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Centenaire de la Révolution Russe

Trotsky : l’esprit d’Octobre

C’est en pleine barbarie de la Première Guerre mondiale, que surgit des entrailles de la Russie tsariste la grande révolution russe de 1917. En février, les femmes ouvrières lancent le mouvement qui mettra fin à la monarchie et à la révolution la plus extraordinaire de toute les temps. Nous revenons ici sur le rôle majeur de Léon Trotsky en octobre, au moment le plus brûlant.

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La fusion de Lénine et Trotski

Léon Trotsky est arrivé en Russie en mai 1917 après 12 ans d’exil à l’étranger. La première chose qu’il demande à son arrivée est quelle est la position de Lénine. Il est informé de l’orientation que Lénine veut donner au Parti bolchevik derrière le slogan « Tout le pouvoir aux Soviets ! ». La convergence entre les deux hommes se produit par rapport à la stratégie : unir les ouvriers aux soldats d’origine paysanne et proposer que le règlement complet et effectif des revendications ne provienne pas d’une Assemblée constituante démocratique et bourgeoise, mais d’un gouvernement ouvrier et paysan.

Rapidement les discutions sont entamées pour que l’organisation de Trotsky (qui s’appelle "Interdistrict" et rassemble entre 3000 et 4000 militants) entre dans le parti bolchevik et que celui-ci accède aux positions de direction les plus importantes. Au cours des 12 années précédentes, la politique de Trotsky fut de tenter d’unir les bolcheviks et les mencheviks ; mais l’expérience a démontré que les mencheviks soutiennent la politique de la poursuite de la guerre - et du coup, soutiennent ainsi la bourgeoisie libérale - ce qui les éloigne de toute perspective révolutionnaire. C’est pourquoi les Thèses d’Avril de Lénine rapprochent la position du groupe de Trotsky de celle du parti bolchevique au moment critique. Lénine dira, dès lors que Trotsky a compris la nécessité du parti révolutionnaire, qu’« il n’y avait pas de meilleur bolchevik que lui ».

Sur cette fusion entre les deux leaders, il est pertinent de revenir à une leçon importante que Leon Trotsky développe plus tard, concernant le rôle des personnalités :

« […] L’histoire est un processus de lutte de classes. Mais les classes ne pèsent pas de tout leur poids automatiquement ni simultanément. Dans le processus de la lutte, les classes créent des organes différents qui jouent un rôle important et indépendant, et sont sujets à des déformations. C’est cela qui nous permet également de comprendre le rôle des personnalités dans l’histoire. Il existe naturellement de grandes causes objectives qui ont engendré le régime autocratique hitlérien, mais seuls de pédants et obtus professeurs du « déterminisme » pourraient nier aujourd’hui l’immense rôle historique qu’a joué Hitler lui-même. L’arrivée à Petrograd de Lénine, le 3 avril 1917, a fait prendre au parti bolchevique le tournant à temps, et lui a permis de mener la révolution à la victoire. Nos sages pourraient dire que, si Lénine était mort à l’étranger au début 1917, la révolution d’Octobre aurait eu lieu « de la même façon ». Mais ce n’est pas vrai. Lénine constituait un des éléments vivants du processus historique. Il incarnait l’expérience et la perspicacité de la section la plus active du prolétariat. Son apparition au bon moment dans l’arène de la révolution était nécessaire afin de mobiliser l’avant-garde et de lui offrir la possibilité de conquérir la classe ouvrière et les masses paysannes. Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre. L’histoire n’est pas un processus automatique. Autrement, pourquoi des dirigeants ? Pourquoi des partis ? Pourquoi des programmes ? Pourquoi des luttes théoriques ? » (« Classe, parti, direction », 1939)

Il s’ensuit que Lénine est le leader incontesté du parti, son facteur décisif et audacieux. La lutte sur le plan de la stratégie, sur le parti, les luttes théoriques et la participation active à la lutte de classes, ont forgé le parti bolchevik et les cadres ouvriers conscients de la stratégie qui mènera finalement au triomphe la révolution de Février. Ces cadres ouvriers étaient situés à la gauche des dirigeants bolcheviques avant l’arrivée de Lénine en Russie, par exemple ils étaient très à gauche de Staline, qui a d’abord lutté pour apporter un « soutien critique » au gouvernement provisoire et voulait unir, sans principes, les bolcheviks et les menchéviks. L’arrivée de Lénine à temps a empêché un tel désastre. C’est sur ces bases que s’opèrera l’unité avec Trotsky.

