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La Izquierda Diario
23 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Précarité dans le monde de la culture
Les travailleurs de la culture : classe ouvrière invisible et victimes collatérales du coronavirus

En pleine pandémie du coronavirus, le secteur artistique et culturel est maintenant à l’arrêt total pour une durée indéterminée. Cinémas, théâtres, salles de spectacle, bibliothèques ; tous fermés jusqu’à nouvel ordre. Un désastre économique à court terme pour les travailleurs les plus précaires faisant face aux annulations d’événements, et à long terme pour la survie d’un écosystème économique déjà branlant.

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Credit photo : sudouest.fr

Depuis les premières annonces concernant l’annulation des rassemblements de plus de 1000 personnes, le monde de la culture est en alerte. Le 10 mars, le Prodiss (Syndicat National du Spectacle Musical et de Variété) chiffrait déjà les pertes de billetterie à plus de 250 millions d’euros. Des pertes qui se sont aujourd’hui multipliées, et restent impossibles à estimer en totalité, dans l’incertitude de la durée des mesures de confinement. Ces pertes, les travailleurs les plus précaires de l’art et la culture sont les premiers à les encaisser.

Le secteur de l’art et de la culture : une chaîne de travail éclatée

À ces premières annonces sont venues s’ajouter l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, puis l’annonce du confinement en vigueur aujourd’hui. Autant de mesures qui viennent aggraver la situation d’un secteur du monde du travail déjà en crise.Les travailleurs de l’art et la culture ont déjà fait entendre leur voix pendant la période de grève entamée en décembre 2019, en dénonçant des conditions de travail difficiles et une précarité généralisée aggravées par la série de contre-réformes néolibérales des gouvernements successifs, comme celle de l’assurance chômage et le projet de la réforme des retraites. Ce sont les symptômes des contradictions économiques d’un secteur qui, à cause de la politique gestionnaire et tournée vers le profit du Ministère de la Culture, se tourne de plus en plus vers la privatisation et les modèles économiques du freelance pour continuer à produire des oeuvres.

Dans la période actuelle de coupes budgétaires qui atteint même les plus grosses maisons de la culture publique (comme le Louvre obligé cette année à fermer plusieurs ailes par manque de personnel et de moyens), le Ministère de la Culture cherche à redorer son blason à moindre coût en facilitant les initiatives culturelles issus de modèles économiques associatifs et semi-professionnels comme les “tiers-lieux”, interfaces entre les grandes institutions culturelles et les scènes alternatives. Ces lieux intermédiaires dont le nombre est toujours grandissant incarnent aujourd’hui la richesse de la production culturelle en France, mais occupent des positions très précaires. Ils n’ont souvent pas les moyens d’employer de manière légale le nombre de salariés nécessaire et ont souvent recours au bénévolat, aux stagiaires, au freelance, voir au travail au noir et sont souvent soumis au bon vouloir de promoteurs immobiliers pour exister sous peine de fermeture. Ces même coupes budgétaires ainsi qu’une politique gestionnaire des lieux culturels contribuent aux dynamiques de privatisation des lieux et d’influence des mécènes privées sur la vie culturelle.

Et derrière chaque salle de spectacle, chaque théâtre, chaque évènement culturel, il y a non seulement des artistes et des techniciens permanents des lieux et des événements spécifiques, mais aussi des intermittents indépendants et des groupes de prestataires qui louent du matériel à ces lieux (projecteurs, système de sonorisation, instruments de musique, élément de décors) mais proposent aussi du personnel en sous-traitance, sans qui aucun oeuvre ne pourrait être représentée. Ce mode d’organisation génère une chaîne de travail de plus en plus fracturée, avec des travailleurs qui effectuent des tâches de plus en plus petites et insulaires.

Le capitalisme a fait de l’exception du travail artistique le précurseur des dogmes de flexibilité de la "start up nation" : des équipes de travail convoquées et dispersées au bon vouloir du patron, sautant d’un lieu de travail à un autre, soumis à des liens contractuels individualisés souples et mobiles. Le monde de la culture est aujourd’hui un système de concurrence acharnée où l’inégalité des revenus et la création de vedettes qui s’accaparent la majorité des contrats sont normalisées ; tout ceci au détriment de la protection sociale des travailleurs qui se retrouvent aujourd’hui démunis en temps de crise. C’est toute la chaîne de travail qui se structure selon des liens d’interdépendance de contractuels individuels co-existant dans un système fragile et qui cache, derrière les discours de la flexibilité et de la liberté de l’emploi, une précarisation grandissante des travailleurs. Un véritable écosystème économique qui vit de relations entre entités (boîtes de prestataires, structures publiques et privées, contractuels indépendants) qui sont dépendantes les unes des autres pour exister.

