourd’hui on y voit une gestion par le capital qui revient à mettre en concurrence les forces de travail pour éviter l’unification des différents secteurs de la classe ouvrière. Il y a une hiérarchisation, constante sous le capitalisme, qui s’est renforcée ces dernières décennies.

La stratégie de la classe dominante a été d’opérer une parcellisation de la classe ouvrière en instaurant tout un système de discrimination dans lequel ceux qui sont issus de l’immigration sont dans les emplois les plus flexibles. Mais pas simplement de manière momentanée, comme pour les italiens ou les espagnols dans le passé, mais de manière quasi systémique. La classe dominante a construit cette hiérarchisation comme quelque chose de durable pour les enfants, les vagues d’immigration plus récentes en provenance du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Les travailleurs des immigrations antérieures, Italiens, Polonais ou Portugais vivaient une surexploitation au moment de leur arrivée mais par la suite, leurs enfants rejoignaient la moyenne du reste des classes populaire. Bien sûr ils ne s’intégraient pas à la nation mais s’intégraient à la classe ouvrière.

Aujourd’hui ce qu’il y a de nouveau, c’est qu’on assiste à la reproduction pour les enfants de l’immigration du statut de sous-prolétariat de leurs parents. C’est pour ça qu’on a une coloration de différents secteurs économiques. Si on regarde les différents secteurs économiques on va s’apercevoir que ce sont les secteurs dans lesquels les conditions de travail sont les plus dégradées, les salaires les plus bas et les flexibilités les plus fortes, que l’on va retrouver, non pas les immigrés, mais leurs enfants et leurs petits-enfants. On a une ligne de couleur qui s’est mise en place comme mode de gestion du rapport de classe dans notre société.

La question qui se pose est la suivante : cette partie de la classe ouvrière va-t-elle se retrouver dans les organisations incontournables du mouvement ouvrier et des classes populaires ? En particulier les syndicats ? Le syndicat est par définition la forme première de la défense des intérêts de classe immédiats et quotidiens de la classe ouvrière. On voit que les choses ont commencé à bouger et que toute une partie de ces travailleurs dont les parents étaient immigrés et qui eux sont français, mais qui ont la place économique qu’avaient leurs parents et l’immigration dans le passé, ont investi le monde syndical, y ont pris pied. C’est aussi le reflet sociologique du fait que les travailleurs racisés étaient majoritaires et concentrés dans certains secteurs et par conséquent cela s’est reflété dans les syndicats.

La question est de savoir si cette dynamique va réussir à influencer les positions des structures syndicales. L’enjeu étant que le reste des syndicats et le mouvement ouvrier prennent conscience de la nécessité d’unifier les travailleurs. L’unification des travailleurs signifie prendre en compte ce qui habituellement ne fait pas partie des cahiers de revendications. C’est-à-dire prendre en compte la question des discriminations comme agenda d’action. Aujourd’hui on se retrouve dans une situation qui est particulière et c’est pour ça que le FUIQP voulait maintenir un chantier durable sur la question de la syndicalisation.

Du côté des classes populaires issues de l’immigration la logique a été double. Une fraction des Français dont les parents étaient immigrés ont rejoint les syndicats et s’y sont socialisés politiquement. Une autre partie, du fait du silence des syndicats sur la question du racisme et sur les différentes discriminations, n’y est pas allée et s’est structuré un autre mouvement parallèle qui se retrouve dans les associations ou les collectifs de quartier. On se retrouve alors avec deux segments des enfants issus de l’immigration qui ne se parlaient pas politiquement et qui étaient juxtaposés. On avait non seulement une coupure au sein de la classe ouvrière entre descendants de l’immigration et le reste de la classe ouvrière et une coupure au sein même des quartiers populaires et des secteurs issus de l’immigration. La question qui se pose est de savoir comment on fait converger ces deux segments politiques de descendants de l’immigration et comment les faire converger avec les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier.

Concrètement, cela veut dire que la lutte au sein des syndicats a un rôle énorme à jouer et ce rôle passe par deux dimensions. La première est que les travailleurs issus de l’immigration posent les questions habituellement occultées par les directions syndicales, donc c’est une excellente nouvelle qu’une section CGT de la RATP dénonce ce qui se passe dans les quartiers populaires aujourd’hui c’est ça qu’il faut mettre en avant. La deuxième c’est vraiment le besoin d’unifier la classe ouvrière par la prise en compte des revendications des secteurs les plus opprimés.

