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La Izquierda Diario
1er de octobre de 2018 Twitter Faceboock

Lutte contre la précarité
La sous-traitance : la réalité d’un secteur esclavagiste
Max Demian

Qu’il s’agisse des ONET des gares de la banlieue Nord, ou aujourd’hui des grévistes de l’hôtel de luxe Hyatt Paris-Vendôme, de nombreuses grèves ont permis de rendre visible un secteur totalement invisible : celui de la sous-traitance. Et pour cause : les conditions de travail y sont quasi-esclavagistes. Qu’un secteur aussi précaire relève la tête pourrait en faire un symbole de la lutte contre la précarité et ainsi inspirer d’autres secteurs : un cauchemar pour la bourgeoisie.

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Photo : O Phil des Contrastes.

La sous-traitance : un moyen clé pour le patronat de mettre les travailleurs en concurrence

Razmig Keucheyan, intellectuel de gauche s’étonnait dans une tribune au sujet de la grève victorieuse des ONET : « Pareille lutte s’annonçait d’autant plus improbable qu’elle était menée par des immigrés récents, au sein d’une entreprise sous-traitante et dans un secteur où l’interruption du travail n’a pas un impact vital sur le cours de la vie sociale. Bloquer une raffinerie, c’est bloquer le pays. Mais cesser de nettoyer une gare périphérique en Seine-Saint-Denis… ? ».

En effet, on pourrait se dire qu’après tout le secteur du nettoyage, et surtout la sous-traitance, n’est pas un secteur aussi stratégique que l’aéronautique ou la SNCF. En soi cette affirmation est correcte. Mais incomplète. Car en réalité le patronat tire un profit énorme de ces travailleurs et travailleuses hautement précarisés. Surtout, les patrons évitent par-dessous que la réalité peu reluisante ne vienne ternir leur image.

Le secteur de la sous-traitance consiste en des entreprises qui proposent de louer de la force de travail à d’autres entreprises, souvent à des entreprises énormes, en position de monopole. Les entreprises en position de monopole externalisent ce genre de tâches pour diminuer leurs frais de personnel et accroitre la rentabilité. En se concentrant sur les activités à forte plus-value, les monopoles rejettent la concurrence sur les entreprises de sous-traitance. L’Usine Nouvelle, magazine de la bourgeoisie industrielle, explique ainsi : « Dans cette configuration, celles-ci [les grandes entreprises] se concentrent sur leur cœur de métier tandis que les prestataires de la propreté se chargent des tâches périphériques, proposant du sur-mesure selon les attentes du donneur d’ordres ».

Surtout, c’est un moyen pour les grandes entreprises de faire baisser les salaires le plus bas possible. En effet, les monopoles ne sont pas en concurrence entre eux - par définition un monopole n’a pas de concurrents. Dans la réalité, les marchés sont en fait partagés entre quelque grandes entreprises. Mais comme la concurrence est faible, difficile de faire entrer en concurrence les salariés de ces secteurs monopolistes.

La bourgeoisie a donc mis au point le principe de la sous-traitance. Le domaine de la sous-traitance est lui très fragmenté et concurrentiel. Comme l’écrit l’Usine Nouvelle, : « Le secteur encore très atomisée - 95,4% des sociétés de nettoyage emploient moins de 50 salariés ». C’est un moyen commode pour la bourgeoisie pour maintenir les salaires à la baisse en mettant indirectement les salariés en concurrence.

C’est donc clé. Parce que plus la concurrence est forte entre sous-traiteurs, l’entreprise en position de monopole peut mettre la pression vers le bas sur les salaires des employés qu’elle emploie en sous-traitance. C’est un moyen important pour maximiser l’extraction de plus-value.

Cela est particulièrement visible dans le cas des grévistes de l’hôtel de luxe Hyatt. Les grévistes sont employés par la société STN, une société de sous-traitance, qui loue littéralement les travailleurs à la chaîne d’hôtels de luxe Hyatt. Le marché de l’hôtel de luxe est un marché où quelques entreprises se partagent un gâteau faramineux de plusieurs milliards. Pendant ce temps, les grévistes employés en sous-traitance travaillent dans des conditions indignes, à des salaires inférieurs aux employés directement employés par l’hôtel.

Ce sont donc de fait les travailleurs les plus précaires de notre classe qui travaillent en sous-traitance. Souvent des femmes racisées, habitant en périphérie, et devant s’occuper des taches domestiques après une journée d’un travail inhumain. Ces travailleurs sont activement rendus invisibles par la bourgeoisie et les entreprises qui usent de tous les moyens pour masquer la réalité ignoble qui est la source de leur richesse. Jamais à court d’euphémisme, voilà ce qu’écrivait le journal Usine Nouvelle : « La profession parle de moins en moins de « nettoyage » et lui préfère aujourd’hui des vocables tels que « propreté », et même « hygiène » qui sous-entendent des enjeux en terme de santé ».

