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La Izquierda Diario
25 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Soulèvement
Chili. Plus d’un million de personnes dans les rues, l’opposition parlementaire veut entamer un dialogue avec le gouvernement assassin
Petra Lou

Piñera fait un virage pour sauver le gouvernement chilien et ses legs de la dictature, en annonçant plusieurs mesures "sociales" pour tenter de mettre un coup d’arrêt à l’explosion sociale en essayant de diviser les rangs de ceux qui se mobilisent. Alors qu’il manoeuvre, les partis d’opposition appellent à un dialogue social, criminel dans la mesure où il prétend pouvoir s’accorder avec un gouvernement qui assassine, et alors que des millions de personnes manifestent dans les rues.

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Alors qu’en Équateur la séquence de lutte très radicale qui a eu lieu a mis fin aux augmentations spectaculaires du prix du carburant, qui étaient préconisées par le FMI, le président chilien Sebastián Piñera, a été lui-aussi contraint, face au soulèvement populaire d’une radicalité sans précédent, encore supérieure au soulèvement en Equateur, de renoncer à la hausse du prix des transports.

Un soulèvement dont la combativité s’est exprimée ces derniers jours, où plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté dans diverses villes du Chili, malgré une répression sanglante et meurtrière dans le cadre de la mise en place de l’État d’urgence et du recours à l’armée qui n’avait pas été déployée depuis la dictature.

Mais face à cette répression, les centaines de milliers de ceux qui se sont révoltés, qui voient continuellement augmenter l’écart entre les quelques parlementaires payés grassement et le reste de la population, sans cesse précarisée, ont continué de fouler les pavés de Santiago et des autres villes du pays. Leur énorme combativité et détermination se sont exprimées au travers du slogan : « Ils nous ont tant volé, qu’ils nous ont même pris notre peur ».

Face à cette détermination qu’ont montré les milliers d’étudiants et travailleurs de secteurs stratégiques pour le pays, Piñera a effectué un tournant à sa politique pour chercher à sauver son gouvernement ainsi que le régime hérité de la dictature. Après avoir rencontré plusieurs partis de droite, le président chilien a annoncé à la télévision nationale une série de mesures minimales pour secourir son propre gouvernement et tenter d’éteindre la contestation. Des concessions, mais qui ne remettent en rien en cause les principaux piliers du régime hérité de la dictature : alors même qu’il annonce ses réformes « sociales », il propose de maintenir l’état d’urgence qui maintient les militaires dans la rue avec des couvre-feux, et alors que déjà près de 15 morts ont été officiellement déclarés, ainsi que la découverte de centres de torture attestés par les organisations des droits de l’homme ! Des miettes, que le président veut vendre au peuple chilien, pour acheter le retour à l’ordre dans le pays : un discours démagogique qui fait face aujourd’hui au profond malaise de la population à l’égard des salaires de millionnaires versés dans les poches des parlementaires, qu’il a par ailleurs annoncé de réduire.

Cette stratégie s’inscrit en réalité dans une tentative très claire de diviser les différents secteurs sociaux pour mettre fin à la contestation. Pour cela il s’appuie sur l’aide des médias qui dénoncent une violence sauvage et « hors de contrôle », en visant en premier lieu les secteurs les plus périphériques des banlieues, dont le gouvernement veut, avec le maintien de l’État d’urgence, justifier la répression, en les opposant aux classes moyennes qui manifestent dans le centre-ville.

Ces mesures minimales, qui pour certaines continueront de laisser la majorité de la population dans la misère et la faim, et qui pour d’autres ne pourront peut-être même pas être mises en place, n’ont qu’un seul objectif : celui de sauver le gouvernement qui est aujourd’hui compromis par cette rébellion populaire en détournant l’attention et limitant les réformes à des miettes. Des miettes qui sont en fait la crainte de l’intensification de ces journées révolutionnaires en véritable situation ouvertement révolutionnaire, avec l’entrée en scène de secteurs stratégiques de la classe ouvrière et de la jeunesse plus que jamais enflammée qui entraînerait derrière la grève générale la chute de ce régime. Ces bribes de concessions “sociales” montrent que le régime autoritaire chilien, et les legs de la dictature, n’est pas disposé à accorder un quelconque changement structurel des conditions de vie de la classe ouvrière et de la majorité de la population, qui est aujourd’hui condamnée à un avenir de misère.

