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La Izquierda Diario
12 de septembre de 2018 Twitter Faceboock

Après 2001
Pourquoi y a-t-il de nouveau une crise économique en Argentine ?
Nicolas Rossel

Depuis plusieurs mois la situation économique argentine se dégrade considérablement : dépréciation monétaire et inflation des prix, retour du FMI, faisant planer le spectre de la dramatique crise argentine, d’abord économique puis sociale et politique, de 2001.

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Photo : O Phil des Contrastes.

Les chiffres de la crise

Depuis le début de l’année 2018, la valeur du peso argentin a chuté de 52% par rapport au dollar, pour s’établir aujourd’hui à 1 dollar = un peu plus de 38 pesos. Et cette dépréciation de la monnaie argentine par rapport au dollar ne semble pas s’enrayer malgré toutes les courbettes que le président Mauricio Macri fait devant la finance internationale pour rendre sa monnaie attractive, dont le prêt au FMI d’un montant de 50 milliards de dollars en juin dernier, en échange de politiques d’austérité (on connait la chanson). A l’origine de ce retournement, la décision de la FED, banque centrale américaine, de relever ses taux directeurs : une décision qui a poussé les investisseurs à délaisser les marchés émergents pour revenir sur les avoirs américains, rendus plus attractifs.

Pour tenter d’enrayer cette baisse de la valeur du peso par rapport au dollar, la fuite des capitaux et contenir l’inflation, la banque centrale argentine, la mère de toutes les banques du pays, a décidé elle aussi d’augmenter son taux directeur à hauteur de 60%, le plus haut niveau au monde. Sans véritable effet puisque, dans le même temps également, l’inflation, a continué à grimper de 30 % en juillet dernier, avec une prévision de +40% d’ici la fin de l’année 2018. Tous ces chiffres sont de très mauvais signes de la santé économique du pays. Mais pourquoi ? Et comment en est-on arrivé là ?

Les causes de la chute du peso

La dépréciation ou l’appréciation d’une monnaie par rapport à une autre se mesure par le taux de change entre ces deux monnaies, c’est-à-dire la quantité de monnaie nationale nécessaire pour obtenir de la monnaie étrangère. Le dollar étant la principale monnaie de référence internationale, et l’économie argentine étant imprégnée de dollars, c’est donc essentiellement par rapport au dollar qu’on mesure la valeur du peso argentin. Si 1 peso = 1 dollar, les deux monnaies sont égales. Mais s’il faut plus de pesos pour obtenir la même quantité qu’auparavant, on dit alors que le peso se déprécie par rapport au dollar (et par effet miroir, le dollar s’apprécie par rapport au peso). C’est donc un phénomène de dépréciation du peso par rapport au dollar (et donc appréciation du dollar par rapport au peso) qui s’aggrave depuis huit mois.

Les hausses des taux d’intérêt américains

Le déclencheur de cette forte dépréciation se trouve dans le processus de hausse graduelle du taux directeur de la FED, la banque centrale américaine. En effet, la reprise de la croissance économique américaine a poussé la FED à relever son taux directeur : 7 hausses depuis 2015, et 2 depuis le début de l’année, amenant le taux dans une fourchette fluctuante entre 1,75% et 2%. Et de nouvelles hausses sont encore à prévoir.

Le taux directeur d’une banque centrale est le taux auquel les banques commerciales se procurent de la monnaie auprès de la banque centrale, dans le but de la mettre en circulation dans l’économie notamment via les crédits. En augmentant son taux, la FED cherche à ce que cette augmentation se répercute sur les autres taux d’intérêts des banques commerciales, et ainsi faire diminuer la quantité de monnaie disponible, la rendre moins accessible, dans le but de freiner légèrement l’activité économique américaine car celle-ci génère l’inflation des prix. Le but recherché est donc de limiter l’inflation.

Cependant, cette hausse des taux d’intérêts américains génère un autre mécanisme à l’échelle internationale : du point de vue des capitalistes qui souhaitent placer leur argent, cette hausse représente une opportunité de rendements plus élevés. Ainsi, les capitaux étrangers sont attirés par des placements plus intéressants aux Etats-Unis, et ont donc tendance à fuir leur pays, en convertissant leur monnaie d’origine en dollars.

Le dollar attire. C’est ce phénomène de fuite des capitaux vers les Etats-Unis, et vers les titres affiliés au dollar, qui génère une appréciation du dollar par rapport aux autres monnaies et donc une déprécation des monnaies par rapport au dollar, en particulier le peso, mais aussi le réal brésilien et la livre turque.

