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Tunisie : grève générale contre l’austérité imposée par le FMI

Ce jeudi en Tunisie, une grève massive dans la fonction publique et les entreprises d'Etat a paralysé le pays. Un taux de grévistes avoisinant les 100% dans les transports, les énergies, ou encore dans l'éducation, et la santé, où seuls les services d'urgence étaient assurés, qui démontre la détermination des travailleurs tunisiens. Ils sont sortis massivement dans les rues en scandant « Dégage, gouvernement du FMI », pour revendiquer la fin des mesures d'austérité imposées par le Fonds Monétaire International, contre l'inflation et pour une augmentation générale des salaires.

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Pour rappel, c’est le gouvernement dirigé par le Premier Ministre Youssef Chahed qui avait conclu en 2016 un accord avec le FMI. Celui-ci consistait en la mise en place d’un programme de prêt sur quatre ans pour une valeur de 2,8 milliards d’euros, en échange de contre-réformes économiques visant à résorber un déficit public qui s’élevait à 6% du PIB. La Tunisie post- Ben Ali sortait alors d’une période de très faible croissance : son économie restant subordonnée à celle des grandes nations impérialistes à qui elle sert entre autre de grande station balnéaire, avec une croissance qui repose en grande partie sur le tourisme. Elle fût donc considérablement impactée lorsque ce secteur a été touché par la vague de terrorisme islamiste dont les épisodes les plus connus sont l’assassinat de Chokri Belaïd en février 2013, dirigeant historique du Front Populaire, et l’attentat survenu sur une plage de Sousse en juin 2015, faisant 39 morts. La situation paraissait alors extrêmement favorable au FMI pour exiger la libéralisation de pans entiers de l’économie, privatisation des sociétés nationales des transports et de l’énergie, ainsi que des contre-réformes visant à garantir la solvabilité de l’Etat tunisien : réforme des retraites, gel des salaires et des embauches dans la fonction publique, et hausse du prix des carburants.

Evidemment le peuple tunisien a pris conscience de sa force en 2011, lorsqu’il « dégagea » la dictature de Ben Ali et créa l’étincelle qui a embrasé l’Egypte, la Lybie, la Syrie, ou encore le Yémen. Il montrait que par la grève générale et les manifestations massives, il devenait en mesure de remettre en cause le pouvoir en place. Cependant les avancées démocratiques se sont avérées limitées, voir même un outil au service classes dominantes pour renforcer la spoliation des masses tunisiennes, en légitimant le régime post-Ben Ali pour éviter un retour sur la scène de la classe ouvrière. Celles-ci s’en sont d’ailleurs bien rendu-compte : le salaire moyen dépasse à peine 200€ par mois, et le taux de chômage est proche de 15%, voire supérieur à 30% chez les jeunes diplômés. C’est ainsi qu’on a pu assister à des irruptions régulières des couches populaires et du mot d’ordre de grève générale, que ce soit pour l’emploi et la dignité, contre les violences policières, ou contre la hausse des prix.

C’est dans ce sillage qu’en 2018 la situation a vite été rendue intenable pour le gouvernement par un taux d’inflation devenu supérieur à 7% au cours des douze derniers mois. Cette inflation est aujourd’hui principalement due à l’augmentation du prix des matières premières, c’est-à-dire en dernière instance à la mainmise des pays dominants et particulièrement des Etats-Unis sur l’économie mondiale pour fixer le prix du pétrole sur lequel sont indexées les autres marchandises. Et alors qu’environ un quart de la population active tunisienne est employée dans la fonction publique ou dans des entreprises d’Etat, c’est en grande pompe qu’en otobre dernier Youssef Chahed avait conclu un accord avec l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), principale et puissante centrale syndicale. Cet accord consistait en une augmentation générale des salaires du secteur public d’environ 200 dinars tunisiens (60€) sur trois ans, tandis qu’en échange la centrale syndicale annulait l’appel à la grève générale prévue pour le 24 octobre. Nourredine Taboubi, secrétaire générale de l’UGTT se félicitait alors de cet accord et de l’annulation de la grève, qui consituait selon lui « une victoire pour la Tunisie et pour les travailleurs »...