Plus d’un million de personnes dans les rues du Chili : « Il y a suffisamment de forces pour chasser Piñera »

Dans ce contexte, les directions syndicales ont été contraintes à appeler à une grève générale, exigée par différents secteurs, à partir de mercredi. Celles-ci avaient en premier lieu appelé à déserter les rues, autrement dit d’arrêter de se mobiliser et affronter la répression du régime. Mais les mobilisations incroyablement massives de ces derniers jours ont mis la pression à ces directions pour se réorienter.

L’appel de ces directions ouvre un scénario favorable à l’intervention des travailleurs et du mouvement de masse, et développe des mesures progressistes telles que la démission de Piñera en premier lieu, la fin de l’État d’urgence, une assemblée constituante et des mesures sociales urgentes comme l’augmentation des salaires et des retraites ; mais la principale limite est qu’il ne propose pas de renverser ce gouvernement anti-populaire et autoritaire, mais de « faire pression » pour un « dialogue » du gouvernement avec les organisations sociales et une solution institutionnelle avec les anciens partis et institutions du régime pour « recomposer l’institutionnalité démocratique » : autrement dit, ces organisations veulent rester dans le cadre du régime, lui-même héritier de la dictature.

Bien qu’elles appellent à la mobilisation, ces directions ne proposent pas de déployer toutes les forces de la classe ouvrière au moyen d’une grève active, et refusent de promouvoir les modes d’auto-organisation, instances démocratiques de coordination, comme les assemblées, les comités de lutte, en faisant réellement la continuité de la grève pour renverser le gouvernement.

À l’heure du sixième jour de lutte, des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées dans tout le pays pour répondre au gouvernement de Piñera aux cris de « Fuera Piñera » [Dehors Piñera] et contre la répression policière et militaire qui a déjà fait plusieurs morts dans la plus totale impunité. À Santiago, plus de 200 000 personnes ont foulé les rues de la ville, avec de nombreuses délégations de travailleurs du service public ainsi que de la principale centrale syndicale du pays, la CUT (Centrale Unique des Travailleurs du Chili), de la santé et des enseignants, ainsi que divers syndicats et délégations du commerce, ou encore des services, qui se sont mobilisés massivement sous leurs drapeaux. À Plaza Italia et Alameda Avenue, lieux centraux de la mobilisation de ces derniers jours, des dizaines de milliers de lycéens, étudiants et travailleurs étaient rassemblés.

Dans tout le Chili, plusieurs secteurs stratégiques ont été paralysés, comme des dizaines de ports qui ont ainsi été bloqués, où des milliers de travailleurs portuaires faisaient grève dans les principales villes côtières du pays. Les travailleurs des usines de Codelco aussi, organisés dans la Fédération des travailleurs du cuivre, se sont prononcés en faveur de la mobilisation nationale et se sont mobilisés en manifestant, s’organisant en assemblées générales ou encore en bloquant leur usine.

La mobilisation montre la profonde intention de la large majorité de la population chilienne de mettre fin au système néolibéral qui règne au Chili depuis la dictature et que les gouvernements successifs ont continué à défendre.

Pas de « dialogue » avec un gouvernement qui a du sang sur les mains

Le mercredi 23 octobre, la journée de mobilisation la plus massive de ces derniers jours, plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues du pays, dénonçant la répression et l’État d’urgence, ainsi que les annonces de Piñera de la veille. Personne n’est satisfait de ces miettes offertes par le président qui veulent en fait perpétuer le système pourri hérité de la dictature. Au moment même où ces centaines de milliers de personnes défilent dans les rues de Santiago ainsi que dans plusieurs autres villes du pays, pour défier le gouvernement et la répression des militaires, une session extraordinaire du Congrès s’est tenue à la Chambre des députés, où la droite de Piñera et l’ancienne Concertación [partis de centre et centre-gauche qui ont co-gouverné pendant 30 ans depuis la fin de la dictature] ont entamé un dialogue sur les mesures sociales démagogiques et minimales du gouvernement, alors que celles-ci ne touchent pas à l’héritage néolibéral de la dictature et que celles-ci visent à dévier les luttes dans la rue vers les tribunes d’un parlement aux mains des politiciens millionnaires.

