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La Izquierda Diario
11 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Reportage
Gilets Jaunes. Retour sur une AG des AGs sous le signe de la grève générale et des luttes à travers le monde !
Flo Balletti
Lucas Darin

Près de 500 gilets jaunes représentant quelques 200 délégations ont débattu pendant trois jours dans l’ancien Agropolis Museum. A l’approche de l’anniversaire du mouvement, le retour de la lutte des classes à l’échelle internationale, et surtout, la perspective de la grève générale à partir du 5 décembre, étaient dans toutes les têtes.

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Crédits photo : Révolution Permanente

La « soucoupe » a soudainement repris vie. Une grosse semaine avant le 1er novembre, et l’arrivée de quelques 500 gilets jaunes représentant plus de 200 délégations, ce sont des dizaines de petites mains qui se sont activées. Essuyant refus sur refus de la part des municipalités aux alentours (sous pression de la ville de Montpellier), les organisateurs de cette 4ème « assemblée des assemblées » (communément surnommée ADA) ont fini par opter pour la réquisition l’ancien Agropolis Museum (musée consacré à l’agriculture) désaffecté, situé au-dessus du zoo de Lunaret. En 2010, du jour au lendemain, les 3600 mètres carrés de sa surface cylindrique avaient été laissés tel quels, à l’abandon, par la mairie. Il aura fallu un travail considérable pour remettre en l’état ce si beau cadre où poussières et déchets s’étaient empilés au milieu des vitrines et autres allées du musée, restées là, en l’état. Il faut mettre en avant l’impressionnante auto-organisation de ces bénévoles qui auront travaillé d’arrache-pied pied avant et pendant l’événement pour la mise en place de sanitaires, d’un coin presse, les marquages au sol pour les divers ateliers de discussions, les centaines de chaises récupérées ici et là, la ré-installation de l’électricité, l’espace cafétéria ou la préparation de repas copieux à prix libre à partir des produits d’une soixantaine de producteurs locaux.

Nous arrivons devant la « soucoupe » sur les coups de 10h30. A l’entrée, un imposant service d’ordre tout de noir vêtu nous fait attendre à l’entrée avec d’autres journalistes. Christophe, le responsable médias de l’événement doit nous accueillir. Après avoir reçu les bracelets afin de pouvoir entrer et sortir du site pendant le week-end, nous avons droit à une visite guidée du site. Un coin presse, avec tables et l’installation électrique qui va avec a même été aménagé. A côté de l’accueil, des bénévoles sont alignées, ce sont les gilets jaunes du rond-point de Gignac, situé à quelques kilomètres. Les gilets jaunes mandatés commencent à arriver, sur un chevalet la carte de France se remplit au fur et à mesure de gommettes représentant les ronds-points, assemblées et autres maisons du peuple qui ont envoyé des délégations depuis les quatre coins du pays.

Plus d’une centaine de bénévoles auront fait tout leur possible pour que l’événement se passe au mieux. Et ce fut le cas. Après près d’un an de mobilisation, l’esprit d’entraide, de solidarité et la bonne humeur sont toujours de sortie chez les gilets jaunes. Leur combativité et leur radicalité aussi alors que l’anniversaire du mouvement, conjugué à la perspective de la grève générale à partir du 5 décembre et aux soulèvements dans le monde entier sont dans toutes les têtes !

Anniversaire du mouvement

Alors que, dans plusieurs villes du pays, des manifestations feront face à la répression, pour le 51ème samedi d’affilée, l’anniversaire du mouvement parti spontanément le 17 novembre dernier alimente naturellement des conversations des gilets jaunes. D’ailleurs l’anniversaire du mouvement fait partie des sept thématiques proposées aux discussions en ateliers tout comme le rôle et structuration de l’ADA, la question du lien avec la population, de la convergence avec les autres mouvements, des alliés et adversaires, de s’organiser face à la répression et du que faire des municipales. Les idées et propositions - que discutent en informel puis en ateliers les mandatés afin de souffler sur la bougie posée sur des braises encore chaudes – ne manquent pas. Nous ne les mentionnerons pas pour laisser place à l’effet de surprise sur le gouvernement et ses forces de répression qui a caractérisé ce mouvement depuis ses débuts. Une chose est certaine en revanche, bien que Macron, le gouvernement et ses alliés que sont les médias dominants auront tout fait pour tuer dans l’œuf (et par la répression physique et juridique) ce mouvement social inédit, le plus important depuis mai 1968, le fait que 500 gilets jaunes représentant plus de 200 délégations soient là pour discuter des suites du mouvement est un événement exceptionnel en soi.

Nul doute que le 16 novembre prochain s’annoncera chaud à Paris, et partout ailleurs. Plusieurs gilets ont ainsi mis en avant la nécessité de faire revenir « les gilets qui étaient sorti le 17 novembre » et qui ne sont plus là. La question de la convergence avec le monde du travail ou les mouvements écolos témoigne d’une volonté salvatrice de construire un tous ensemble pour se battre face à Macron et son monde.