Cependant la vie chère, le chômage, et le mépris quotidien que vivent les masses tunisiennes n’ont pas permis à la direction de la centrale syndicale de rester à l’écart d’un large mouvement de protestation contre la hausse des prix commencé peu après l’immolation d’Abdel-Razzaq Rozgui, journaliste de la région de Kasserine qui s’est immolé le 28 décembre dernier. Et il s’avère que les 180 dinars d’augmentation ans promis par le gouvernement, symptôme d’un accord revu à la baisse, sont bien peu de chose au regard de l’inflation, et des conditions de vie et de travail de la majorité des tunisiens. C’est donc une grève massive et des énormes manifestations de rues qui ont eu lieu ce jeudi 17 janvier. Dans les régions de Sfax, Sidi Bouzid, Gabès, Bizerte, Tozeur, les activités du secteur publiques ont été complétement suspendues, sauf les plus sensibles, quand à Gafsa le taux de gréviste a atteint les 100%. Les slogans des manifestants dénonçaient la soumission du gouvernement de Youssef Chahed au FMI, tandis que d’autres arboraient des caricatures de la directrice du FMI Christine Lagarde jouant avec Youssef Chahed telle une marionnette.

Le gouvernement se trouve donc aujourd’hui piégé entre les engagements qu’il a pris auprès du FMI de réduire les dépenses publiques, et les revendications légitimes des travailleurs tunisiens de voir leurs salaires augmenter. Mais la mobilisation se trouve faire partie d’un jeu complexe. Tout d’abord, la crise gouvernementale est agrémentée d’une guerre de clan entre d’une part le président Caïd Essebsi, son fils Hafez qu’il veut nommer comme successeur, et l’appareil du parti présidentiel, et d’autre part son ancien poulain et actuel premier ministre Youssef Chahed, allié de circonstance avec les islamistes du parti Ennahda qui est aujourd’hui la principale force politique à jouir de relais importants dans la société civile, et à laquelle seule l’UGTT a su résister jusqu’à maintenant. Ensuite, parmi les 750 000 travailleurs syndiqués à l’UGTT, la plupart font partis des 677 000 fonctionnaires et des 350 000 employés des entreprises publiques (au total un million de travailleurs soit un quart de la population active), que les grands médias et la propagande gouvernementale font passer pour des privilégiés auprès de la masse des chômeurs et travailleurs précaires du secteur informel. Les clichés ainsi entretenus, à l’image de la campagne de décrédibilisation de la société nationale de transport aérien Tunisair, n’ont bien sûr comme objectif que de préparer le terrain à la privatisation. Mais c’est un fait, une bonne part de cette Tunisie précaire ne se reconnaît donc pas dans l’UGTT, dont il faut également dire que la direction est intégrée de longue date à la gestion de la paix sociale, et reste un interlocuteur somme toute assez fiable pour le gouvernement. Un cadre de la centrale syndicale va même jusqu’à dire que « à la limite, la grève générale de l’UGTT arrange le gouvernement, car elle lui donne un argument pour néogicer avec le FMI que des concessions salariales sont nécessaires » condition importante pour que le premier ministre actuel puisse réaliser son ambition et brigue un mandat de président aux prochaines élections prévues pour octobre 2019. Quant au chef de l’Etat, il semble encourager discrètement l’UGTT à défiler contre Youssef Chahed afin de le déstabiliser avant l’échéance électorale en question. Enfin les islamistes d’Ennahda aujourd’hui majoritaires au parlement ne peuvent que se féliciter de voir le premier ministre appliquer les mesures d’austérité à leur place, leur préparant ainsi le terrain pour se présenter également à la fonction présidentielle le moment venu.

Dans cette situation, il est intéressant de souligner ce que déclare Khayam Turki, analyste fondateur du think tank Joussour, au journal Le Monde : « L’UGTT a peur que cette “deuxième Tunisie” non structurée et donc incontrôlable puisse la déborder lors des grandes manifestations de protestation. » « Et si la grève générale s’est plutôt bien passée, c’est parce que cette “deuxième Tunisie” ne s’est pas exprimée ce 17 janvier. ». Alors que la direction actuelle de l’UGTT se félicite aujourd’hui d’avoir réalisé une « action historique » en faisant converger fonction publique et entreprises du secteur public, la question que les travailleurs tunisiens seraient maintenant légitimes à se poser est alors la suivante : pour déborder ce gouvernement vendu aux intérêts des puissances impérialistes, n’y aurait-il pas précisément intérêt à déborder cette direction syndicale qui l’arrange bien, et en conséquence à réaliser l’union des travailleurs avec cette « deuxième Tunisie », c’est-à-dire avec tous les secteurs exploités et opprimés de la société ?


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