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La stigmatisation par l'interdiction du « Tchip » dans les règlements intérieurs

Tu ne tchiperas point

Certains collèges et lycées ont décidé d'interdire le « tchip » dans leurs établissements. Ce bruit de bouche est utilisé pour marquer la désapprobation ou le mépris. Le tchip n'est pas au goût de tous comme le rapporte Le Parisien dans un article qui relaie une mesure prise par un proviseur adjoint d'un lycée d'Evry qui a décidé d'interdire le « tchip ».

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Aux origines du « Tchip »

Le proviseur adjoint du lycée d’Evry explique au journal que « Le tchip est interdit au lycée, comme toute insulte, car c’est une insulte » avant d’ajouter que « 80% des élèves, dans certaines classes, sont noirs. Il faut qu’ils se débarrassent de certains codes culturels qui sont inappropriés au monde scolaire et au monde de l’entreprise. »{}

Le proviseur adjoint a raison sur une chose, cette onomatopée est très répandue en Afrique, aux Antilles et dans les Caraïbes.

La première fonction du tchip est de marquer la désapprobation et l’agacement. Aux origines, le « tchip » répond à des codes précis en Afrique ou aux Caraïbes : on peut se tchiper entre pairs ou tchiper un plus jeune mais il est très vulgaire de tchiper un ainé. Cette expression est d’ailleurs couramment utilisée par les femmes pour recadrer les enfants après une bêtise.

Un bruit répandu dans les écoles

Ce bruit de bouche s’est répandu dans les écoles des quartiers populaires. Certains collégiens et lycéens interviewés par le quotidien expliquent que le tchip est considéré comme injurieux ou insultant par les professeurs. Certains « tchips » pouvant être des insultes telles que « N... ta mère » « ta gueule » ou « va te faire foutre ».

Pourtant, le tchip a acquis une double signification. S’il peut signifier une insulte, il peut signifier pleins d’autres choses pour les élèves comme en témoigne un article du quotidien Le Monde. Des élèves interrogés expliquent que « le tchip ça veut dire plein de choses » et ne le considèrent pas comme une insulte. Parmi les différentes significations du tchip qui se sont développées, il y a le tchip d’agacement, cousin du « pff ». Une élève fait une démonstration « Là, si je fais tomber ma pince à épiler, je vais tchiper en la ramassant, parce que ça me saoule. » « Pour nous ce n’est rien, tu ne contrôles même pas quand tu le fais », explique Moustapha. «  C’est devenu une habitude.  » D’ailleurs, les collégiens ont entendu quelques profs tchiper aussi.

Mathilde Levesque, professeure de français au lycée Voillaume d’Aulnay Sous Bois et auteure du livre LOL est aussi un palindrome, journal d’une prof au bord de la crise (de rire), l’analyse pourtant finement : « Ce n’est en général pas du mépris ou une agression, parce que ça nous est rarement adressé. L’élève le fait sans nous regarder Ça ne s’inscrit plus dans un rapport frontal. C’est ce qui vient quand il n’y a plus de mots. Je considère ça comme un signe d’abandon. » {}

Ainsi, si le tchip peut être le signe d’une irrévérence à l’autorité, il est aussi un signe d’abandon scolaire. En effet, pour bon nombre d’élèves, la violence sociale et économique est quotidienne : contrôles au faciès, des quartiers délaissés où sévit le chômage et la précarité. Toutes ces humiliations extérieures ont une incidence forte sur la vision que ces jeunes portent sur l’école et sur les enseignants. Ces derniers incarnent aux yeux des élèves les représentants de l’Etat et qui dit Etat, dit justice à deux vitesses, stigmatisation sociale et ethnique, harcèlement policier... sans parler de l’école elle-même, outil de reproduction et d’exclusion sociale. Loin d’être un lieu d’émancipation pour les élèves des quartiers populaires, l’école est un important vecteur de la domination sociale, de sa légitimation, et de son acceptation. Tchiper, dans ce sens, c’est aussi contester.