En clair, si 1 maillon cède, toute la chaîne est brisée ; et avec le coronavirus, c’est toute la chaîne qui a volé en éclats.

Le coronavirus dans la culture : un dernier coup porté à un secteur déjà fragilisé

Si ce système économique montrait déjà des faiblesses avant la crise actuelle, les mesures anti-coronavirus les ont grandement approfondies. Effet domino oblige, si les salles ferment, si les spectacles et les concerts sont annulés, les boîtes prestataires tournent à vide. Les premières annonces de restriction du nombre de personnes sur les événements ont été un coup dur en premier lieu pour les plus gros acteurs de l’économie du spectacle et de l’événementiel, qui ont réagi à l’image de Magnum, plus grand prestataire audiovisuel de France, qui a abandonné la reconduction des CDD et ses salariés intermittents : en sacrifiant leurs salariés les plus précaires. Le milieu du spectacle est d’ailleurs loin d’être le seul secteur atteint : quid des travailleurs des musées, des agents d’accueil, des gardiens, etc. en cette période de crise sanitaire ?

L’économie de la culture est aujourd’hui dépendante de tout un secteur de travailleurs “semi-professionnels”, dont beaucoup effectue un travail non-déclaré. De fait, elle est devenue une gig economy, soit une économie des petits boulots, dont les travailleurs sont payés à la tâche, les rendant particulièrement vulnérables en cas de baisse de l’activité “proposée”, pour une raison ou une autre. Pour ceux qui bénéficient du statut d’intermittents du spectacle, spécificité française, ils peuvent être indemnisés en cas de chômage ; mais pour nombre de travailleurs de la culture en freelance, la perte d’activité tombe comme un couperet et ils se retrouvent pour la plupart sans ressources, à l’heure où leurs rangs ne cessent de grossir de part la multiplication des lieux artistiques précaires, des structures intermédiaires fragiles et la précarisation croissante du monde de la culture publique, du fait de la baisse des subventions et de la casse du service public.

Pour les travailleurs de la culture : le confinement, et après ?

Dans un contexte où la plupart des lieux et structures culturelles opèrent déjà sous des restrictions budgétaires, on imagine bien les conséquences des pertes de billetterie liées aux mesures contre la propagation du coronavirus.

Cette année déjà, certaines ailes du musée du Louvre ont dû être fermées, par manque d’employés et de moyens, sans parler du grand nombre de lieux plus petits dont la survie est menacée. Les pertes de billetterie engendrées pendant la période de confinement risquent d’aggraver ces tendances. L’association Médiatone, qui organise et produit de l’événementiel festivalier et des concerts dans la région lyonnaise, a par exemple dû annuler son festival Reperkusound. « C’est la moitié de notre budget annuel qui part en fumée » a déclaré un représentant de l’association à Libération. L’association emploie 12 salariés permanents, qu’elle n’est plus en mesure de payer ; aux delà du versement des salaires, c’est sa survie qui est engagée, puisque l’avenir des événements et donc les embauches de l’année à venir est pour l’instant incertain.

La rhétorique du manque à gagner est déjà ce qui anime la présence grandissante des événements privés dans les lieux culturels publiques. Le Centre Pompidou est par exemple régulièrement sollicité et privatisé pour des événements, comme des pots ou des conférences d’entreprises privées. C’est aussi le cas de nombreux théâtres de régions qui relèvent de la politique culturelle territoriale, comme le décrit un technicien d’un théâtre municipal régulièrement privatisé par le mécène qui couvre une grande partie des frais du théâtre : “L’entreprise mécène utilise le théâtre comme un salon où faire dîner ses clients et négocier des contrats avec eux. Ils font des pots, mangent des petits-fours sur la scène pendant que nous, les techniciens et les artistes du lieu, on doit animer le repas avec des lumières, de la musique etc… On doit jouer les bouffons pour distraire les clients de cette entreprise et les faire signer un contrat pour le mécène du théâtre.” Un rôle bien loin des ambitions qui animent les travailleurs de l’art, et une dynamique qui pourrait s’accentuer avec le trou qui se creuse dans les revenus des lieux culturels.

