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La Izquierda Diario
22 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Entretien
Précarité, manques de lits, de tests : en Seine-Saint-Denis, la crainte de nouvelles vagues
Cécile Manchette

Avec une surmortalité de +101% le département de Seine-Saint-Denis est le plus touché après le Haut-Rhin. Stéphane, délégué syndical SUD à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, revient sur les raisons d’une telle propagation de l’épidémie dans un département identifié comme étant une zone de désert médical et touché par une très grande précarité, et sur comment les soignants particulièrement "désarmés" ont fait face. Il accuse l’Etat d’avoir mis les soignants et la population en danger, et s’inquiète du retour d’une deuxième vague avec la stratégie de déconfinement du gouvernement.

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RP : Le département de Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France. Comme des sociologues l’ont souligné le CoVid 19 en Seine-Saint-Denis est rentré en "collusion" avec une situation de précarité, d’inégalités déjà pré existantes, inégalités de ressources, d’accès aux soins... Les hôpitaux ont été rapidement surchargés en lien avec le manque de lits, de moyens et l’afflux de patients en face. Plus d’un mois après le début de la crise quels sont tes premiers bilans ?

La crise est arrivée alors que hôpital public était mal en point globalement sur tout le pays. On était confronté à des difficultés structurelles d’où les mouvements de grèves qui ont touché plusieurs services et pas seulement les urgences. Il y a avait un sous effectif, un manque de lits, et parce qu’aux nos salaires étaient trop faibles. Nos métiers étaient trop durs et les salaires pas assez élevés. L’atmosphère avant la crise sanitaire c’était des collègues jeunes diplômes qui pensaient à une reconversion. Tout cela, comme cela a été dit de nombreuses fois, ne tombe pas du ciel : ce sont les conséquences de 30 ans d’attaques contre l’hôpital public.

On a donc été percutés par une épidémie extrêmement violente, elle l’a été partout en France mais encore plus en Seine-Saint-Denis. On s’aperçoit qu’on a eu un afflux massif de patients très rapidement fin mars, début avril. Ça a été le feu à Saint-denis, dans les urgences, les services de réanimation étaient blindés et il n’y avait plus de places disponibles avec des cas graves à gérer. Face à cela, on a été obligé de mettre en place des transferts vers la province.

On commence à avoir des chiffres sur la surmortalité, sur la période du 1er mars au 6 avril la Seine-Saint-Denis enregistre une surmortalité de plus de 101%, si on compare à la même période en 2019. C’est la deuxième plus grosse progression après le Haut-Rhin. C’est pour dire l’ampleur du choc à absorber. Paris en comparaison est à une surmortalité de +61%. Ces chiffres peuvent paraître étonnants pour la Seine-Saint-Denis vu que le CoVid 19 touche les plus de 65 ans et que le département est relativement jeune. La surmortalité des moins de 65%, est de + de 63%. Comment expliquer cela ? Déjà il faut faire le lien entre la pauvreté de notre département et les répercussions sur la santé des gens (plus de cas diabètiques etc). C’est aussi un département de prolétaires et d’immigrés qui ont moins accès au télétravail que les autres départements, doivent se déplacer, et la sur occupation des logements peut expliquer aussi l’impact plus fort sur notre département.

Face à ça on s’est retrouvé à gérer le mieux possible, avec des moyens très limités. Ils n’ont pas recruté du jour au lendemain. Il a fallu faire avec les effectifs qu’on avait. Nous les masques FFP2 finalement on les a eu au compte goutte. On a exposé pas mal de collègues : on a plus de 120 personnes qui ont été testés positifs sur 250 personnes testées et sur 2200 personnels. Et plein de gens n’ont pas été testés. On est en colère, l’acheminement pour le matériel de protection a été au ralenti par l’Etat. L’Etat a cherché à se protéger avec l’aide d’officine de santé plus ou moins liées à l’Etat qui ont pondu des recommandations pour cacher ce scandale d’Etat et la pénurie de matériel. C’est ce que montre l’enquête Mediapart sur les masques. On nous a dit d’utiliser des masques FFP2 que pour les actes invasifs et pas pour les soins de proximités. On a réalisé les soins de proximité avec de simples masques chirurgicaux qui ne te protègent pas des micro-goutelettes qui peuvent être propagés par les patients contrairement aux masques FFP2. Ils ont pondu des recommandations pour cacher la pénurie de masques et le fait qu’ils nous ont mis en danger. Une immense colère aussi parce qu’on on a senti le sous-effectif. On a du bosser sur des amplitudes plus larges que d’habitude, tous les services sont passés en 12H, pour économiser du personnel. Une collègue a parlé de "médecine de pénurie". Des collègues pas forcément aguerris au techniques de réanimation ont du faire de la réanimation comme cela a été le cas pour plusieurs auxiliaires de puériculture.

