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Une étude qui laisse sur sa faim...

Viande cancérogène : à qui la faute ?

Dans un rapport publié en début de semaine, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) classe la viande rouge comme « probablement cancérogène pour l'homme » (groupe 2A) et la viande transformée comme « cancérogène pour l'homme » (groupe 1). Sans remettre en cause les analyses statistiques de ce groupe d'expert de l'agence de l'OMS (Organisme Mondial de la Santé), jouissant du plus haut niveau de reconnaissance dans la communauté scientifique et déclarant une absence de conflit d'intérêts des chercheurs sollicités, certains points dans la méthodologie et les conclusions de l'étude sont à mettre en balance. Notamment lorsque les premières déclarations visent à limiter la consommation de viande, niant les inégalité d'accès à ce produit et culpabilisant du même coup les consommateurs, sous prétexte de santé publique ou de pseudo-conscience écologique, sans que ne soit remis en cause le système de production, intrinsèquement lié au capitalisme, ce qui reviendrait à s'attaquer aux puissants de l'industrie agro-alimentaire. Camille Ernst

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Quelques critiques sur la méthode


Ce sont 22 scientifiques de disciplines diverses qui se sont réunis au mois d’octobre 2015, à l’initiative du CIRC, pour étudier le caractère carcinogène de la viande rouge, c’est-à-dire « issue du tissu musculaire de mammifères tels que le bœuf, le veau, le porc, l’agneau, le mouton, le cheval et la chèvre », et de la viande transformée « par salaison, maturation, fermentation, fumaison ou d’autres processus m6is en œuvre pour rehausser sa saveur ou améliorer sa conservation ». Seul un résumé est pour l’instant disponible sur le site du Lancet Oncology, et l’on regrette déjà le peu d’informations disponibles devant l’annonce aussi alarmiste de la nouvelle.

Parmi les 800 études épidémiologiques recensées sur le sujet, le groupe d’experts a sélectionné les études empiriques de plus haut niveau pour conclure sur l’association entre consommation de viande rouge transformée et cancer. Le plus grand nombre de données disponibles portait sur le cancer colorectal, ce qui ne laisse donc que 29 études évaluant la consommation de viande rouge, dont 14 montrent une association positive avec le cancer colorectal, et 27 études pour l’évaluation de la consommation de viande transformée, dont 18 retrouvent une association positive avec ce même cancer. Une limitation des données sources qui réduit par la même occasion la puissance de l’étude.

Les sources sont encore plus limitées dans l’analyse suivante, développant une méta-analyse sur les données de dix études. Un procédé qui permet, par la réalisation d’analyses statistiques combinant les résultats de plusieurs essais différents, d’en faire une synthèse. Dix études seulement donc, pour conclure à une augmentation de 18% du risque de cancer colorectal pour une consommation de viande transformée de 50 grammes/jour (l’équivalent de 2 tranches de bacon...), c’est peu. On s’interroge aussi sur la possibilité d’extrapoler les résultats à l’ensemble de la population mondiale pour établir des recommandations de santé publique, quand les dix études ont été réalisées sur des populations américaines et asiatiques, avec un mode de vie, de production et de consommation qui leur est propre. Une autre limite de cette analyse semble être l’intégration uniquement d’études aux résultats positifs, avec un risque de biais lié à la sur-estimation de l’effet.

Après les résultats vient la discussion autour de l’explication physiopathologique du caractère cancérogène de la viande. Les hypothèses avancées souffrent d’un manque de recherche pour affirmer la responsabilité de telle mutation de gène ou telle molécule présente dans la viande. Mais, déjà, s’interroge t-on sur la raison de la présence de cette mutation ou de cette molécule, naturelle ou non ? Nous y reviendrons.

Conclusion : limiter sa consommation ?


« Ces résultats confirment les recommandations de santé publique actuelles appelant à limiter la consommation de viande. », tels sont les mots du Dr Christopher Wild, directeur du CIRC. La surconsommation de viande au niveau mondial est une évidence ; la catastrophe écologique qui en découlerait à long terme, déjà prévisible ; et les risques pour la santé, notamment cardio-vasculaires, déjà en partie connus. Mais appeler uniquement à une limitation de la consommation de viande rouge et transformée en conclusion d’une telle étude revient à culpabiliser le consommateur, qui serait responsable par sa consommation irraisonnée, des conséquences environnementales et sanitaires de cette surconsommation. Jamais on ne remet en cause le mode de production de la viande, car ce serait s’attaquer à l’industrie agro-alimentaire, et au-delà du système capitaliste lui-même qui sous-tend l’industrialisation forcée d’une agriculture devenue intensive pour répondre aux besoins de la course aux profits.

