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La Izquierda Diario
25 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Procès des indépendantistes
Catalogne. Accepter les jugements ou s’y opposer dans la rue ? La gauche divisée
Josefina L. Martínez
Diego Lotito

Au beau milieu d’une semaine explosive en Catalogne, les déclarations des leaders de Podemos, Izquierda Unida et de Más País, appelant à accepter les résultats du procès des indépendantistes et défendant les actions de la police, ont généré indignation et controverses. Dans ce contexte, trois questions se posent pour envisager une alternative de gauche, révolutionnaire et anti-capitaliste.

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Traduction par Nicolas Arnaiz d’un article de La Izquierda Diario, journal faisant partie du même réseau de quotidiens en ligne que Révolution Permanente.

Accepter les jugements ou s’y opposer dans la rue ?

« Tous devront respecter la loi et assumer leurs peines » : voilà les premiers mots de Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, dès que le tristement célèbre procès des indépendantistes catalans fut clôturé, violant les libertés démocratiques les plus élémentaires. « Les juges ont fait leur travail et la police a fait de même » a déclaré Íñigo Errejón – un autre leader de Podemos – lundi dernier, dans un état d’esprit similaire.

Respecter la loi et assumer leurs peines ? Pourquoi ? Est-il juste de condamner a treize ans de prison les leaders politiques catalans ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi devrions nous respecter les peines ? Pourquoi ne pas demander l’amnistie, pourquoi ne pas se mobiliser pour faire libérer les prisonniers ? Pourquoi ce jugement a-t-il été prononcé par la Cour suprême, et en quoi seriez-vous tenus de respecter tous ses jugements ? Eux semblent oublier qu’il s’agit là du même tribunal qui est né en incorporant des juges issus du Tribunal de l’ordre public franquiste qui, avec le Tribunal national, a jusqu’aujourd’hui interdit en Espagne la poursuite des coupables des crimes de la dictature. Sommes nous également tenus de « respecter » cette décision ?

Pablo Iglesias a discuté mardi avec Pedro Sánchez au sujet de la possibilité d’une grâce pour les dirigeants indépendantistes. « Dans ce pays, l’Armada a été graciée ; la Cour suprême a demandé la grâce de Tejero ; Barrionuevo et Vera ont été graciées et n’ont passé que deux mois en prison pour terrorisme d’État et pour le rapt de Segundo Marey. De plus, ils ont été condamnés à des peines moins lourdes que Oriol Junqueras », a déclaré Iglesias dans une interview avec eldiario.es.

Ces exemples n’ont pas suffi a leur admettre la nature réactionnaire et de classe de la justice espagnole, seulement a évoquer la possibilité d’une grâce qui, selon eux « ne remettrait pas en cause le fondement juridique des peines ou des faits évoqués, mais prend en charges des éléments d’intérêt général et de concorde ». C’est dans cette même logique que s’est imposée la Loi d’amnistie de 1977, interdisant la poursuite des crimes de Franco, ainsi que les grâces envers les militaires argentins génocidaires.

Nombre de juristes ont également remarqué que ce jugement prenait pour base l’application de la "loi pénale de l’ennemi", fournissant par la même un précédent pour qualifier de séditieux tout mouvement de masse s’opposant à des lois ou des mesures judiciaires. Un rassemblement pour s’opposer à des expulsions, l’occupation d’une autoroute ou d’une usine, ou bien encore une manifestation contre la casse du service public : tous ces exemples pourraient alors être considérés comme séditieux. Devons-nous « assumer » et « respecter » ces jugements ? Si elle souhaite réellement soutenir les revendications démocratiques, la gauche espagnole doit choisir de ne pas se plier à ces jugements injustes, exiger la libération des prisonniers politiques ainsi que leur amnistie, et appeler à des manifestations dans ce but.

Avec les jeunes qui luttent dans la rue ou avec l’état policier ?

