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La Izquierda Diario
29 de juin de 2019 Twitter Faceboock

Lutte contre la répression à la SNCF
Interview de Rénald, cheminot : « Il n’y a que la grève massive et le rapport de force qui font avancer les choses »

Rénald, cheminot à la Gare de Lyon et militant SUD Rail, a été menacé de licenciement par la direction de la SNCF. Son histoire doit attirer notre attention dans la marée de répression qui touche de nombreux cheminots aujourd’hui. Car cette fois-ci, les cheminots ont réussi à éviter le licenciement de Rénald, avec une grève massive et le rapport de force nécessaire sur le terrain. Rénald a expliqué à Révolution Permanente comment ils ont réussi à faire plier la direction.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Interview-de-Renald-cheminot-Il-n-y-a-que-la-greve-massive-et-le-rapport-de-force-qui-font-avancer

Propos recueillis par Laura Varlet

Révolution Permanente : Peux-tu nous expliquer pourquoi la direction de la SNCF voulait te licencier ?

Rénald : Officiellement la direction de la SNCF voulait ma radiation en invoquant un « vol de traverses » alors que cette traverse usagée devait servir dans une action syndicale à bloquer l’accès de sanitaires dans un état plus qu’insalubre sur le site du Technicentre Sud-Est Européen de Conflans sur le périmètre de mon Conseil Social et Economique (CSE). Alors que la justice classe sans suite la plainte pour vol déposée contre moi par la direction de la SNCF, cette dernière s’entête à mener la procédure disciplinaire à son terme en demandant ma radiation... Mais la raison profonde à mon sens est ailleurs : la direction est rancunière, elle veut se venger des militants qui ont fait la grève de 2018 et ils ont saisi la première opportunité, même totalement bidon, pour tenter d’écarter un élu SUD Rail qui pose des droits d’alerte, qui les malmène en audience et en Demande de Concertation Immédiate (DCI), qui pose des préavis de grève, enfin, qui fait son job de délégué du personnel...

Révolution Permanente : Vous avez réussi à faire reculer la direction par rapport à ce qu’elle souhaitait faire, c’est-à-dire licencier un délégué syndical et un militant combatif, comment avez-vous réussi à instaurer ce rapport de forces ?

Rénald : Le jour de mon entretien disciplinaire préalable, l’équipe SUD Rail a organisé un rassemblement de soutien où environ 300 collègues de tous horizons sont venus, m’ont accompagné jusque devant le bureau de l’entretien en faisant un maximum de bruit, de chansons de manif, avec un mémorable « on est là » (chanson cheminote de la grève du printemps 2018) que je pense ni moi ni la direction sommes prêts d’oublier... Pourtant devant ce coup de semonce l’établissement reste inflexible et entame la procédure de radiation via le conseil de discipline.

Le 07 juin, jour où j’ai enfin pu avoir accès au dossier disciplinaire de la direction (vide et truffé d’incohérences...), les collègues ont organisé une mobilisation de dingue, du jamais vu dans l’histoire de l’Etablissement Commercial Trains, c’est-à-dire les contrôleurs de Gare de Lyon : 100% de grévistes sur Transilien et 98% à la ligne. À l’Assemblée Générale, une centaine de collègues présents donnent le ton et me donnent une leçon de solidarité cheminote. Ils montrent surtout leur désaccord avec la direction de l’établissement, avec la direction que prend l’entreprise, et la manière violente dont sont menées les réformes. Car sur l’établissement, le malaise est général, les sanctions tombent pour des futilités, les collègues sont malmenés dans leur quotidien au boulot et tous les moyens sont bons pour dégoûter les agents (pressions sur les agents à temps partiel, commandes et planning qui ne respectent pas la réglementation avec menaces de sanction en cas de refus de la part des agents, le moindre retard se traduit par de la mise à pied et quelques minutes suffisent...). Tout est sujet à lutte, à interprétation voir détournement du sens des textes RH, qui ne sont quasiment plus respectés.