L’Argentine n’est donc pas le seul pays impacté par la fuite de ses capitaux et la dépréciation de sa monnaie ; la Turquie en fait également les frais comme on le voit depuis cet été avec la chute de sa monnaie.

Parmi les titres américains qui attirent les capitaux argentins, se distinguent notamment les bons du Trésor sur 10 ans, c’est-à-dire les titres d’Etat qu’émet le gouvernement américain pour financer son déficit. Ces titres sont considérés comme relativement « sûrs » et fluctuent autour du seuil psychologique des 3 % de rendement depuis le printemps, un taux considéré comme élevé. Ce taux élevé est un effet indirect de la hausse du taux directeur de la FED, comme reflet de la bonne santé de l’économie américaine, mais s’explique aussi par la pression à la hausse de rendements de la part des détenteurs de ces bons, qui exigent un rendement plus élevé face au creusement du déficit budgétaire du gouvernement Trump (reflétant au passage des contradictions de l’économie américaine). Quoi qu’il en soit pour le moment le dollar prend de la valeur au détriment des autres monnaies. C’est une crise de confiance dans le peso qui frappe l’Argentine.

Le passage d’un taux de change fixe à un taux de change flottant depuis 2015

Le gouvernement argentin de droite libérale n’est pas une victime extérieure à ce système et à cette crise. A peine arrivé au pouvoir en 2015, Macri décide de sortir du système de taux de change fixe. Ce système donnait une « valeur fictive » au peso en le maintenant à un niveau d’appréciation plus forte que la réalité. D’ailleurs, durant le gouvernement de Cristina Kirchner, s’était développé tout un réseau de « change au black » où le peso se vendait à une valeur bien inférieure au taux de change officiel. Cependant, le taux de change fixe permettait une relative stabilité du peso par rapport au dollar.

Mais Macri décide donc de passer au système de taux de change flottant, c’est-à-dire un système dans lequel la valeur du peso s’établit en permanence selon l’offre et la demande de monnaie. Évidemment que le fragile peso ne pouvait que se déprécier par rapport au dollar. C’était le but recherché de Macri afin de relancer les exportations en perte de vitesse et alors que la balance commerciale argentine devenait déficitaire pour la première fois depuis 1999. Il s’agissait également de libéraliser l’économie dans son ensemble, en facilitant notamment le rapatriement des profits des entreprises étrangères et ainsi attirer de nouveaux capitaux. Ainsi le peso argentin s’effondrait déjà de 30% dès décembre 2015, plus ou moins la valeur à laquelle il était vendu au « marché noir ».

Trois ans après le passage au taux de change flottant, se produit l’effet exactement inverse du but recherché. Mis à part pour les exportateurs et des capitalistes étrangers qui se sont gavés au passage, la politique de Macri est donc un échec total. Pire, les nouvelles mesures aggravent la situation économique et sociale et visent à faire payer la crise aux travailleurs et classes populaires argentines.

Les mécanismes vicieux de la crise et de la politique du gouvernement Macri

La hausse des taux d’intérêt argentins : fausse solution et vrai frein à l’économie

Première conséquence de cette dépréciation monétaire : la banque centrale argentine passe son temps à augmenter son taux directeur qui atteint aujourd’hui le niveau démesuré de 60%. Rien à voir avec la hausse du taux de la FED dont l’objectif est d’éviter la formation de bulles spéculatives, et de limiter la trop grande volatilité des cours ainsi que l’inflation. Ici la banque centrale argentine cherche désespérément à retenir les capitaux attirés par le dollar, et à en attirer de nouveaux en proposant des rendements très avantageux. Mais rien à faire, cette politique ne fonctionne pas. Si les capitalistes n’ont pas confiance dans une monnaie, tous les taux attrayants du monde n’y changeront rien. C’est là qu’on voit que cette crise se caractérise principalement comme une crise de confiance dans le peso. Selon la banque centrale, depuis 2015, c’est déjà l’équivalent de 50 milliards de dollars qui ont fuit du pays, la même somme que le gouvernent vient d’emprunter au FMI.

Non seulement la hausse des taux n’enraye pas la dépréciation de la monnaie, mais à de tels niveaux, les taux d’intérêts engendrent des effets récessifs sur l’économie. C’est pour cela que ces niveaux élevés du taux directeur ne sont pas censés s’éterniser. Du point de vue des ménages et des capitalistes qui empruntent aux banques pour respectivement consommer et investir, des taux d’intérêts élevés mettent un coup de frein à leurs projets économiques et entrainent alors une baisse de l’investissement et de la consommation, facteurs de licenciements et de chômage, qui à leur tour vont aggraver l’investissement et la consommation, etc. selon un cercle vicieux. L’effet récessif commence à se faire sentir puisque le gouvernement prévoit une contraction du PIB de 1% cette année.

