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10 de mai de 2019 Twitter Faceboock

Dédiabolisation ?
« Grand remplacement » : en Autriche, le FPÖ, parti allié de Marine Le Pen, renoue avec la rhétorique fascisante
Joachim Bertin

L’allié autrichien de Marine Le Pen s’est fendu d’une sortie sur les thèses du « grand remplacement », une idéologie particulièrement raciste qui risque de gêner la dirigeante du RN toujours à la conquête de sa dédiabolisation.

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Crédits photo : Frederick Florin / AFP

Il est des pays où l’extrême-droite ne peut pas se targuer d’être une alternative et où elle gouverne avec les partis de gouvernement plus classiques (social-démocratie et droite traditionnelle) à tous les niveaux de la vie politique depuis des années. C’est le cas de l’Autriche où le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs – Parti Libéral Autrichien qui fait partie de l’alliance européenne du RN), mené à partir de 1999 par son charismatique leader Jörg Haider, a participé à diverses coalitions, notamment au niveau des Länder (l’Autriche fonctionne selon un système fédéral) avec le parti conservateur ÖVP (Österreischiche Volkspartei – Parti Populaire autrichien) voire avec le parti social-démocrate SPÖ (Sozialdemokratische Partei Österreichs – Parti social-démocrate d’Autriche). En témoignent les funérailles nationales, et les hommages de toute la classe politique, suite à la mort de Haider, lors d’un ultime virage à droite, dans un accident de voiture en 2008. Pourtant, le FPÖ, sous la houlette notamment de son ministre des Finances Karl-Heinz Grasser de 2000 à 2007, associe à un programme ultra-libéral (privatisations, cadeaux fiscaux aux plus riches, attaques contre les retraites), un racisme et une xénophobie particulièrement virulente et décomplexée. Jorg Haider n’hésitait pas à faire l’apologie du Troisième Reich ou à employer de manière provocante une rhétorique qui ne pouvait que rappeler celle du national-socialisme. Cette formation politique a particulièrement joué dans un glissement vers la droite de l’échiquier politique en Autriche et d’une grave banalisation du racisme ou de la nostalgie pour la période de l’Anschluss, renouant avec ses origines nazies. Déjà en 2012, une valse avec le dirigeant Martin Graf dans un bal viennois très select pour néo-nazis et autres compagnons de route de l’extrême-droite, avait quelque peu embarrassé Marine Le Pen. Fondé en 1956, le parti est à l’origine un regroupement d’anciens nazis privés de leurs droits civiques.
 
Aujourd’hui, le parti d’extrême-droite, deuxième force politique du pays et qui gouverne avec la droite conservatrice de l’ÖVP (membre du Parti Populaire européen aux côtés de LR ou du PP espagnol lui aussi allié à l’extrême-droite), s’est trouvé un nouveau chef, toujours aussi sulfureux, en la personne de Heinz-Christian Strache, vice-chancelier de la République autrichienne. Ce dernier a défrayé la chronique en affirmant que son parti se battait contre le grand remplacement (il parle lui de « remplacement de population »), concept cher à l’extrême-droite identitaire et aux néo-nazis. « Nous ne voulons pas devenir une minorité dans notre propre patrie » a affirmé Strache dans le Kronen Zeitung, important quotidien autrichien.
 