RP : Récemment des travailleurs du Mcdonald’s de Saint Barthélémy à Marseille ont récupéré un restaurant de la chaîne pour l’utiliser pour redistribuer des colis alimentaires en lien avec des collectifs d’habitants des quartiers Nord…

S.B. : C’est dans cette direction qu’il faut aller ! Trop souvent les militants ont un discours politique pertinent mais qui reste abstrait par rapport à la réalité quotidienne des personnes dans les quartiers populaires. Aujourd’hui la question de la solidarité alimentaire, la question d’actions autour de la réquisition de restaurants par exemple et de la redistribution alimentaire est essentielle pour les quartiers populaires. C’est comme ça que se construit la légitimité. Est ce qu’on a des militants qui sont coupés de la réalité de la vie quotidienne où est-ce qu’on a des militants organisés qui peuvent se mettre au service des besoins immédiats. Ce qui se joue dans les quartiers nord de Marseille, réquisitionner un McDo pour redistribuer des colis alimentaires doit recevoir une attention très particulière, ça parle immédiatement et fait une jonction très concrète entre travailleurs et quartiers populaires.

RP : A gauche, la tête de liste EELV-LFI pour les municipales à Toulouse a adressé lundi un message de soutien à la police, tandis que d’autres pensent résoudre la crise sociale par "plus d’Etat", alors que plus que jamais, le visage de l’Etat dans les quartiers se résume bien souvent à la présence policière renforcée, avec les contrôles au faciès et la répression. A ton avis, quelles alternatives aujourd’hui pour répondre aux aspirations qu’exprime la jeunesse des quartiers populaires ?

S.B. : Selon moi 3 dimensions sont incontournables. D’abord en termes immédiats, nous ne sommes pas dans un rapport de force qui permette un renversement immédiat du système. Donc le premier enjeu est celui de la solidarité et de l’unification de notre camp social et de montrer qu’un autre « Nous » est possible un Nous des travailleurs qui ne soit pas un Nous qui mette de côté les franges les plus exploitées. Avant même de parler de revendications la question de la solidarité est centrale on ne peut laisser se faire taper dessus dans l’indifférence ceux qui se révoltent, les militants qui se font réprimer etc. Là-dessus on doit faire l’inverse de ce qui s’est passé en novembre 2005 et opposer systématiquement au mépris et à la dénonciation de ces révoltes par la classe dominante, un discours de solidarité et d’explication de ce que signifient réellement ces révoltes. Là où il y a eu des caricatures parfois méprisantes de révoltes d’un lumpenprolétariat inconscient, il faut les considérer comme des luttes sociales à part entière.

Le second point : Il faut refuser de traduire la situation actuelle en termes de solution miracle comme par exemple un illusoire retour de l’État. La question qui se pose est une question de rapport de force : va-t-on être capable de le construire pour imposer un minimum de redistribution ? Ce sont des questions très concrètes de qui va payer cette crise. Il faut imposer que ce soit une baisse des profits qui paye cette crise et non pas de nouvelles politiques d’austérité et d’attaques contre les travailleurs et les classes populaires.

Le 3e niveau est d’imposer dans l’agenda politique un certain nombre de questions qui sont des questions tabous : la question de la police comme système de répression qui porte en lui le racisme d’Etat et le mépris de classe et la question des discriminations raciales et de genre comme mode de gestion du rapport de classe dans la société française. Ce sont des questions qui doivent être mises en avant. Les positions ou débat du type « pour un retour de l’Etat » sont des pièges qui nous sont posés et qui cherchent à nous faire prendre des positions raisonnables face à un système qui n’a pour seule préoccupation que le profit. On nous demande à nous d’être raisonnables ! Il faut partir des intérêts très concrets de notre classe. Des intérêts qui sont, d’une part des intérêts économiques selon lesquels nous devons porter immédiatement des revendications en termes de pouvoir d’achat et d’accès aux biens.

D’autre part, il y a une dimension aussi politique dans laquelle il faut refuser la division et la marginalisation des révoltes d’une partie des classes populaires. Enfin il y a une dimension de type idéologique par laquelle nous devons refuser tous les discours criminalisant qui présentent une partie de la classe ouvrière comme responsable de la crise.

