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La Izquierda Diario
12 de juin de 2015 Twitter Faceboock

Tribune ouverte
Répression policière des prostituées chinoises à Belleville

Lalèle T.

Depuis le vendredi 22 mai, les femmes chinoises exerçant la prostitution à Bellevilletémoignent de harcèlements policiers dans tout le quartier. Les arrestations de ces migrantes – souvent sans-papiers – sont récurrentes sous couvert de délit de racolage, mais depuis quelques semaines, la police change de stratégie. Les officiers de la Brigade Spécialisée de Terrain patrouillent dans les rues de Belleville de 10h à 23h et procèdent à des contrôles d’identité intempestifs, les prennent en photo sans leur consentement et les menacent d’expulsion si elles ne « dégagent » pas du quartier.

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Une situation alarmante dans un quartier dit « sensible »

Cette présence sans interruption des forces de police effraie les femmes et les empêche de gagner leur vie. Yiyi, 50 ans, originaire du Dongbei témoigne : « Dimanche soir, 22 mai, 22h. J’étais à Belleville, près du Boulevard de la Villette, je marchaiset un policier est venu en me demandant mes papiers. Je les lui ai tendus, et il a sorti son portable pour me prendre en photo, mais je ne voulais pas qu’il me prenne en photo, alors il m’a attrapé par la manche de mon vêtement pour m’empêcher de partir. Il m’a lâché et a déchiré mes papiers. J’ai repris la marche vers chez moi mais j’ai à peine fait quelques mètres qu’il m’a crié après, il m’a rattrapé en me bloquant le passage et en me demandant à nouveau « papiers ». Mon français n’est pas bon donc ce n’était pas facile de m’exprimer, il m’a dit d’ouvrir mon sac, a pris le portefeuille qu’il y avait à l’intérieur. Il me l’a rendu et pendant que je le remettais dans mon sac il m’a pris en photo. Il y avait des gens qui étaient témoins, et finalement un français l’a interpellé. Du coup le policier m’a laissé partir. Si le monsieur n’était pas intervenu, il aurait continué à me harceler je pense. »

La situation qu’a vécue cette femme est partagée par de nombreuses autres femmes prostituées du quartier. Parfois, les agents les suivent jusqu’à leur domicile et visitent leurs appartements, même si aucune arrestation ou conduite au poste n’a été relayée jusqu’à présent. Ces actions se limitent à des formes d’intimidation à défaut de pouvoir légalement aller plus loin. Les policiers, au courant des conditions de vie de ces femmes, savent où viser.

Lili, 48 ans s’inquiète : « Mais bon sang que font-ils avec ses photos ? Notre plus grande peur c’est qu’ils les mettent sur internet ou qu’ils les diffusent jusqu’en Chine (…)On ne peut plus rien faire, même pas marcher. Il n’y a que des sales mecs dans la rue, les tarifs sont bas, les flics sont partout, on est encore plus en danger, on a du mal, on ne gagne pas d’argent et on ne peut pas rentrer en Chine ».

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Lili, comme une majorité des femmes du quartierest originaire du Liaoning, province du nord de la Chine. Elle était au chômage depuis la fermeture de l’usine où elle a travaillé des années. Mère d’un enfant pour qui elle doit payer les frais de santé et de scolarité, elle s’envole pour la France afin de trouver une solution à sa situation…. Sa famille restée en Chine n’est pas au courant de la façon dont elle gagne sa vie ici. C’est pourquoi pour Lili comme pour les autres femmes la diffusion de leur image représente le risque de voir leurs proches informés de leurs activités. Pour se protéger, elles revêtent des masques lors de manifestations ou de prises de parole en publique.

Une lutte inégale, des pratiques de survie

Ces pratiques, qui peuvent être violentes, visant manifestement à exclure les prostituées du quartier de Belleville, émanent de directives de la mairie de Paris, dont tirent avantage certaines mairies d’arrondissement, notamment celle du 19ème – Belleville étant au carrefour entre le 10ème, 19ème et 20ème – qui voient d’un mauvais œil la présence de prostituées dans les alentours.