Le Directeur d’Unité Opérationnelle a voulu imposer sa présence à l’Assemblée Générale des collègues, comme une forme de provocation. Mais, pendant plus d’une heure, chaque collègue tour à tour vide son sac et dit ce qui ne va pas. Mais cela ne suffit toujours pas à faire fléchir la direction, à lui faire entendre raison, ils ne veulent rien savoir et nous font comprendre qu’ils iront au bout de leur démarche. Il faudra attendre la mobilisation massive des collègues de l’Etablissement Service Voyageurs et le soutien des conducteurs de la ligne D avec la pose massive de déclarations d’intention de grève pour le 19 juin, jour de mon conseil de discipline (mais aussi du baccalauréat), pour faire enfin reculer la direction.

J’écoperai quand-même de 12 jours de mise à pied ferme, soit environ 100 fois la valeur d’une traverse usagée vendue à 20€ sur Le Bon Coin... Mais je reste cheminot, je garde mon poste d’ASCT (contrôleur) à Gare de Lyon et je garde mon mandat de représentant du personnel, et c’était bien là tout l’enjeu de cette procédure à mon encontre. Tout cela n’aura été possible qu’avec le soutien de tous les collègues au-delà des étiquettes syndicales, c’est l’unité qui a permis de cranter et de construire ce rapport de force qui m’a sauvé la mise et je ne remercierai jamais assez mes collègues d’avoir rendu cela possible.

Révolution Permanente : Ton cas n’est malheureusement pas une exception au sein de la SNCF, quel lien tu peux faire entre la répression accrue et les transformations en cours et à venir au sein de l’entreprise ? Comment tu vois la suite ?

Rénald : Même si 12 jours de mise à pied représentent une lourde sanction au regard des faits reprochés, je peux m’estimer heureux car mon cas n’est pas isolé, loin de là, et pour Yannick, Linda et Éric l’issue est catastrophique et bon nombre de collègues sont en attente de conseil de discipline avec radiation demandée. C’est vraiment du jamais vu dans l’histoire de la SNCF.

On voit bien que la direction cherche à faire des exemples, à instaurer un régime de terreur et museler toute opposition aux projets de réforme qu’ils veulent passer en force et cela sans se soucier des conséquences pour la santé physique et mentale des agents qui sont déjà à bout. On ne se dirige pas vers un nouveau France Telecom car malheureusement la situation sociale dans l’entreprise est déjà pire et les tristes records de suicides au sein de l’entreprise sont dépassés chaque année....

Cette réforme, c’est 30% de productivité qui doivent être dégagés, un plan social déguisé en restructurations établissement par établissement, en suppressions de postes, en modifications de fiches de poste pour que les agents restants soient multi-tâches et comblent la charge engendrée par ces suppressions. Et gare au moindre faux pas car pour les agents la moindre erreur aura de lourdes conséquences....

La leçon à tirer dans mon histoire c’est qu’il n’y a que la grève massive et le rapport de force qui font avancer la cause des salariés. Si nous ne voulons pas nous épuiser à contrer un par un chaque coup bas que va porter la direction, il va falloir construire un mouvement national d’ampleur et finir ce qui est resté inachevé lors des mouvements de 2014 et 2018 pour annuler purement et simplement cette réforme du ferroviaire en France dont tout le monde a enfin conscience des effets désastreux tant pour les cheminots, que pour la population qui voit ses gares fermer, ses trains remplacés par des bus ou des camions.

Et on le voit bien, même si c’est compliqué parfois il n’y a que dans l’unité, au-delà des étiquettes syndicales, que l’on peut réunir les conditions pour construire ce mouvement. En tout cas, toutes mes pensées vont aux collègues pour qui l’issue n’aura pas été aussi bonne, à ceux qui se font jeter à la porte après des années de dévouement pour cette boîte, pour le service rendu au public, aux familles des trop nombreux collègues qui mettent fin à leurs jours, à ces vies brisées sur l’hôtel de la productivité et du management inhumain. Nous syndicalistes devons organiser la résistance et créer les conditions qui vont nous mener à la victoire.

 
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