Les travailleuses du secteur du nettoyage employées en sous-traitance sont souvent « polyvalentes ». C’est un secteur hautement rationalisé, avec une concurrence monstre pour remporter les appels d’offre ultra concurrentiels. A ce titre, Erick Maugendre de Penauille résume dans l’Usine Nouvelle : « Ainsi, la propreté est en phase de rationalisation. Il s’agit de « nettoyer au meilleur endroit au bon moment, au lieu d’avoir des zones trop propres et d’autres qui ne le sont pas assez » ». Ou encore, selon le même site : « le nettoyage s’est industrialisé dans ses process ». Ce qui permet d’ailleurs aux prestataires de propreté de proposer un service plus compétitif, de même que l’offre multiservices ouvre la voie, elle aussi, à des synergies opérationnelles et techniques. »

Peu de possibilité de progression de carrière. Peu de considération - aucune en fait. Ces femmes, pour la plupart, sont littéralement les petites mains de l’industrie du nettoyage. Au service d’entreprises qui brassent des milliards, elles travaillent dans des conditions totalement barbares.

L’enjeu politique de la sous-traitance : au croisement de multiples rapports de domination

Comme le dit Lénine, la politique c’est de l’économique concentré. Et en concentrant les conditions de travail les plus précaires, ce secteur est de fait hautement politique : les travailleuses cumulent les inégalités et n’ont souvent littéralement rien à perdre.

Les grèves dans le secteur de la sous-traitance sont une réelle expérience d’unité pour notre classe, un réel moyen de lutter contre les préjugés réactionnaires, racistes et sexistes qui imprègnent notre classe. Il ne s’agit en effet dans ce genre de secteurs pas seulement de luttes "économiques", mais aussi de luttes pour la dignité, et contre le sexisme et le racisme couramment subis par les travailleuses dans ce genre de secteurs. Il s’agit de voir comment ONET et Hyatt ont licencié des employées victimes de harcèlement sexuel.

Les enjeux féministes et antiracistes sont ainsi directement posés sur le terrain de la lutte des classes. Il ne s’agit ni de réduire chaque travailleur à une identité abstraite de travailleur, ni de mettre à égalité la lutte des classes avec les autres types de domination, mais de comprendre comment, sur le terrain de la lutte des classes, dans une grève, l’unité des travailleurs implique de lutter contre les préjugés réactionnaires. C’est une lutte politique pour l’unité de la classe.

C’est cette dimension économique fondamentale de la sous-traitance qui permet de comprendre pourquoi la répression dans ce secteur est si forte. La grève des ONET, un secteur ultra précarisé, prend une autre dimension une fois remise en perspective. De même que celle en cours des Hyatt. C’est ce qui fait de ce secteur - la sous-traitance, et surtout le nettoyage - un des secteurs les plus proches aujourd’hui de l’esclavagisme dans les limites du droit capitaliste, et en fait un secteur hautement politique.

Car le patronat s’inquiète d’un mouvement de grève qui pourrait faire relever la tête aux travailleurs en sous-traitance, donner des idées à des travailleurs précarisés d’autres secteurs, et ainsi venir directement menacer la plus-value qu’il tire de cette hyper concurrence. De plus, ce genre de grève, en révélant la réalité d’un secteur méconnue nuit énormément à leur image, surtout dans le cas d’un hôtel de luxe.

La lutte de la sous-traitance est une lutte de tous contre la précarité imposée par les politiques anti-sociales de Macron. Et ce n’est jamais bon pour la bourgeoisie de voir notre classe s’unir. D’où l’importance de comprendre les enjeux, rendre visible et élargir ce genre de grèves. Cela rappelle à notre classe qu’elle n’est pas seule, que ses intérêts sont liés. Et qu’il est possible de relever la tête, ensemble.

Comme l’écrit Lénine : « Chaque grève rappelle aux ouvriers que leur situation n’est pas désespérée, qu’ils ne sont pas seuls. Voyez quelle énorme influence la grève exerce aussi bien sur les grévistes que sur les ouvriers des fabriques voisines ou situées à proximité ou faisant partie d’une branche d’industrie similaire. Ainsi les grèves apprennent aux ouvriers à s’unir ; elles leur montrent que c’est seulement en unissant leurs efforts qu’ils peuvent lutter contre les capitalistes ; les grèves apprennent aux ouvriers à penser à la lutte de toute la classe ouvrière contre toute la classe des patrons de fabrique et contre le gouvernement autocratique, le gouvernement policier. C’est pour cette raison que les socialistes appellent les grèves "l’école de guerre", une école où les ouvriers apprennent à faire la guerre à leurs ennemis, afin d’affranchir l’ensemble du peuple et tous les travailleurs du joug des fonctionnaires et du capital ».

 
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