Des minorités stigmatisées

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Si le « tchip » peut être une insulte envers les personnels des établissements, et que les insultes sont interdites, pourquoi cibler spécifiquement cette expression ? Il existe en effet tout un panel de mots, de gestes, d’expressions physiques utilisés par les élèves pour exprimer leur désapprobation et leur rejet de l’autorité. Cibler spécifiquement le « tchip » comme insulte cible en réalité la population immigrée africaine qui a importé cette onomatopée dans nos écoles.

Quand le proviseur adjoint du lycée fait référence à des « codes culturels inappropriés » dont lesdits élèves noirs devraient se « débarrasser » pour parler d’un héritage linguistique afro-caribéen, ses mots très violents renvoient à la stigmatisation d’une partie de la population. On rejette des codes culturels que l’on sous-entend inadaptés à l’école républicaine pour faciliter l’intégration des populations immigrées. En parallèle, l’école impose des références culturelles qui sont celles de la culture dominante où l’on nie dans les programmes scolaires les crimes coloniaux perpétrés par les Etats occidentaux. Si on regarde les nouveaux programmes d’histoire-géographie, tous participent à la construction de l’idéologie dominante offensive qui vise à décomposer et reconstruire une mémoire et une histoire à son service.

L’école est un vecteur de diffusion des valeurs de la République, des valeurs considérées comme universelles. C’est pourquoi l’école a été considérée comme le vecteur essentiel de cette politique passant par l’assimilation. Depuis le XIXe siècle, l’école joue déjà le rôle d’unificateur de la nation française en combattant très fortement les langues régionales et en imposant à toute la population la langue française. De même, l’école est le lieu principal de l’offensive laïque du gouvernement. Historiquement, la laïcisation est tournée contre l’Eglise catholique et la réaction cléricale et monarchique mais aussi contre le mouvement ouvrier naissant. La laïcité surgit sur le cadavre de la Commune de Paris. L’école qui en est née est conçue comme une école contrôlée par le gouvernement au service de la cohésion sociale. Depuis les années 80 et l’offensive de la classe dominante, la laïcité est particulièrement instrumentalisée au service d’une politique de stigmatisation d’une partie de la population. Cette stigmatisation débouche notamment sur la loi d’interdiction du voile à l’école. Premièrement, ce n’est pas par une loi qui stigmatise les jeunes filles musulmanes par l’imposition d’un modèle occidental de libération des femmes qui permettrait leur émancipation. Ensuite, cela montre que cette laïcité inachevée relève d’une « catho-laïcité » pour reprendre le terme d’Edgar Morin lorsque l’on sait que les établissements privés à 90% catholiques reçoivent des financements de l’Etat. Comment justifier dans les écoles privées la présence d’un curé traversant l’école en soutane qui côtoie des enseignants recrutés et payés par l’Etat.

L’interdiction du tchip, même si elle est très isolée pour le moment, clôt ainsi le triptyque « foulard, jupe longue et tchip » qui servirait pour certains à exclure les minorités.

Les mots et expressions venues d’ailleurs

Le « tchip » venu d’Afrique ou des Caraïbes est loin d’être la seule expression venant d’ailleurs. De nombreux mots ou expressions nés des banlieues et des jeunes issus de l’immigration sont aujourd’hui utilisés Un bon nombre de ces mots venus d’Afrique du Nord, ont servi de pivot à des expressions françaises qui appartiennent désormais au français familier voire à l’argot. Voici quelques exemples les plus répandus aujourd’hui notamment d’origine arabes et d’Algérie. C’est « kif-kif », mot maghrébin signifiant c’est « comme-comme » ou encore mahbûl mot qui signifie en arabe idiot et qui est repris en français pour signifier un fou.

La langue française contiendrait une centaine de mots ou expressions venant du romani comme gadjo-gadji au pluriel signifiant en argot français garçon ou fille ou encore le mot chouraver ou chourer qui signifie voler.

Bref, une longue série de mots et d’expressions venus d’autres horizons introduits par les populations d’origine immigrées notamment dans les quartiers populaires n’ont pas fini de renforcer le jargon de toute langue vivante qui par nature évolue.

Faut pas bader (angoisser),c’est swag (cool) et y’en a bezef (beaucoup).


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