« Une manifestation de milliers de personnes est le symptôme d’un problème politique sous-jacent. Cependant, les dizaines de personnes violentes qui brûlent tout ce qui leur tombe sous la main font le jeu de la droite réactionnaire qui ne propose pas se solutions et recherche les votes des excités. Ces provocateurs ont besoin les uns des autres. » Alberto Garzón, coordinateur général de la Izquierda Unida (« Gauche unie », coalition politique de différents partis de gauche, de gauche radicale et d’extrême gauche autour du Parti communiste d’Espagne), a posté ce texte sur son compte Twitter ce 18 octobre, prenant ses distance vis a vis des « deux démons ».

Contredit par des journalistes, Garzón a clos le débat en accusant ses contradicteurs de mobiliser un « schéma dichotomique ». Ce « schéma dichotomique » qui dérange tant Garzón n’est pourtant pas une question de débat, c’est la réalité tangible de la lutte des classes. Des milliers de manifestants sont réprimés en Catalogne. En une semaine, plus de 600 personnes ont été blessées, plus de 200 détenus et 31 personnes placées en détention préventive ; alors que l’État mobilise des milliers de policiers, de gardes civils et même des chars d’assaut ; alors que la répression a lieu même à Madrid, où l’Izquierda Unida a porté plainte contre deux mobilisations de soutien a la Catalogne la semaine dernière, menant à l’arrestation de 15 personnes. Alors que tout cela se produit, il est impossible d’être "à égale distance" et de condamner les "excès" des deux côtés. Parce que d’un côté se trouve la répression organisée par les forces coercitives de l’État et de l’autre de très jeunes manifestants enragés (non seulement contre le gouvernement espagnol, mais également contre leurs propres dirigeants catalans), qui ne font que se défendre contre cette violence brutale de la police. Non seulement la Police Nationale, mais également les Mossos, la Police Catalane.

Si l’on s’en fie au schéma défendu par Garzón, alors il faudrait, au Chili, condamner les centaines de milliers de personnes qui, aujourd’hui, se soulèvent contre Piñera, qui leur envoie l’armée, qui torture et assassine les manifestants ? Devrions nous également condamner la jeunesse, les paysans et les peuples d’Equateur qui se soulèvent dans la rue, paralysant l’augmentation des prix de l’essence planifiée par le FMI ?

Il est honteux de la part de quelqu’un qui a écrit un livre tel que « Pouquoi je suis communiste » de raisonner comme un libéral. Mais Garzón n’est pas le seul a raisonner ainsi. Il y a quelque jours, Pablo Iglesias s’est réjoui de voir la police nationale et les Mossos travailler ensemble. Même chose de la part d’Errejón. Une prise de position claire en faveur de « l’ordre » et de l’appareil d’état, le même qui matraque et tire au flashball dans les rues catalanes.

En faveur du droit d’autodétermination, ou en faveur du régime monarchique ?

La question catalane est l’une des questions les plus centrales de la crise organique du régime espagnol. La résurgence d’un mouvement de masse en faveur de l’autodétermination des peuples, du referendum et de la grève a été l’un des plus important affronts au régime de 1978 et à la royauté espagnole depuis la transition démocratique après la chute de Franco.

Les partis politiques traditionnels de la bourgeoisie catalane, ainsi que la petite bourgeoisie, ont été jusqu’à présent à la tête du mouvement, d’abord pour renégocier le pacte d’autonomie, puis pour stopper les possibilités d’indépendance réelle. Le régime espagnol a, comme l’on pouvait s’y attendre, réagi de manière brutale, avec un discours de Felipe VI, l’article 155, ainsi que des peines de prison et désormais la condamnation des dirigeants indépendantistes, tout cela dans le but de la défense de « l’unité sacrée de l’Espagne ». Ainsi, le mouvement indépendantiste catalan a continué de s’étendre, exprimant un profond rejet de l’État monarchiste espagnol et de sa répression, en particulier parmi la jeunesse, témoin de la brutalité de la police envers les personnes âgées, leurs propres parents, leurs enseignants et leurs grands-parents dans les écoles pendant le référendum. Aujourd’hui encore, ils subissent la répression pour avoir revendiqué la liberté des prisonniers politiques.

