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La Izquierda Diario
14 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Equateur
Indigènes équatoriens et gilets jaunes : ressemblances et différences
Camille Münzer

L’Équateur a été secoué pendant plus d’une dizaine de jours par des manifestations importantes et par un puissant mouvement social contre la suppression des subventions sur l’essence décidées par le président Lenin Moreno suite à un accord avec le FMI. Les routes du pays ont été bloquées, il y a eu des affrontements contre les forces de la police et l’armée, des bâtiments des gouvernements régionaux ou des préfectures ont été pris d’assaut par les manifestants, etc. C’est le mouvement indigène qui s’est érigé à la tête de la contestation en Équateur, entrainant derrière lui une large masse de jeunes et de travailleurs pauvres des villes.

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En France, les comparaisons du soulèvement populaire équatorien avec le mouvement des gilets jaunes ne se sont pas fait attendre. Certains pointaient la similitude dans la radicalité des manifestants ou dans les revendications. En effet, il y a des points en commun, mais aussi des différences importantes. Comme je montrerai à continuation, c’est notamment dans les ressemblances que l’on peut voir les limites du mouvement équatorien.

Les points en commun sont de trois ordres. Premièrement, il s’agit tous les deux de mouvements qui partent de revendications autour du niveau de vie et de la consommation chez les couches les plus pauvres de la population. Il ne s’agit donc pas d’un mouvement qui revendique une augmentation des salaires. Le prix de l’essence est central dans le budget des familles des classes populaires. Deuxièmement, il s’agit de mouvements qui utilisent principalement le blocage et l’émeute comme moyens d’action. Une des particularités du mouvement des gilets jaunes a été l’utilisation de méthodes de lutte que l’on n’avait pas vu depuis très longtemps. Comme le montrent les historiens des conflits du travail, tout au long du vingtième siècle, les grèves ont tendance à être de moins en moins violentes, à fur et à mesure que s’institutionnalise le mouvement ouvrier. Ce dernier accorde de plus en plus de place à la négociation comme un moyen de faire avancer ses revendications au détriment des méthodes d’action directe. Dans le cas équatorien, le mouvement indigène a longtemps fait du blocage des autoroutes et des affrontements avec la police le cœur de son répertoire d’action – même s’il faut signaler que le mouvement indigène a un bras politique, le Pachakutik, qui participe au jeu institutionnel depuis une vingtaine d’années.

Troisièmement, pendant ces deux mouvements, le cœur du prolétariat du pays est resté à la marge de la contestation. Cela a été le cas en France, où ce sont les secteurs périphériques du salariat qui se sont mobilisés. Travailleurs semi-ruraux et péri-urbains, salariés dans des petites structures, ont fourni le gros des bataillons des gilets jaunes. En Équateur, le mouvement indigène est composé de beaucoup de paysans et de journaliers, mais également de petits commerçants et d’artisans. Les travailleurs du pétrole, qui ont un poids stratégique dans le pays sont restés à l’écart du mouvement. Il faut néanmoins mentionner que les travailleurs du secteur public, visés par les mesures d’austérité, ont participé au mouvement dès ses débuts. Quatrièmement, il s’agit de deux mouvements profondément politiques. Car même s’ils se concentrent sur la consommation et le niveau de vie, ils ont tous les deux visé l’autorité du président. En Équateur cette contestation du pouvoir est allée encore plus loin, puisque les manifestants ont demandé dès le départ la démission de Moreno et la défense de la souveraineté nationale. Enfin, cinquièmement, dans les deux mouvements on remarque l’absence d’une véritable alternative politique. Il n’y a pas eu de contrepouvoir révolutionnaire qui aurait pu remplacer le régime de Moreno. Dans leur refus de la politique institutionnelle, les gilets jaunes se sont déclarés « apolitiques ». En Équateur, la direction de la Conaie a refusé de demander le départ de Moreno.

Mais ces deux mouvements ont aussi des différences importantes. Le mouvement des gilets jaunes avait un fort caractère spontané, produit de la crise des médiations et des corps intermédiaires. Tandis qu’en Équateur, c’est la puissante Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) qui a dirigé le mouvement. Celle-ci a été la principale force de mobilisation dans le pays, mais pas la seule, puisque dans plusieurs villes et régions rurales des travailleurs pauvres ont aussi participé aux manifestations et aux blocages. Ceci crée une contradiction au sein du mouvement, où la CONAIE condamne les pillages qui ont eu lieu pendant les marches, accusant certains d’être des « infiltrés » pu des « agents provocateurs », de la même manière qu’en France certains ont condamné les prétendus « casseurs ». Pour finit, la deuxième différence importante tient au poids du mouvement indigène, sans équivalent en France. Celui-ci a conquis un espace politique pendant les années 1990 et 2000, lors des soulèvements populaires contre les gouvernements néolibéraux. Mais, surtout, il a occupé l’espace vide laissé par le mouvement ouvrier équatorien après son effondrement à la fin des années 1980.

La gauche équatorienne est sortie fragilisée de dix ans de gouvernement de Rafael Correa. Celle-ci a été soit cooptée, soit réprimée. En quelque sorte, la gauche dans le pays est à (re)construire. Le mouvement actuel pourrait jeter les bases d’une renaissance d’un mouvement social indépendamment des partis du régime et sur une base de classe, c’est-à-dire d’un mouvement pour expulser le FMI du pays et pour satisfaire les besoins des couches populaires de travailleurs et d’indigènes.

 
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