Et si les patrons des plus gros acteurs du monde culturels peuvent encaisser pertes et coupes budgétaires en réduisant la création artistique (coûteuse en terme de budget, temps et main d’oeuvre), en limitant les embauches et en renflouant les caisses avec des événements privés, ce sont les salariés les plus précaires et les plus atteints par la flexibilisation de ce marché du travail qui en feront les frais à tous les niveaux. En plus des ruptures de contrats ou des non-reconductions, de nombreux intermittents (qui doivent atteindre 507h de travail pour qualifier aux droits des périodes de chômage indemnisées) se posent la question des heures annulées et de leur statut, non seulement dans la période de confinement actuelle, mais aussi après-coup, pour la saison à venir. La question se pose également, et de manière encore plus pressante, pour les travailleurs en freelance, en interim, en CDII (Contrat à Durée Indéterminée Intermittent) qui ne bénéficient pas des même protections sociales.

Nos vies valent plus que leurs profits

Le Ministère a débloqué ce mercredi 22 millions d’euros pour un fond d’urgence destiné au secteur de la culture. Un chiffre qui n’approche même pas de celui des pertes de billetterie déjà annoncées, dont la répartition est à ce jour encore floue, et qui ne suffira pas à relancer une économie déjà branlante auparavant.

Le cabinet du Ministre de la Culture a également indiqué ce jeudi vouloir “neutraliser la période démarrant le 15 mars et s’achevant avant la fin du confinement de la population française” à propos du calcul des droits des intermittents. Des mesures vagues qui ne sont pas à la hauteur de la situation, proposant au mieux un sursis sur le calcul des droits et retardant à peine le moment de la crise pour les intermittents. Les autres travailleurs sont laissés en suspens ; quid des CDD non-renouvelés, des freelanceurs, et de tous les travailleurs précaires qui font tourner l’économie de la culture ?

Cet écosystème économique fracturé est la conséquence d’une “gig economy” branlante, où la culture sous le capitalisme est gérée, à coup de contre-réformes néolibérales, comme une entreprise à profits au détriment des travailleurs, de l’élaboration artistique à sa diffusion technique.

Le schéma de crise qui s’annonce pour le monde de la culture peut se reproduire dans d’autres secteurs du monde du travail qui emploient des travailleurs à la tâche comme l’hôtellerie ou la restauration, où le capitalisme crée des modèles non-viables et pourrissant en ce qu’ils reposent sur la précarisation de ses travailleurs (contrats précaires, extras non déclarés...) dont les contradictions apparaissent d’autant plus en temps de crise.

Les retentissements de la crise du coronavirus dans le monde de la culture posent la question de l’indépendance de l’art vis-à-vis des lois du marché capitaliste. La bourgeoisie a créé un système nécrosé pour l’art. La seule voie de sortie vers une indépendance artistique est de chercher à s’émanciper de la main-mise de la bourgeoisie sur ce système, elle qui décide non seulement des conditions de travail des acteurs du monde de la culture mais aussi le discours qu’il doit porter. Cette émancipation n’est envisageable qu’aux côté des autres travailleurs.

A l’heure où, après des grèves en Italie contre le maintien de l’ouverture des usines non-essentielles sous le mot d’ordre “nous ne serons pas de la chair à canon”, et où des travailleurs se battent pour leur santé et celles de leurs proches dans les usines françaises, la bourgeoisie a démontré qu’elle n’était pas en mesure de gérer la crise sanitaire d’une part, mais aussi la crise sociale qui se profile ; celle qui a précipité les travailleurs des hôpitaux comme ceux de la culture dans des situations que la crise actuelle vient mettre en lumière.

Aux côté des autres travailleurs, des intérimaires, des chômeurs et de tous les précaires, exigeons pour les travailleurs de l’art et la culture dans cette période de crise pandémique :

  •   Le maintien du salaire réel payé par le patron, et l’indemnisation à la hauteur du SMIC si il est inférieur, pour tous les travailleurs, y compris les freelanceurs, les intermittents et les plus précaires.
  •   Pour ceux privés de leurs revenus par la crise sanitaire ou ses répercussions économiques, les faillites, les fermetures et les annulations, la mise en place d’une allocation universelle à la hauteur du SMIC.

    Plus encore, une fois sortis de la crise sanitaire, l’État et le gouvernement, qui enchaînent les attaques contre le monde de la culture depuis des années, et qui aujourd’hui n’hésite pas à sacrifier des ouvriers pour maintenir les profits des patrons, a démontré qu’il ne pourra pas faire face à la crise sociale. Ce n’est pas à nous de faire les frais de l’incapacité de la bourgeoisie à gérer les crises sanitaires, sociales ou économiques !

    Pour éviter l’effondrement du secteur de la culture, maintenir nos emplois et organiser la survie des structures artistiques et culturelles, exigeons la création d’une commission indépendante de financement du secteur culturel gérée par des artistes, techniciens, et travailleurs de la culture, tous élus, révocables et payés au salaire moyen d’un ouvrier qualifié ; et financée par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes, y compris celles des stars de la culture.

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