Une réelle volonté de débat mais certaines limites démocratiques…

Vendredi, aux alentours de 13h30 la plénier d’accueil débute en fanfare après un traditionnel « on est là... » chanté à tue-tête par les 500 gilets assis en cercle. Très rapidement plusieurs d’entre eux prennent la parole, et témoignent d’une volonté de débattre et de discuter tous ensemble. Ce plénier de rentrée a pour tâche principalement d’expliciter la méthode avec laquelle les gilets jaunes échangeront pendant ces trois jours.

Sept thématiques ont donc été proposées par les organisateurs et seront débattues dans des ateliers pendant le week-end. Confronté au manque de temps qu’aurait pris le fait de demander à la base (les assemblées, maisons du peuple et autres ronds-points de gilets jaunes), les thématiques qui seront abordées, ont été proposées « par en haut », par les organisateurs. Renz, qui avait participé à la toute première ADA à Commercy souligne des limites : « Il y a eu un problème de communication, Montceau n’a pas repris notre travail, il y a aussi eu un problème pour que Montpellier reprenne le travail de Montceau-les-Mines. Il y a un problème de communication entre les gens qui organisent l’ADA, parce qu’ils ont un mandat absolu. Les organisateurs de Montpellier pouvaient faire exactement ce qu’ils voulaient. On a de la chance, c’est des bons copains, on leur fait confiance. Mais c’est un problème démocratique qui se pose, il faut qu’on organise l’ADA collectivement et pas laisser ça aux manettes d’un seul groupe. ».

Une autre limite démocratique provient de la composition numérique des délégations : chacune d’entre elle peut être composée au maximum de 3 délégués. Cela pose un problème de représentativité important. Dans ce cadre, un rond-point de Montpellier mobilisé avec 15 gilets jaunes peut envoyer autant de mandatés qu’une AG du Nord de la France de 60 personnes (cet exemple n’est que pure fiction).

Pendant le week-end, les gilets jaunes mandatés vont donc participer à deux débats à dix pendant 2h dans des groupes de travail (appelés marguerites) autour de l’une des sept thématiques proposées. Un organisateur explique la méthodologie : dans chaque marguerite, sont désignés « un rédacteur, un observateur qui appuie le rédacteur et un rapporteur qui va lire le compte-rendu » en mini-plénier regroupant les groupes de travail sur la même thématique. Les « modérateurs font la synthèse des différentes marguerites [sur le même sujet] avec observateurs et rédacteurs ». En plénier, le rapporteur lit le compte-rendu qui mentionne les « accords, désaccords, questions en suspens et propositions » qui ont eu lieu dans la discussion.

Cette méthodologie complexe provient d’une volonté : que les gilets jaunes puissent davantage s’exprimer sur la thématique choisie que dans le cadre d’un plénier. Elle est issue de nombreux retours de mandatés des ADA précédentes qui faisaient état d’une frustration de ne pas avoir pu réellement faire remonter les positions de leur rondpoint, AG ou maison du peuple. L’assemblée des assemblées lancé dès janvier dernier est une pointe avancée extrêmement progressiste et exemplaire pour l’auto-organisation du mouvement. Cependant, le fait que des organes d’auto-organisation (comités et assemblées générales) ne se soient pas développés partout empêchent l’ADA d’être l’organe réellement décisionnaire et de direction du mouvement des gilets jaunes. Toutefois, le fait qu’elle soit constituée de plus de 200 délégations mandatées lui donnent une certaine légitimité pour voter à main levée des prises de positions et autres appels.

Il n’y aura « pas d’appel de cette assemblée car ce serait ne faire quasiment que ça des trois jours », explique l’un des organisateurs. Cette décision préalable est un recul important par rapport aux précédentes ADA quand bien même certains gilets jaunes arguent que « tout est dans l’appel de Commercy ! ». En effet, bien que les AG et rond-points aient perdu des forces vives, un nouvel appel des gilets jaunes qui pose clairement la nécessité d’un tous ensemble aurait une influence positive dans la période.

… bousculées par la question de la grève générale et le retour de la lutte des classes à échelle internationale !

Cette assemblée des assemblées arrive dans un contexte particulier. Pour tous les gilets jaunes présents, la question de la grève générale et des soulèvements à l’international en Algérie, au Liban, en Irak, à Hong Kong, en Catalogne, en Equateur ou au Chili ont été des sujets de discussions privilégiés en informel. La volonté des gilets jaunes de se joindre au monde du travail organisé, de construire le tous ensemble et une réelle convergence pour la bataille des retraites transparaissait.

