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« Un collègue est mort dans son Fenwick à un mois de la retraite » Karim, 56 ans, ouvrier à Roissy

A l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, celles et ceux qui mourront avant leurs retraites continuent d’organiser la grève contre la réforme d’Elizabeth Borne. Nous avons rencontré Karim, 56 ans, pour qui la retraite à 64 ans est impensable.

Arthur Nicola

24 janvier 2023

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A Roissy Charles de Gaulle, l’annonce de la réforme des retraites a été vécue comme une condamnation à mort pour beaucoup de salariés. Dans ce bagne salarial de 100 000 ouvriers, répartis dans 700 entreprises, nombreux sont ceux qui accumulent les critères de pénibilités, et qui, à 55 ans, savent qu’ils ne pourront pas tirer dix ans de plus. C’est le cas de Karim, que nous avons rencontré dans les locaux syndicaux de l’aéroport.

Salarié d’une entreprise de fret aérien, une retraite à 64 ans lui semble impossible : « j’ai commencé à travailler à 15 ans, j’ai fait mon service militaire, j’arrive aujourd’hui à 56 ans, je suis usé, et sais que je ne pourrai pas travailler jusqu’à 67 ans. Avec les heures qui changent, le travail le week-end, on passe plus de temps dans l’entreprise qu’avec notre famille. On se retourne on voit que nos enfants ont grandi sans qu’on les ait vu grandir, on est cassés physiquement ». Après 32 ans dans l’aéroport, trimballé de boîtes en boîtes au gré des vents de son entreprise, il est aujourd’hui en maladie professionnelle : « mon bras est abîmé, il a été opéré à cause des gestes répétitifs avec des colis très lourds ».

Dans le froid des entrepôts non chauffés, plusieurs de ses collègues et amis n’ont jamais pu profiter de la retraite : « j’ai des amis ils ne sont jamais arrivés à leur retraite. Hier encore j’ai appris qu’un ami est décédé, il était ouvrier. Il n’y a pas si longtemps, j’ai un collègue qui est mort dans son Fenwick à un mois de la retraite ». Un avenir au Karim s’identifie, d’autant qu’au fil de l’inflation, il a vu son salaire fondre. Père de quatre enfants, grand-père depuis peu, avec ses 1500€ nets par mois, il ne s’en sort plus : « il faut la nourrir cette famille. Tous les mois je me retrouve à découvert. Si au quotidien on a du mal à en sortir, on ne travaille plus que pour survivre : il n’y a plus de plaisirs, de loisirs, il n’y a plus que le loyer. Avant on avait de quoi se nourrir avec notre salaire, maintenant on fait attention à tout : même un kebab c’est devenu un luxe. Ça a l’air de rien, mais ce sont ces détails qui s’accumulent ».

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Dans son entreprise, le management est particulièrement dur : « avec une minute de retard on peut te mettre à pied » dénonce-t-il. Si bien que pour beaucoup de ses collègues, faire grève est impensable. « On nous dit « si t’es pas content va voir ailleurs », « soit heureux t’avoir un travail à ton âge ». Depuis que je fais grève et que je suis dans un syndicat, on m’a dit que je ne devrais pas, vu que j’ai une famille, que je devrai rester tranquille et pas faire de bruit. On veut que je rentre dans le rang et que je ne me batte pas ».

Malgré tout cela, ce n’est ni une personne résignée, ni une personne défaitiste que nous avons rencontrée. Alors que d’habitude, ils ne sont que deux à se mettre en grève lors des appels à la grève locaux, ce 19 janvier, ils étaient une quinzaine. « Je pense qu’il faut montrer l’exemple même quand c’est compliqué. Je me bats au quotidien, parfois on a envie de baisser les bras, on se dit que ça ne sert à rien, on se demande à quoi ça va me mener. Mais j’y crois, parce qu’on est tous dans le même bateau. Il n’y a jamais eu de grève dans l’entreprise, mais le 19, on était une quinzaine. Ils ont osé parce qu’on a montré le chemin et qu’on leur a donné du courage. Ils commencent à prendre conscience de leur force ». Le 19 janvier a donc été une lueur d’espoir, avec des collègues qui, à l’instar de nombreux salariés du privé, se sont mis en grève pour la première fois. Sur l’aéroport, la mobilisation a été très importante, et, selon les syndicalistes, beaucoup n’avaient jamais vu autant de gens venir en manifestation. Les bus réservés par la CGT n’ont pas suffi pour amener tout le monde.

S’il est heureux de ce changement dans son entreprise, il n’en reste pas moins clairvoyant sur les nécessités du moment. Pour lui, les appels confédéraux à des journées de grève de 24h sans lendemains sont inutiles : « une journée par ci une journée par-là, ils en rigolent. Il faut faire une vraie grève quitte à perdre du salaire : une semaine complète, voir un mois, qu’il y ait un impact. Ils nous laissent faire du bruit et le lendemain ils font la sourde oreille : il n’y a que le rapport de force qu’ils comprennent » finit-il. Une perspective qu’il défend auprès de ses collègues et dans le syndicat local, qui réfléchit d’ores et déjà à des actions sur l’aéroport dans les jours qui suivent.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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