Cette théorie profondément raciste a été développée par l’écrivain Renaud Camus qui avance qu’un remplacement de population plus ou moins prémédité, par une « élite mondialiste », est en cours en Europe. Rien de nouveau sous le soleil de l’extrême-droite puisque Hitler avançait que les Juifs utilisaient la France pour y importer des Noirs, avant lui Drumont (auteur antisémite particulièrement virulent) imaginait un complot juif mondial pour remplacer une prétendue race française. Selon les époques elle a pu être menacée par les Espagnols, les Italiens, les Portugais, les Russes, les Polonais, les Américains etc. Mais aujourd’hui selon Renaud Camus, et là encore il n’invente rien ce genre de théories circulant chez les anciens nazis ou collabos depuis l’après-guerre, il ne s’agirait plus de s’en faire pour un peuple en particulier mais bien pour... la « race blanche » ! Mais s’il y a complot c’est bien qu’il y a un but recherché. Pour Renaud Camus, tout part d’une blague de Bertholt Brecht (qui a par ailleurs très sérieusement écrit au sujet du fascisme que « le ventre est toujours fécond d’où sort la bête immonde »)... En 1953, suite au soulèvement de Berlin-Est, Brecht écrit dans un poème titré « La Solution » (« Die Lösung ») : « Après l’insurrection du 17 juin, / Le secrétaire de l’Union des écrivains / Fit distribuer des tracts dans la Stalinallée. / Le peuple, y lisait-on, a par sa faute / Perdu la confiance du gouvernement / Et ce n’est qu’en redoublant d’efforts / Qu’il peut la regagner. / Ne serait-il pas /Plus simple alors pour le gouvernement / De dissoudre le peuple / Et d’en élire un autre ? ». Et voilà Renaud Camus qui imagine une élite mondiale planifier l’immigration pour remplacer une population par une autre, qui serait plus malléable, plus servile et déracinée. On retrouve en même temps que les pires clichés racistes de l’époque coloniale, la prose classique de la droite nationaliste d’un Maurice Barrès, dont le nationalisme fervent c’est notamment exprimé dans ses encouragements quotidiens aux prolétaires et aux paysans à aller perdre leur vie lors de la guerre de 14-18. Ainsi, la formule de Renaud Camus a fait des émules et est aujourd’hui reprise par une grande partie de la droite qu’il s’agisse des identitaires, des néo-nazis, des catholiques traditionalistes, de plusieurs cadres du FN jusqu’aux Républicains de Laurent Wauqiuez ou un Sarkozy qui se désespérait il y a encore quelques jours de la disparition de l’Occident. Que l’on soit plus antisémite qu’islamophobe, on y verra un réel complot ourdi dans l’ombre, ou si l’on inverse la formule, éventuellement un phénomène obéissant à des lois démographiques, qui donneraient une solidité scientifique (pourtant bien ébranlée) à l’ensemble de l’édifice.
 
Ces thèses particulièrement violentes et qui conduisent aujourd’hui à des résolutions de « lutte contre l’occupant » dont les attentats terroristes de Pittsburgh ou de Christchurch sont les expressions les plus accablantes, sont une difficulté de plus pour le Rassemblement National qui cherche à faire oublier ses origines dans une optique de dédiabolisation et de lutte médiatique intense pour effacer les relents racistes traînés par le parti d’extrême-droite. Pourtant, le Rassemblement Bleu Marine (qui a participé, par contraction au nouveau nom du Rassemblement National) accueillait parmi la coalition de partis d’extrême-droite le SIEL (Souveraineté, Identité et Libertés) parmi lequel figure... Renaud Camus ! Et bien que Le Pen fasse des pieds et des mains pour euphémiser face aux médias et rejeter le terme de « remplacement » et toute l’imagerie complotiste qui va avec, il s’agit pourtant de thèses qui ont bonne presse dans son parti mais également chez ses alliés aux élections européennes. Parmi le regroupement européen d’extrême-droite Europe des Nations et des Libertés (ENL) qui rassemble notamment le FPÖ autrichien, la Ligue de Salvini ou l’AfD de l’autre côté du Rhin, le RN n’a plus à prouver son penchant naturel pour l’extrême-droite, y compris la plus fascisante.
 
A un moment où le capitalisme connaît des crises économiques, politiques et sociales profondes, à l’échelle internationale, notamment depuis 2008 et n’offrent que l’abaissement des conditions de vie à des pans entiers de la population, les capitalistes et la classe politique qui les sert cherchent à tout prix des boucs émissaires pour justifier la situation qu’ils ont créée. Car, si les capitalistes utilisent certainement l’immigration pour attaquer les salaires, ils s’en servent également ensuite pour diviser les exploités selon leur origine, leur langue, leur confession, leur couleur de peau. Dans l’Italie de Salvini, le discours et la politique ultra-xénophobe servent à réduire toujours plus le coût de la main d’œuvre immigrée, qui est indispensable au patronat transalpin. Une situation de précarité qui pèse sur l’ensemble des travailleurs de la Péninsule, italiens ou immigrés, pour vendre toujours moins cher leur main d’œuvre.
 
Les théories racistes de l’extrême-droite permettent avant tout de diviser ceux qui auraient intérêt à lutter côte à côte.

 
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