Les députés parlementaires du Frente Amplio (FA) et du Parti Communiste (PC), principales organisations de gauche au Chili, ont choisi de participer à la session « pour que les instances législatives suivent leur cours », en désertant les rues et en s’adaptant totalement au régime et à ses institutions. Cette situation politique répond en fait à la stratégie que proposent ces organisations : de la « grève législative » à leur simple présence au parlement aujourd’hui, en acceptant ainsi de dialoguer avec le gouvernement, qui légitime ces sessions scandaleuses dans un pays aujourd’hui totalement militarisé. Tout défenseur démocratique doit, non seulement dénoncer cette situation scandaleuse, mais aussi rejeter ces manoeuvres sans donner de légitimité à cette tromperie parlementaire, et appeler à la continuation de la lutte et de la grève générale qui sont les seules issues pour ces droits démocratiques.

Mercredi 23 octobre, le Parti Communiste a publié une déclaration dans laquelle il exposait ses résolutions politiques pour répondre à la situation brûlante du Chili : il évoque la surdité du gouvernement, qui n’écoute pas les organisations sociales et citoyennes, et se réfère à la « Table pour l’unité sociale » composée d’organisations - principalement dirigées par le PC et la FA - telles que le CUT, le Collège des enseignants, Confech (étudiants), Coordinadora No+AFP (contre les retraites privées), Confusam (santé), Cones (secondaire), Fédération des travailleurs de cuivre, etc.

« Le seul espace de dialogue, légitime et démocratique, est celui qui considère, dans l’égalité des conditions, la TABLE DE L’UNITÉ SOCIALE. Le gouvernement doit mettre fin avec l’exclusion qu’il tente d’imposer » a affirmé le PC dans sa déclaration, dans laquelle il exige de participer aux négociations, de dialoguer et s’accorder avec le gouvernement qui prépare déjà cela avec les partis de l’ancienne Concertación (Démocratie chrétienne, Parti radical et Parti pour la démocratie) comme un moyen institutionnel pour sauver la tête de Piñera et le régime hérité de la dictature. Un appel au dialogue criminel, qui légitime ce gouvernement meurtrier, qui appelle lui-même au dialogue tout en portant la responsabilité des plusieurs morts dont il est responsable. Alors que des millions de personnes crient dans les rues “Piñera dehors”, le PC abandonne le combat dans la rue ou le laisse de côté pour entrer dans un dialogue stérile, tandis que l’armée est toujours dans les rues.

Intégrer le « pacte social » que les partis du régime promeuvent pour se sauver de cette crise, telle est la stratégie du PC, en même temps qu’il appelle à déserter les rues, en appelant à la grève générale qui reste dans le cadre institutionnel pour « permettre de commencer un véritable dialogue social et politique » comme ils le soulignent dans leur déclaration.

D’un autre côté, le Frente Amplio, qui a fait irruption sur la scène nationale en prétendant être l’alternative à ce régime pourri, a décidé de promouvoir la démission du ministre de l’intérieur et bras droit de Piñera, Andrés Chadwick, en l’avertissant que s’il ne le faisait pas, il « porterait une accusation constitutionnelle » (procédure de destitution). Cette politique est dix-mille pas en arrière des revendications des millions de personnes qui se battent et qui vont beaucoup plus loin que la simple démission du ministre de l’intérieur : on ne peut se fier aux pièges du Parlement, fions-nous plutôt à la force des millions de personnes dans la rue !

