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La Izquierda Diario
16 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Tribune libre
Notre-Dame. « Il y aura des discours graves, puis on continuera à tailler les budgets de la culture »
Lino Le Hic

Demain, au milieu des poutres encore fumantes, il va y avoir des discours graves, pendant quelques jours, un "vibrant appel à l’unité nationale" pour essayer de récupérer la douleur populaire. Puis on recommencera à tailler dans les budgets de la culture, à retarder les chantiers, à tirer les prix et la qualité des intervenants, à choisir toujours le moins disant ou le copain du conseiller du ministre. 

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Lundi 15 avril.

Hier j’étais devant sa façade avec mes enfants. On est restés cinq minutes à écouter le son magnifique de ses cloches. À l’heure où j’écris maintenant, Notre-Dame est en train de mourir en direct, tandis que les pompiers se battent avec acharnement, impuissants à calmer l’énorme incendie. La flèche s’est écroulée et tout le reste de l’édifice qui est l’âme de notre ville risque de suivre.
 
On s’enfonce dans la nuit, tandis que le trader agressif qui nous sert de président après avoir fait une OPA à 18% sur la France devait occuper les écrans ce soir encore pour vilipender ses opposants. Heureusement, devant les regards et les cœurs tous accablés par la mort terrible de notre cathédrale il s’est rendu compte que personne ne lui prêterait l’oreille. Il n’a donc pas eu d’autre choix que d’avoir la décence de reporter sa grand messe d’autosatisfaction télévisée. Mourante, Notre-Dame aura au moins su le faire taire. Avec quelques sbires, il s’est rendu sur place, comme on dit dans les médias.
 
Mais je ne peux pas empêcher l’image de la cathédrale martyrisée de se superposer à celle du pays tout entier. C’est comme si cette vieille dame aimée se mettait à souffrir à l’unisson du pays déjà éprouvé par la répression politique. Difficile de trouver symbole plus triste ni plus juste, hélas.
 
Si Victor Hugo était encore là, il pleurerait, mais il ferait aussi le parallèle, lui qui était si prompt à voir dans le destin d’un monument ou d’un héros celui d’un peuple entier. Il dirait sans doute que le pays qui ne sait pas nourrir ses fils et qui leur crève les yeux dans les manifestations est aussi celui qui ne sait pas sauver ses chefs-d’œuvre. Que le pays qui a été mis à feu et à sang par une répression d’une violence sans précédent dans la 5e république est bien le même qui souffre en voyant l’un de ses joyaux les plus populaires partir en fumée. Il en tirerait une méditation sur l’incurie des profiteurs et la souffrance du peuple. 

On ne sait pas encore la cause du sinistre. Je ne vais donc pas faire de procès sauvage. Mais j’attends qu’on me prouve que le chantier n’était pas au rabais, que toutes les précautions étaient prises. Qu’on a donné aux ouvriers la possibilité travailler de le mieux possible, sans délais intenables, sans économies de bouts de chandelles, sans contournements des règles de sécurité... Quand on restaure un tableau du Louvre ou la plus célèbre cathédrale gothique, la phrase fétiche des entrepreneurs épris de rentabilité (entendez : de profit) "Plus vite, moins cher !" est le meilleur chemin vers l’échec. 

Depuis une trentaine d’années la culture a systématiquement servi de variable d’ajustement budgétaire. Elle a été massacrée, sacrifiée, Sarkozée, Hollandisée, Macronisée. Les monuments historiques s’écroulent ou sont pillés, les tableaux moisissent. Des personnalités comme Stéphane Bern ont lancé des initiatives privées pour compenser ce désengagement massif de l’État, tandis que des milliardaires spécialistes de l’évasion fiscale profitent de ce type d’initiative pour jouer les philanthropes désintéressés. Mais, cela ne saurait suffire. Comme dans le domaine social, il faudrait un renversement complet de la vapeur. Ça n’est pas rentable d’entretenir et de protéger les plus beaux monuments, les plus belles œuvres d’art ? Mais ils attirent des millions de touristes chaque année ! Ils sont un trésor collectif. 

L’argent offert aux "amilliardaires" de Macron doit être rendu, pour servir enfin à l’éducation, à la santé, au transport et... à la culture ! Si l’État consacrait à des tâches utiles tout l’argent et les moyens qu’il gaspille depuis le début du mouvement pour surveiller et réprimer les manifestations, nous vivrions dans un pays modèle... Mais ne rêvons pas : ce gouvernement élu pour détruire nos acquis sociaux et défendre les intérêts d’une minorité ne tient plus que par sa police. 

Demain, au milieu des poutres encore fumantes, il va y avoir des discours graves, pendant quelques jours, un "vibrant appel à l’unité nationale" pour essayer de récupérer la douleur populaire. Puis on recommencera à tailler dans les budgets de la culture, à retarder les chantiers, à tirer les prix et la qualité des intervenants, à choisir toujours le moins disant où bien celui qui passe l’enveloppe sous la table, ou le copain du conseiller du ministre. Profond dégoût. Révolte.

"Nous allons la reconstruire." dit-il. Monsieur le président, au nom de tout le pays que vous et vos semblables dépecez depuis trop longtemps, je vous interdis ce pronom. Vous allez la reconstruire ? Avec l’argent de l’ISF, du CICE, des exonérations pour vos milliardaires, de la fraude fiscale dont vous êtes complice, des partenariats public-privé et autres rentes ? On va compter sur vous, qui avez sabré les services publics en général et la culture en particulier ? Le feu, ça vous connaît, vous l’avez mis dans tout le pays. Non, vous n’allez rien reconstruire. Reprenez une louche de caviar et retournez au ski. Pendant ce temps-là NOUS allons la reconstruire. Nous paierons. Nous monterons sur les échafaudages. Nous taillerons les pierres. Nous sommes les travailleurs qui produisent, vous êtes la caste qui dépense. Nous allons la reconstruire avec le reste d’argent que vous n’avez pas encore eu le temps de nous voler pour l’envoyer au Luxembourg ou aux Îles Caïman. Nous allons la reconstruire. Sans vous.

Notre-Dame hurle.
Là aussi, il est temps que les choses changent. 

Crédits photo : FRANCOIS GUILLOT. AFP

 
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