RP : Les tensions entre puissances impérialistes se ravivent à l’international, les puissances se livrant même à une concurrence pirate sur le ravitaillement en masques, Trump au Venezuela, l’armée française envoyée en Guyane et à Mayotte... Qu’est-ce qui se cache derrière l’annonce de Macron d’annuler la dette des pays africains ?

S.B. : Encore une fois, au niveau des rapports de force internationaux, la crise du coronavirus révèle ce qui est habituellement caché. Les tensions impérialistes révélées par la crise actuelle étaient déjà plus ou moins préexistantes à la crise et ce qui se fait jour, c’est un monde dans lequel la recherche du profit pousse les différentes puissances impérialistes à des ingérences, des déstabilisations politiques, des guerres pour le contrôle des espaces stratégiques de production de pétrole et de minerais nécessaires au fonctionnement du capitalisme.

Ce n’est pas un hasard si l’Afrique est actuellement l’enjeu des rivalités entre puissances impérialistes. C’est en Afrique qu’ont eu lieu les découvertes les plus récentes de nouveaux gisements de pétrole. Avant la crise sanitaire les impérialismes s’adonnaient déjà à des guerres par procuration ou à une instrumentalisation du djihadisme pour pouvoir maintenir un contrôle économique ou politique sur des zones stratégiques. Mais la crise du coronavirus va aussi avoir un effet sur les profits et cela augmente par conséquent la dimension concurrentielle entre les différentes puissances impérialistes. Plus que jamais ces contradictions montrent la course que se livrent les impérialistes pour savoir qui va maîtriser les productions de matières premières et pétrole.

En ce qui concerne la France, en pleine crise du coronavirus, il y a eu début avril la publication d’une note du Ministère des Affaires Étrangères. Dans cette note sont analysées les conséquences possibles de la crise sanitaire en Afrique. Or si on décrypte cette note on voit que si la crise s’étend en Afrique comme elle s’est étendue en Europe cela va provoquer des troubles politiques et des chutes de régimes. Cela signifie en réalité qu’à force d’avoir pillé les économies du continent africain, un certain nombre de pays sont dans l’incapacité de mettre en place des mesures à la hauteur d’une pandémie comme celle du covid-19, ce qui risque d’entraîner d’importantes crises politiques qui peuvent déstabiliser les intérêts français en Afrique.

Or l’impérialisme français nous dit presque explicitement comment il compte procéder pour préparer les transitions politiques pour une série d’états dont les chefs d’État et de gouvernement risquent de tomber et qui étaient inféodés aux intérêts français.

L’État français annonce que pour préparer cela il va falloir s’appuyer sur 3 catégories d’acteurs : les « start-upeur », c’est-à-dire des chefs d’entreprise ; en clair on va avoir des chefs d’État qui viennent du monde des grandes multinationales à la tête de certains Etats africains. Ensuite les artistes, et la diaspora. C’est-à-dire utiliser les quelques Noirs et Arabes qui ont réussi en Europe pour maintenir la domination dans les pays des Suds.
En clair l’annonce de Macron d’annuler la dette dans les pays africains est un outil pour accompagner les politiques de déstabilisation qui vont se multiplier avec la crise du coronavirus.

C’est l’occasion pour les puissances impérialistes d’accélérer le retour à un « modèle idéal » pour les capitalistes. C’est ce que Naomi Klein décrit bien avec la « stratégie de la catastrophe » c’est-à-dire utiliser la catastrophe et l’angoisse qui va avec la crise pour accélérer l’agenda néo-libéral.

L’annonce de Macron n’est rien d’autre que cela. Car de toutes façons, les économies africaines ne sont pas en mesure de rembourser la dette. D’abord ça n’est pas une annulation puisque après-coup on parle plus de report ou moratoire, c’est surtout un outil d’accompagnement de la remise en cause d’un certain nombre de pays dans lesquels il y a eu des décisions qui n’allaient pas toujours dans le sens des intérêts de l’impérialisme français. Certains États ont par exemple passé des accords avec la Chine. Il s’agit de remettre à l’ordre ces gouvernements quitte à les remplacer si nécessaire.

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com