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IMPUNITE POLICIERE

Viry-Châtillon : la police truque les preuves pour emprisonner des innocents

Une nouvelle enquête de Mediapart sur l’affaire de Viry-Châtillon révèle, à travers les vidéos des auditions, comment la police a tronqué des procès verbaux et manipulé les interrogés, poussant plusieurs innocents en prison.

Seb Nanzhel

18 mai 2021

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Après queMédiapart ait révélé la falsification des preuves dans le procès des jeunes de Viry-Châtillon, plusieurs avocats des accusés portent plainte contre les enquêteurs pour « faux en écriture publique », « violences volontaires » ou encore « escroquerie au jugement ».

Comme nous le rappelions il y a un mois, le 8 octobre 2016, deux voitures de police avaient été attaquées par une vingtaine de jeunes dans le quartier de la Grande-Borne. Des cocktails molotovs avaient été tirés sur les véhicules, brûlant grièvement deux policiers. L’affaire, qui avait été très fortement médiatisée et instrumentalisée à l’époque, est désormais marquée par un scandale judiciaire, révélant comment l’impunité policière a envoyé consciemment des innocents en prison.

En effet, cinq des 13 jeunes initialement sur le banc des accusés ont été condamné à des peines allant de 6 à 18 ans de prison, reconnus coupables de « tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique » par la coup d’assises le 18 avril dernier. Les huit autres, acquittés par ce même verdict, ont donc été envoyés en prison sans n’avoir rien commis. Trois y ont passé plus de quatre ans et les cinq autres, acquittés en première instance, ont passé plus d’un an en détention provisoire. Les révélations de Médiapart prouvent que ces jeunes innocents ont payé le prix d’une enquête sciemment trafiquée par la police, qui a façonné des coupables de toute pièce.

La police façonne ses coupables

Au travers d’une enquête et une vidéo édifiantes, Mediapart titrait ce dimanche « Comment la police a fabriqué de faux coupables ». En comparant les vidéos de gardes-à-vue et les procès-verbaux qui sont censés être leur retranscription exacte et qui ont servi comme base du jugement, Mediapart révèle qu’ils sont « truqués », « ne correspondant pas aux déclarations de plusieurs mis en cause et d’un témoin central » ou encore « tronqués » selon l’avocate Sarah Mauger-Poliak.

Plus précisément, ces arrangements avec la réalité ont servi à créer une pièce d’accusation centrale de l’affaire, parfois à partir d’un témoignage fragile et imprécis, parfois inventé de toutes pièces : « Alors que les procès-verbaux d’audition laissent penser que Bilal [le témoin en question] est clair dans ses dépositions et formel sur la participation de plusieurs jeunes à l’attaque des policiers, la retranscription des vidéos de ses auditions montre tout l’inverse », explique Mediapart. Dans la version de la police, le « Je sais pas si il était prévu » de Bilal à propos de la participation d’un suspect à l’attaque devient « Je sais qu’il était prévu. »

Pleinement conscients d’entraîner des innocents dans l’affaire, les enquêteurs ont avant tout pour but de fabriquer des coupables afin de montrer l’efficacité et l’intransigeance de l’appareil répressif. « Je reste convaincu que, lui, il n’a pas participé. » dit ainsi l’un d’eux en off au cours d’un interrogatoire « Faut le rattacher au truc [à la procédure] » lui répond alors son collègue. Des pratiques qui révèlent le quotidien des habitants des quartiers populaires, car comme l’explique Foued, un des jeunes acquitté après 4 ans en prison pour rien, « Si je suis coupable d’une chose c’est d’habiter dans le quartier dans lequel je vis ».

« T’étais menotté. On pouvait faire ce qu’on voulait » : intimidations et manipulations

En plus de la fraude concernant la rédaction des procès-verbaux, l’enquête de Médiapart révèle les méthodes brutales et sournoises employées par la police pour intimider et arracher des aveux. Ainsi, les avocats de Foued rapportent que lors de son interpellation, il a été « giflé, frappé et violenté » alors qu’il n’opposait aucune résistance. Son père et son petit frère de 16 ans ont également été agenouillés et menottés. Un autre jeune interpellé sans résistance, Dylan, a eu « la tête écrasée » et aurait été couvert d’une cagoule pendant plusieurs heures.

A ces violences physiques s’ajoutent des violences verbales, psychologiques et racistes. Dans sa plainte, l’avocat Franck Berton retranscrit ainsi à partir des vidéos d’interrogatoires plusieurs propos particulièrement choquants des enquêteurs : « Hier tu jurais sur la tombe de ta mère ! Tes mensonges de merde ! Et ben va la baiser ta mère, j’en ai rien à branler ! Espèce de petite merde va ! T’as même pas de respect pour elle. » ou encore « Quand on t’a emmené à Corbeil, si on avait voulu…On aurait pu t’éclater la gueule… Y avait personne. On aurait très bien pu. T’étais menotté. On pouvait faire ce qu’on voulait ».

En garde à vue, les jeunes sont seuls face à des policiers organisés et conscients de l’impunité dont ils jouissent. Ils sont en effet dissuadés ou empêchés de prendre des avocats, comme l’explique Franck berton à Médiapart, avocat recruté à postériori d’un des jeunes qui lors de ses auditions « n’était assisté d’aucun avocat, […] et ce alors même qu’il en avait fait la demande dès sa première audition ». Pire, s’ils parviennent à accéder à une « défense », elle se retourne contre eux. C’est ainsi que l’avocat commis d’office de Foued se ligue avec la police contre son client. Alors que Foued est persuadé de son innocence et le répète, l’avocat le manipule, le convainct qu’il a fait un « black out » expliquant son sentiment d’innocence.

Cette affaire, qui montre le caractère discriminatoire de la justice, met de nouveau en lumière l’impunité régnant dans la police, en particulier lors des interventions dans les quartiers populaires, permettant qu’ils falsifient des affaires pour accuser des innocents sans peur de répercussions. Des pratiques pourtant récurrentes au sein de la police, elle-même appuyée par le système judiciaire français, puisque par exemple, la détention provisoire peut se prolonger jusqu’à 4 ans sans que l’accusé n’ait eut droit à un procès. Une justice loin d’être impartiale, qui épaule dans de nombreux cas les forces de répression et réitère constamment leur impunité.

Combien de personnes sont actuellement enfermées sur la base de faux procès-verbaux et autres pratiques frauduleuses de la police ? On pense à Michel Zecler, dont l’interpellation/passage à tabac, si elle n’avait pas été filmée, l’aurait emmenée tout droit vers la case prison. Alors que depuis des mois le gouvernement s’est engouffré dans un tournant raciste et sécuritaire, cherchant à relégitimer le rôle de la police pour maintenir l’ordre établi, il est impératif de continuer à se battre contre l’impunité policière et les violences qui en découlent, contre le racisme structurant l’institution policière, et de continuer à exiger la justice et la vérité pour les victimes.


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