C’est donc un Etat à la tête de la 6ème puissance économique mondiale qui se retrouve à ne pas gérer un risque épidémique et à ne pas nous protéger en termes de masques et de tests. La stratégie plus protectrice aurait été de suivre les recommandations de l’OMS, de faire des tests massivement.

RP : Et quelle est la situation aujourd’hui dans votre hôpital ? Comment appréhendez-vous le déconfinement progressif annoncé ?

On a tous les effets positifs du confinement malgré toutes les difficultés du 93 avec le poids du secteur informel. Les gens se sont confinés. Il y a moins d’entrées aujourd’hui. Notre crainte c’est qu’on voit qui’il n’y a pas de stratégie pour le déconfinement, ils ont posé une date très proche. Une étude de l’institut pasteur dit que l’immunité collective est à 6% sur tout le territoire, on va déconfiner et derrière on va se reprendre des vagues. Est-ce qu’on sera en mesure de faire face à ces vagues ? on est super inquiets par rapport à ça. La boussole économique est mise en avant. Leur préoccupation c’est de restaurer les marges du capital. On a l’impression que les enjeux sanitaires vont passer au second plan.

Où on va ? Pourquoi sommes-nous en incapacité d’avoir des tests ? Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Jusqu’à présent on avait très peu de tests pour les soignants, il fallait passer par tout un protocole. Aujourd’hui on peut monter à 200 tests par jour. Ce sont des tests PCR qui ne sont pas très efficaces (30% de négatifs), et les tests en sérologie vendredi dernier la direction nous a dit qu’ils ne seraient pas opérationnels avant deux semaines. Pourtant, les tests c’est ce qui permet de donner des garanties sanitaires pour pas que l’épidémie se propage trop vite. On n’est vraiment pas prêts.

Le manque de test c’est peut être lié à la désindustrialisation de la France et aussi au fait qu’il n’ont pas voulu reprendre en main l’économie et assurer une planification. Ils veulent laisser l’économie sous cloche et ils n’ont pas voulu s’immiscer trop.

RP : En Seine-Saint-Denis l’hôpital public manque de moyens et c’est également le cas des écoles (manque d’enseignants, de moyens, et aussi des locaux dégradés), ils veulent rouvrir les écoles, notamment disent ils pour les « élèves en difficulté » ciblant entre autres les élèves des quartiers. Alors aujourd’hui on manque de masques, de tests etc dans les hôpitaux, l’opération de rouvrir les écoles semblent risquer non ?

Comme nos collègues de l’éducation le disent, il faut des garanties sanitaires fortes si on réouvre. Et il faut surtout que les autorités prennent la mesure de la situation sanitaire dans notre département. Tout ce qu’on va faire ce sera au regard de la situation locale. Il va falloir prendre en considération que le coronavirus ce n’est pas rien en Seine-Saint-Denis. Ce qu’ils mettent en balance c’est la reprise de l’activité économique mais comment va la population en Seine-Saint-Denis ? Est-ce que ça ne va pas faire péter des câbles aux gens ? Des personnes crèvent déjà de faim.

RP : Les policiers ont applaudi à plusieurs reprises à 20h les personnels soignants de l’hôpital Delafontaine. Aujourd’hui il y a une situation d’embrasement dans les quartiers suite aux violences policières, on sait que les contrôles et les amendes sont beaucoup plus importants dans les quartiers, et conduisent à des violences déjà habituelles en « temps normal ». Quel est votre avis sur ça ?

La conflictualité qu’on peut avoir entre une partie de la jeunesse et de la police ne date pas d’aujourd’hui. Mais c’est encore plu tendu. Y a une conflictualité qui était présente et là du fait que le confinement est dur à tenir, que tu dois bosser quand même, trouver des systèmes "D" pour t’en sortir et que le flic c’est l’ennemi, ça apporte de la tension supplémentaire. Nous on n’a pas la mémoire courte, on se souvient qu’on s’est fait gazé lors de nos manifestations, des mouvements précédents. Aujourd’hui ils nous applaudissent après nous avoir gazé.

 
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