Même si rien n’interdit légalement les policiers de photographier ces femmes avec leur portable, ils ne se soucient pas de leur consentement et les prennent en photo pour les intimider. Pour ces femmes, la police n’est pas là pour les protéger, mais plutôt pour les réprimer : « On est exposées tout le temps à des pressions, des violences. Il y a les clients et maintenant il y a la police », poursuit Lili. C’est une répression perverse dont le mobile est l’identification des peurs de la population cible pour mieux la manipuler.

En plus de rendre compte des abus du pouvoir policier dans l’utilisation d’outils d’intimidation ciblés, cette situation révèle toute l’hypocrisie du rapport de l’État à la prostitution. Elle dérange car elle va à l’encontre de ce que les politiques publiques imaginent d’un « quartier respectable ». « Ils ne veulent pas faire de Belleville un « quartier rouge », mais alors qu’ils nous autorisent à faire ça en sécurité dans des endroits prévus pour ! ».

Bien qu’elles soient perçues comme des « menaces à l’ordre publique », la réalité est qu’elles sont elles-mêmes les victimes des autorités censées les défendre, qui les mettent en danger et les précarisent (notons au passage que la loi sur la pénalisation des clients est rediscutée ce 12 juin à l’Assemblée Nationale après avoir été supprimée en mars dernier).

Ces femmes sont résidentes du quartier et ne se voient vivre nulle part ailleurs. Elles y logent, y font leurs courses, ont leur réseau de sociabilité et leur clientèle. Réunies dans un local la semaine dernière,une soixantaine de femmes présidées par l’Association des Roses d’Acier – collectif de femmes prostituées chinoises œuvrant pour leur défense – ont décidé que face aux intimidations des autorités, elles devaient convaincre les habitants et les politiques publiques qu’elles ont toute leur place dans le quartier : « Nous aussi, nous voulons vivre dans un bon environnement. Nous ne voulons pas récolter les regards de mépris des habitants de Belleville mais au contraire leur prouver que nous voulons mieux vivre ensemble ! » lance une des adhérentes de l’association.

A l’issue de cette réunion, elles ont décidé d’établir quelques règles de travail et demettre en place une journée de nettoyage du quartier. « On en profitera pour nettoyer les vitres des voitures de police » plaisante l’une d’entre elles, provoquant l’hilarité générale. Au-delà de cette action particulière, la situation d’extrême détresse dans laquelle elles se trouvent, l’émergence d’une forme d’organisation entre les femmes du quartier, la tenue de cours de français, la volonté de créer des ateliers de sensibilisation au droit des migrants sans papier et des prostituées à l’initiative de l’association des Roses d’Acier témoignent également de leur capacité non seulement à s’ériger contre des mesures répressives injustes, mais aussi à s’organiser et affirmer leur identité et leur droit d’existence dans un contexte de violence. Cette forme de solidarité constitue un pouvoir de résistance symboliquement fort mais qui reste très précaire. La parole et les actions de ces femmes restent malgré tout constamment attaquées et fragilisées,accordant peu de légitimité à des personnes que l’on ne voit qu’à travers leur statut de migrantes sans-papiers exerçant des activités de prostitution et dont l’État nie les droits les plus élémentaires.

A Belleville comme à la Chapelle, l’asphyxie des personnes migrantes est partagée : expulser – de la rue – sans proposer d’alternative est une aberration qu’Aiying, femme de Belleville, exprime en ces termes : « On essaye d’ouvrir le dialogue mais notre voix n’est pas entendue. On cherche par nous-mêmes des manières de continuer à vivre, mais en face on veut nous ôter le droit de vivre, et si ce n’est pas à Belleville, ce sera ailleurs. »

 
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