Dans les assemblées, plusieurs intervenants ont répondu à la politique que mènent les principaux partis d’opposition au régime, qui cherchent de manière criminelle à ouvrir un dialogue avec ce gouvernement assassin : « Le gouvernement et le régime de Piñera sont en train de tomber en morceaux, le PC et le FA veut négocier pour donner une issue démocratique. Aucun démocrate ne peut aujourd’hui négocier avec un gouvernement assassin, qui torture comme il l’a fait dans la station de métro Baquedano…ainsi la seule issue démocratique est avec une assemblée constituante, libre et souveraine imposée par la mobilisation des travailleurs et travailleuses, des étudiants, de la jeunesse et de tous ceux qui aujourd’hui se retrouvent pour lutter contre la milice dans les rues. Maintenir la grève générale, jusqu’à ce que tombe le gouvernement pour résoudre les problèmes des travailleurs » a déclaré Lester Calderón, organisateur du comité et dirigeant de la Constramet Nord (syndicat de la confédération des travailleurs de la métallurgie).

Face aux pièges institutionnels, Assemblée constituante libre et souveraines sur les ruines du régime

Face à son propre affaiblissement, Piñera et son gouvernement cherchent aujourd’hui à trouver une issue à ces révoltes dans la rue menées par des secteurs très combatifs, et une issue par la voie institutionnelle en faisant quelques concessions pour détourner l’attention de la lutte.

Les partis de l’opposition, dont le PC et le FA, avaient dans un premier temps rencontré le président et notamment légitimé le couvre-feu par l’accord réactionnaire avec Piñera au parlement. Face à l’énorme mobilisation et pression qu’il y a à la base, ces organisations, qui les principales organisations de masse, ont appelé à la grève, mais en proposant de rester dans le cadre du régime en faisant pression au gouvernement mais aujourd’hui appellent à un dialogue social criminel avec le gouvernement assassin de Piñera.

Le Parti Révolutionnaire Ouvrier (PTR) [de la Fraction Trotskyste - Quatrième Internationale, organisation soeur du Courant Communiste Révolutionnaire en France qui anime Révolution Permanente] propose une politique de grève générale active et de lutte, avec des assemblées, pour mettre en mouvement l’énorme force de la classe ouvrière, avec la jeunesse et le reste de la majorité de la population, mais pas avec l’objectif de « dialoguer avec le gouvernement » sinon pour le faire tomber avec la force de la grève et de la combativité dans la rue, pour sortir les militaires. Ce n’est que sur cette base que les revendications sociales pourront être satisfaites !

Sortir Piñera, et après ? Il ne s’agit pas d’arriver plus tard à un accord avec l’opposition, qui cherche à détourner aussi la lutte, et sortir les chiliens de la rue, mais de parvenir à la chute du gouvernement par les méthodes de la lutte des classes. Nous, socialistes révolutionnaires, nous luttons pour un gouvernement ouvrier qui rompt avec le capitalisme, qui socialise les moyens de production. Face à la situation d’extrême urgence, nous appelons à imposer une Assemblée constituante, libre et souveraine, à partir de la chute du gouvernement et sur les ruines de ce régime, avec des représentants élus et révocables tous les 20.000 électeurs et qui gagnent autant qu’un travailleur. Une assemblée qui permettrait de prendre des mesures d’urgence telles que le salaire minimum, les retraites, mais aussi que les transports soient gérés par les travailleurs eux-mêmes, qui décident avec les usagers du tarif, pour une santé et une éducation publiques et gratuites, ainsi que la nationalisation de la mine de cuivre sous contrôle ouvrier, etc.

Nous savons que les grandes puissances et hommes d’affaires défendront avec acharnement leurs privilèges et leurs intérêts, et s’opposeront aux mesures prises par une Assemblée constituante véritablement libre et souveraine. C’est pourquoi il faut continuer d’organiser des assemblées, des coordinations, ou encore des comités, d’où surgissent des forces pour les affronter, qui ouvre la voie à la lutte pour un gouvernement des travailleurs, en rupture avec les capitalistes, qui permette de conquérir intégralement et efficacement nos aspirations sociales et démocratiques.

Le Chili s’est réveillé, et si c’est l’annonce d’une augmentation du prix du ticket de métro qui a marqué le début de la contestation, on entend aujourd’hui un slogan qui montre que les aspirations aujourd’hui sont beaucoup plus larges : « On ne se bat pas pour 30 pesos, mais contre trente ans de politique libérale ».

 
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