L’accélération de l’inflation : le spectre de 2001

Avec une prévision d’une augmentation des prix de + 40% d’ici la fin de l‘année, alors que l’inflation était déjà élevée en 2017 (+25%), la perspective de revivre le cauchemar inflationniste de 2001 hante les argentins. En théorie, s’il revient plus cher d’acheter des produits en dollars à cause de la dépréciation, les importations devraient diminuer au profit des exportations dans la mesure où il revient moins cher d’acheter à l’Argentine. Mais le temps de réajustement n’est pas immédiat et peut se retrouver bloqué par les besoins d’importation. L’Argentine n’étant pas capable de produire certains biens vitaux à son économie, elle est obligée de continuer à les importer, ce qui aggrave fortement le montant des factures des importations, en particulier les importations de biens d’équipement et des biens intermédiaires qui servent à produire, et en particulier les biens importés en dollars.

Le cas de l’automobile est emblématique : l’Argentine exporte des voitures notamment au Brésil. Mais pour les produire, elle a besoin d’importer des pièces intermédiaires qui deviennent alors chères à cause de la chute du peso. Désormais l’inflation des prix des importations se répercute sur l’ensemble de l’économie, ce qui met un coup de frein à la consommation, renforçant le cercle vicieux décrit précédemment. C’est bien le risque d’appauvrissement généralisé avec des phénomènes de famines comme en 2001, qui inquiète les argentins.

Austérité contre 50 milliards du FMI au profit des créanciers

A l’inflation galopante, et au coût du crédit exorbitant, s’ajoutent des mesures d’austérité sous forme de coupes nettes dans le budget de l’État. Alors que l’État argentin avait annulé les missions du FMI sur son territoire depuis son dernier remboursement en 2006, Macri fait à nouveau appel au monstre : 50 milliards de dollars d’emprunt censés rassurer les investisseurs en fuite. A titre de comparaison, la Grèce avait emprunté au FMI 30 milliards de dollars en 2010, ce qui était déjà un record.

Le problème est triple. Tout d’abord cet emprunt en juin dernier ne produit pour le moment aucun effet significatif pour enrayer la fuite des capitaux, ce qui, même du point de vue des capitalistes, est inquiétant. Ensuite, cet emprunt va essentiellement servir à rémunérer les créanciers détenteurs de la dette argentine, puisque, effet pervers de la hausse des taux, l’État a promis des rendements élevés pour retenir et attirer les capitaux ; il va donc falloir les payer, ce qui aggrave le déficit budgétaire et la dette. Enfin, contrepartie de ce prêt, le gouvernent vient d’annoncer les premières mesures d’austérité censées réduire le déficit budgétaire, et qui vont aggraver d’autant plus les conditions de vie des argentins, dont le pouvoir d’achat se réduit comme peau de chagrin sous l’effet de l’inflation : suppression pure et simple d’une dizaine de ministères et augmentation des taxes sur les exportations.

Ces mesures font suite aux coupes budgétaires déjà entamées par le gouvernement, empêchant une hausse des salaires qui suive l’inflation, comme celles dans l’éducation qui a déclenché un mouvement important des enseignants et étudiants argentins. Alors qu’en 2015 Macri avait supprimé les taxes sur les exportations de céréales et de viande et réduit celles sur le soja, participant de fait au creusement du déficit public qu’il est désormais censé résorber, il réinstaure maintenant les taxes sur les exportations agricoles. Un poids supplémentaire qui risque d’entrainer des licenciements dans les entreprises exportatrices, et aura certainement des conséquences sur le marché alimentaire mondiale (à suivre).

Encore une fois, cela montre l’échec de la politique de Macri depuis son élection, mais surtout cela montre un président qui passe son temps à faire tour à tour des cadeaux aux capitalistes selon le sens du vent (exportateurs, entreprises étrangères, créanciers, FMI) tout en faisant payer la crise aux travailleurs et aux classes populaires argentines. Mais cette nouvelle crise démontre également que les 12 ans de gouvernement des Kirchner n’ont en rien modifié la structure semi coloniale du pays, soumis à l’impérialisme et aux aléas du capital international. C’est à la classe ouvrière alliée à la jeunesse précarisée, aux classes populaires et au mouvement des femmes, de mettre un frein aux politiques néolibérales de ce gouvernement et ses maîtres du FMI, mais aussi de défendre une politique totalement indépendante des variantes bourgeoises comme le kirchnerisme.

 
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