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ENTRETIEN

Urgences de Bordeaux : « Je n’attends plus grand-chose du gouvernement. Il va falloir qu’on se réveille collectivement »

Depuis la mi-mai, les urgences adultes de l’Hôpital Pellegrin à Bordeaux fonctionnent en service réduit la nuit, conséquence du manque de personnel. Julien Dulou est aide-soignant depuis six ans et représentant Sud Santé Sociaux. Il tire la sonnette d’alarme à la veille d’une mobilisation importante pour la défense de l’Hôpital public.

Jyhane Kedaz

6 juin 2022

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Crédits photo : Révolution Permanente Bordeaux

Révolution Permanente : Quelle est la situation dans votre service d’urgences ?

Julien Dulou : Le service fonctionne de manière réduite en raison du sous-effectif. A partir de 17 heures et jusqu’à 8 heures du matin, l’accès aux urgences n’est pas libre. Les patients doivent passer par le 115 ou se présenter à la sécurité civile, qui a été déployée pour les accueillir entre 17 heures et minuit pour évaluer leur état. Seuls les cas graves sont acceptés, les autres sont redirigés.

Nous étions à 200 passages journaliers avant que cette mesure ne soit prise. C’est intenable : nous avons la moitié des médecins en moins. Alors que nous avons une capacité d’accueil de 30 000 passages par an, nous sommes passés à 60 000 ces dernières années, tandis que la population autour de Bordeaux ne cesse de croître.

Je tiens tout de même à préciser que les urgences ne sont pas totalement fermées, contrairement à ce qu’on pu croire certains usagers : il ne faut surtout pas cesser de venir en cas de problème majeur, car cela entraînerait un retard dans la prise en charge et des complications.

Comment en est-on arrivés à cette situation ?

Julien Dulou : Nous n’avons pas assez de monde pour faire fonctionner le service : nous devrions avoir quarante médecins mais nous ne sommes que vingt. Du côté des professions paramédicales [ndlr : comme les infirmiers, les aides-soignants ou ambulanciers, entre autres], il y a un taux d’absentéisme de 20 % à l’année, avec une aggravation depuis le Covid-19.

Je m’attends à ce que la situation empire, car pour l’heure les départs et les mutations sont gelés jusqu’à novembre mais quand les gens vont pouvoir partir, nous allons perdre encore un paquet de monde. Certains postes ont sauté, d’autres ne sont pas pourvus. On fonctionne également avec une salle de réveil en moins, car plusieurs secteurs de soins ont été fusionnés.

Les soignants s’en vont car ils ne sont plus prêts à accepter ces conditions de travail ; le sous-effectif constant, le fait de devoir travailler la nuit, les week-ends. Ce sont des professions dures physiquement et avec une charge mentale importante.
Puis, les médecins finissent dégoûtés par la direction qui ne fait rien pour améliorer le quotidien des agents. Beaucoup sont en burn-out. L’encadrement prévoit de faire des groupes de travail depuis des mois mais rien n’a été fait.

Craignez-vous pour la sécurité des patients ?

Julien Dulou : Quand on va au travail, on a l’intention de faire des soins de qualité, mais ce n’est pas toujours possible. Les patients sont de plus en plus malades car il y a des retards importants de prise en charge. On ne peut pas toujours surveiller tout le monde lorsque c’est plein à craquer avec un flux incessant. Et au vue de la dynamique, plus il y aura de patients, moins il y aura de soignants acceptant de travailler dans ces conditions. Nous avons beaucoup de soutiens de la part de famille qui nous écrivent pour nous remercier et nous encouragent. Mais à la fin de la journée, on n’est pas toujours heureux de la manière dont on a travaillé.

L’été est généralement synonyme de surcharge dans les urgences. Quels scénarios redoutez-vous dans les prochaines semaines si rien n’est fait ?

Julien Dulou : Plus on va avancer vers l’été, plus les lits d’hospitalisation vont fermer et cela va se répercuter sur les urgences. Cela risque également de saturer au niveau du 115, qui doit maintenant trier les patients en amont de leur arrivée aux urgences. Les temps d’attentes sont de plus en plus longs.

La sécurité civile a également été déployée temporairement pour évaluer l’état des patients à leur arrivée, mais elle n’est censée rester que jusqu’au 17 juin. Personne ne sait qui fera l’accueil par la suite ni comment on va faire. De plus en plus de monde va se présenter aux urgences avec l’arrivée des touristes. On croise les doigts pour que ce soit calme mais je n’y crois pas.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Julien Dulou : Nous avons obtenu des augmentations salariales avec le Ségur, mais c’est loin d’être suffisant. Nous ne sommes même pas dans les normes salariales européennes. Il nous faut plus d’embauches, de créations de postes, une meilleure valorisation des horaires pénibles, de nuit ou les week-ends. Rien qu’à Bordeaux, les urgences vont augmenter de 300m2 : on n’est déjà pas assez nombreux, on ne peut pas faire dix bornes de plus par jour avec moins de personnel, il faut augmenter les équivalents temps plein !

La mission d’informations annoncée par le gouvernement sert juste à gagner du temps et à faire passer les législatives, je ne vois pas ce qu’ils vont faire de plus. Ils visent à ce que le passage par le 115, c’est-à-dire par le service d’accès au soin (SAS), soit généralisé pour les soins non programmés.

Les urgences sont en fait la face émergée de l’iceberg, mais le problème est partout à l’Hôpital. Cela fait des années qu’on ferme des lits sous tous les gouvernements, avec une logique visant à économiser sur les fonctionnaires de santé, et ouvrant la porte à la privatisation des soins. Je n’attends pas grand-chose de ce gouvernement, ni de l’Hôpital. Il faut qu’on se réveille collectivement. Avec mes collègues, nous serons en grève le 7 juin, dans le cadre d’une mobilisation interprofessionnelle.


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