En outre, prôner la limitation de la consommation de viande de manière générale, c’est éviter de s’interroger sur les inégalités au niveau régional et mondial en matière de consommation de viande. A l’échelle mondiale, les statistiques montrent un consommation moyenne de viande entre 69 et 76 kg/an/habitant dans les pays impérialistes contre 31,5 kg/an/habitant dans les pays semi-colonisés, dont une vingtaine où la consommation est inférieure à 10 kg/an/habitant. Ce sont les capacités de production qui font défaut dans ces pays, pour un produit qui demande une grande richesse en eau, en céréales et des moyens technologiques avancés, richesses auxquelles ils n’ont pas accès sous le joug des pays impérialistes. Au niveau régional, pour ne prendre que l’exemple de la France, si 29% des français mangent plus de 490 grammes de viande par semaine, ils sont 47% à se limiter à moins de 315 grammes, pour des raisons socio-économiques. La surconsommation de viande et ses conséquences écologiques et sanitaires apparaissent ainsi comme un problème provoqué par les classes dominantes, également touchées, ce qui tend à expliquer cette prise de conscience soudaine du problème par les pays impérialistes.

En finir avec la logique de l’agriculture intensive


Afin de répondre au besoin du « produire toujours plus », se sont généralisées les techniques de l’agriculture intensive. L’élevage intensif d’animaux, sur le mode de l’élevage industriel, ce sont des animaux nourris aux antibiotiques pour prévenir la propagation de maladies dues à leur confinement dans de petits espaces, favorisant ainsi l’émergence de souches bactériennes résistantes aux antibiotiques classiques dits « de première ligne », mais aussi nourris aux hormones pour favoriser leur croissance. Et cela s’accompagne d’une culture intensive de céréales pour les nourrir, recouvrant un tiers des terres arables du globe, coûteuses en eau, et libéralisant l’utilisation de pesticides et autres OGM sur les plants de maïs ou de soja, dont l’effet néfaste pour la santé n’est plus à démontrer. Sans parler des conséquences écologiques, de la pollution des sols par l’azote contenu dans les pesticides et dans les excréments des animaux, à la pollution de l’air par le méthane, puissant gaz à effet de serre, produit par l’intestin des bovins.

En outre, parmi les explications physiopathologiques à l’association entre viande et cancer colorectal, les hypothèses avancées sont notamment les nitrites et nitrates ajoutés pour la préservation de la viande. Mais aussi les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les mêmes que ceux contenus dans la fumée de cigarette, produits par grillade. Quand on sait que le barbecue est le symbole de l’American way of life depuis les années soixante et le mode de consommation préféré aux États-Unis, on comprend les réticences à s’attaquer à un nouveau géant industriel. On citera enfin l’arôme « fumé » ajouté dans la viande, que la société américaine Kerry commercialise sous le nom de Zesty-Smoke et qui contient du goudron nocif pour la santé, déjà incriminé par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), mais dont la vente a quand même été autorisée par la Commission européenne, son porte-parole en charge de la sécurité alimentaire, Enrico Brivio, ayant du mal à infirmer la pression de lobbies.

Avant d’incriminer les consommateurs, et au lieu de se restreindre à dénoncer une surconsommation toute relative de viande, il serait grand temps de remettre en cause un système de production qui applique à l’agriculture et à l’élevage les mêmes règles qu’à la production industrielle, dénaturant végétaux, organismes animaux et viande par souci de profits et de rentabilité et contraignant toujours plus les paysans à se soumettre à la logique que leur impose les patrons de l’agro-industrie. Et si, transitoirement, on ne peut qu’enjoindre le consommateur à être prudent sur la quantité et la qualité des aliments qu’il consomme, les vraies solutions seraient une agriculture planifiée par les paysans eux-mêmes pour être produite en quantités suffisantes et non excessives, respectueuse de l’environnement et de l’organisme des animaux.


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