Ce contexte, c’est celui d’un Macron qui a tenté de lancer son acte II du quinquennat mais qui reste plus que jamais assis sur un baril de poudre. La réforme des retraites (réforme majeure du quinquennat) pourrait devenir une réelle bombe pour l’exécutif qui, preuve d’une certaine peur qui s’installe au sein de la bourgeoisie, pense déjà à une sortie de crise en catimini avec un plan B, la « clause grand-père » visant à appliquer la réforme uniquement sur le dos de la jeunesse née à partir de 2001. Malgré les tentatives de concertations avec les directions syndicales et autres volontés de diviser le monde du travail (entre public et privé, faire passer les travailleurs aux régimes spéciaux pour de grands privilégiés, etc...) les appels à la grève reconductible ou illimitée à partir du 5 décembre, qui émanent de la grève historique de la RATP du 13 septembre, se sont étendus comme une traînée de poudre. En parallèle, une « gilet-jaunisation » du mouvement ouvrier est palpable : le droit de retrait exercé massivement par les cheminots, la grève victorieuse de Châtillon où les cheminots du technicentre n’ont pas hésité à se mettre en grève sans poser leur DII (Déclaration Individuelle d’Intention de faire grève) c’est-à-dire sans respecter le délai de prévenance de 48 heures, font suite à une grève du bac des enseignants, à l’inter-urgences ou à la radicalité dans la rue des pompiers victimes de la répression.

Dès lors, clore ce week-end de débats sans un appel lié à la question de la grève générale, aurait été le signe d’une déconnexion avec la situation dans le pays et l’état d’esprit pro-convergence des gilets jaunes. Preuve de ce désir de débattre sur le sujet, les trois principales thématiques proposées par les délégations en amont de la tenue de l’ADA, et émanant des retours à la base furent : la grève générale, l’anticapitalisme, et la situation internationale. Celles-ci devaient être débattues samedi après-midi par petits groupes.

Le cadre initial a fini par éclater. Samedi soir, une cinquantaine de délégués se réunissent et rédigent un appel court à rejoindre la grève générale. Le lendemain, celui-ci a été proposé et « plébiscité lors des consultations qui se sont tenues en assemblée de clôture », selon le communiqué officiel de l’ADA4. Il exhorte entre autres à être « Tous dans la rue à partir du 5 décembre, en grève ou sur le rond-point" ! ». Dans le week-end, les gilets jaunes présents ont montré qu’ils faisaient le distinguo entre les bureaucraties syndicales et les syndicalistes de la base. Cet appel en atteste : « L’heure est à la convergence avec le monde du travail et son maillage de milliers de syndicalistes qui comme nous, n’acceptent pas. […] Nous avons cette occasion à saisir, à partir du 5 décembre, date à laquelle des centaines de milliers de travailleurs seront en grève et en assemblées générales pour la reconduire jusqu’à la satisfaction de nos revendications. L’ADA de Montpellier appelle les Gilets Jaunes à être au cœur de ce mouvement, avec leurs propres revendications et aspirations, sur leurs lieux de travail ou sur leurs ronds-points, avec leurs Gilets bien visibles ! ».

Cet appel n’est que la suite logique des tentatives effectives sur le terrain pour tisser une réelle convergence entre gilets jaunes, travailleurs en lutte, mouvements écologistes, gilets noirs et quartiers populaires. Alors que déjà, en janvier dernier, 300 gilets jaunes et syndiqués s’étaient regroupés à Toulouse pour débattre et aboutir sur l’élaboration d’un tract commun afin d’appeler à la grève générale à partir du 5 février, des gilets jaunes de diverses contrées nous ont mis en avant les liens tissés depuis des mois localement avec syndicats, collectifs et associations. C’est ce que nous confiait Renz depuis Nantes, tout comme Sandrine, gilet jaune de l’Isère : « Il y a des gilets jaunes en lien avec des syndicats, des associations comme Extinction Rébellion, ANV Cop21, et les syndicats nous ont mis au même niveau qu’eux. »

Deux autres propositions ont été « plébiscitées » par l’assemblée de clôture : « l’appel à toute la population à nous rejoindre massivement pour nous soutenir et fêter avec nous l’anniversaire du 17 Novembre […] et l’affirmation de notre soutien à tous les peuples en révolte de part le monde. » Cette dernière atteste d’un esprit internationaliste des gilets jaunes illustré dans le week-end par des références perpétuelles à la situation internationale dans les discussions informelles. Comme le souligne Claudia Cinatti dans son article Le retour de la lutte des classes : « Un spectre hante le monde. Ce n’est pas encore celui du communisme mais celui de la lutte des classes, en lettres majuscules. L’irruption des Gilets jaunes en France a réveillé, pour la première fois depuis plusieurs années, la peur de la révolte chez les classes dominantes d’un pays impérialiste. Cet épisode marque ainsi le commencement d’une nouvelle vague de protestations qui ne cesse de s’étendre. »

Espérons que la lutte des classes en France, d’ici la prochaine ADA qui devrait avoir lieu à Toulouse début 2020 avec comme principal sujet « sortir du capitalisme », passe une nouvelle étape, avec une dynamique de grève générale et une jonction nécessaire des travailleurs en lutte, des gilets jaunes, de la jeunesse, des mouvements écolos et des quartiers populaires. Un tous ensemble qui ne fasse pas seulement vaciller Macron, mais le fasse chuter. Lui et tout le système capitaliste qu’il sert.

 
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