Tout au long de la crise, Podemos s’est placé à équidistance entre le mouvement catalan et la répression étatique, s’opposant au réferendum catalan et proposant à la place un impossible réferendum mandaté par l’État. Ce même État qui aujourd’hui nie le droit à l’auto-détermination pour la Catalogne, à grands coups de répression.

Bien que ce parti soit aujourd’hui bien plus adapté au régime, sa position actuelle est la conséquence logique de sa stratégie : la croyance en une sorte de « régénération démocratique » à l’intérieur même du régime espagnol, à travers un nouveau pacte avec ses acteurs et ses institutions pré-existantes. C’est pourquoi Podemos s’est efforcé de gouverner avec le PSOE. Podemos est même allé jusqu’a demander la médiation de Felipe VI afin qu’il de former un "gouvernement de coalition". Ceux qui s’opposent au mouvement démocratique catalan en l’associant à sa direction bourgeoise et petite-bourgeoisie devraient garder cela en tête. Il ne s’agit pas soutenir la direction du mouvement, mais au contraire de développer un mouvement démocratique, ouvrier et populaire, indépendant de toutes les fractions de la bourgeoisie catalane. De même, dans le reste de l’État espagnol, il est nécessaire de développer un mouvement de lutte anti-monarchiste contre le régime, indépendant de tous les acteurs politiques qui le soutiennent tels que le PSOE. Et surtout, de ne pas chercher a gouverner avec eux !

La gauche espagnole institutionnelle est définie par l’histoire et le contenu du pacte qui donna naissance au régime actuel. Une « régénération démocratique » abstraire, libérale, serait, au contraire ce que que la gauche réformiste espère, une nouvelle ligne de défense des instituons de 1978 – comme le décrivait Lénine, la démocratie libérale n’est que « la forme la plus avancée de la dictature du capital. »

Comme le disait Isabel Benítez dans cet article publié dans El Salto, « dans l’ensemble de l’État espagnol, le dilemme de la réforme ou de la rupture s’est aggravé. Respectivement : miser sur la « régénération » du régime de 1978 qui sous-tend l’intégrité territoriale de l’Espagne et de la monarchie en tant que garants de la sécurité juridique de l’Ibex35 (Équivalent Espagnol du CAC40)  ; ou creuser la rupture, qui existe réellement, dans la fissure ouverte autour du droit à l’autodétermination, de la république et d’un modèle économique et social au service des besoins de la population. »

Dans un tel scénario, la banqueroute du néo-réformisme nous ouvre un espace pour développer une politique alternative qui s’engage à creuser cette rupture, c’est-à-dire à trouver une sortie de classe, anticapitaliste et révolutionnaire. Avancer sur cette voie signifie tout d’abord la condamnation de la répression, exiger l’amnistie des prisonniers politiques et la défense sans réserve du droit à l’autodétermination du peuple catalan contre l’offensive réactionnaire du régime monarchique espagnol.

Rien de tout cela ne peut être gagné dans le cadre de la du régime impérialiste espagnol. Il ne nous faut pas non plus faire appel aux institutions européennes, ni à une médiation internationale. Il est nécessaire de l’imposer à travers la lutte de classe.

Une gauche digne de ce nom devrait porter dans son programme un appel à l’ouverture de processus constituants libres et souverains en Espagne et dans toutes les nationalités historiques dans lesquelles tout pourrait être décidé, comme ce fut le cas du référendum contre la monarchie dans les universités.

Comme nous l’avons annoncé dans notre dernière déclaration, pour les révolutionnaires internationalistes et anti-capitalistes, « C’est là la seule feuille de route vers la conquête de droits démocratiques et des revendications sociales qui sont la raison sous-jacente du mécontentement de la jeunesse, des travailleurs et de la crise du régime. La lutte pour la liberté et la souveraineté des assemblées constituantes, imposées a travers la lutte des travailleurs et des populations, aura pour effet non seulement de faire constater a la majorité de la population son véritable pouvoir, mais posera également les bases d’une réelle démocratie qui permettra aux travailleurs de développer la perspective d’une république socialiste catalane, dans le cadre d’une fédération libre de républiques des travailleurs, en conjonction avec les autres peuples de l’État. » Voilà la perspective que nous défendons.

 
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