Trotsky, tribun révolutionnaire

La crise du pays se manifeste dans la situation du « double pouvoir » que connaît le pays depuis le début de la révolution de février (bien qu’il y ait une légère diminution de l’activité des masses en juin et en juillet, pour remonter à partir d’août). D’une part, le pouvoir mourant incarné par le gouvernement provisoire, dirigé par le parti cadet représentant la bourgeoisie libérale, avec les socialistes révolutionnaires et les mencheviks, et d’autre part, le pouvoir ouvrier exprimé dans les Soviets qui a envahi tout le pays, où tous les partis socialistes intervenaient. Là, le parti bolchevique brandit son programme de conquête d’un gouvernement ouvrier et paysan et démasque le gouvernement provisoire qui continue à participer à la sanglante guerre impérialiste. Trotsky décrit ainsi dans Ma vie ces jours agités :

« Mes auditeurs étaient des ouvriers, des soldats, de laborieuses mères de famille, des adolescents venus de la rue, les opprimés, les bas-fonds de la capitale. Il n’y avait même pas la place pour laisser tomber une épingle, les gens étaient entassés. De petits garçons étaient assis sur les épaules de leurs pères. Des nourrissons suçaient le sein maternel. Personne ne fumait. Les galeries supérieures menaçaient de s’effondrer sous la surcharge. Pour parvenir à la tribune, je devais passer par une étroite tranchée de corps, et parfois j’étais porté sur les bras. L’atmosphère, lourde de respirations et d’attente, éclatait en cris, en ces hurlements passionnés qui étaient dans la manière du cirque Moderne. Autour de moi, au-dessus de moi, des coudes étroitement serrés, des poitrines, des têtes... Je parlais comme du fond d’une chaude caverne de corps humains. Lorsque je faisais un geste un peu ample, j’atteignais toujours quelqu’un et, d’un mouvement de reconnaissance, l’auditeur touché me donnait à comprendre que je n’avais rien à regretter, que je ne devais pas m’interrompre, qu’il fallait continuer. Aucune lassitude ne pouvait subsister dans la tension électrique de cette agglomération humaine. La foule voulait savoir, comprendre, trouver sa voie. Par moment, on croyait sentir jusqu’aux lèvres la prenante question de cette multitude fondue en un seul être. Alors, les arguments conçus d’avance, les mots préparés, cédaient, se retiraient, sous l’autoritaire pression des sympathies, et d’autres mots sortaient de l’ombre, d’autres arguments tout armés, imprévus pour l’orateur, mais nécessaires à la masse. Et alors, l’orateur lui-même avait l’impression d’entendre quelqu’un qui eût parlé tout près de lui, de ne pouvoir suivre assez sa pensée, et sa seule inquiétude était que son double, comme un somnambule, ne tombât de l’amphithéâtre au son de sa voix de raisonneur.

Tel était le cirque Moderne. Il avait sa physionomie à lui, flambante, affectueuse et forcenée. Les nourrissons suçaient paisiblement des seins d’où partaient des cris d’assentiment ou de menace. La foule même était comme un bébé dont les lèvres sèches se collent aux tétins de la Révolution. Mais l’enfançon prenait rapidement de l’âge.

Sortir du cirque Moderne était encore plus difficile que d’y entrer. La foule ne se décidait pas à rompre le bloc qu’elle formait. Elle ne se dispersait pas. L’esprit perdu, le corps épuisé, il fallait voguer vers la porte, passant sur d’innombrables bras qui vous soulevaient au-dessus des têtes. »

Cependant, les Journées de Juillet ont entraîné une profonde confusion chez les ouvriers, au point que Lénine et Trotsky sont accusés d’être des agents de l’impérialisme allemand. Lénine se cache, tandis que Trotsky est de nouveau arrêté et mis prison. Il avait déjà été emprisonné en 1905 lors qu’il était président de Soviet de Saint-Pétersbourg. Mais après la tentative de putsch contre-révolutionnaire de Kornilov, Trotsky fut libéré sous la pression des masses, en particulier des marins de Cronstadt, et était déjà intégré au parti bolchevik (Trotsky et Lénine avaient été élus au comité central du parti avec le maximum de votes ; le congrès de fusion s’étant tenu, lui, pendant que Trotsky était en prison).

Les préparatifs de l’insurrection

Au sortir de l’été, ce qui semblait impossible va devenir probable, et le probable finir par devenir réel. A l’initiative d’un jeune militant du parti révolutionnaire socialiste, le Comité Militaire Révolutionnaire soviétique est créé dans le cadre du Soviet, arguant que la capitale révolutionnaire, Pétrograd, devait être défendue contre l’impérialisme allemand. La tentative de putsch de Kornilov allait constituer un argument supplémentaire en faveur de la création d’un tel corps dépendant du Soviet des députés ouvriers et soldats. De cette façon, Trotsky va se trouver au cœur des deux objectifs, qui vont finir par coïncider, de la défense de la capitale de la révolution, et de l’offensive pour la prise du pouvoir ; en maniant l’art de l’insurrection à son plus haut point, il saura allier défense et attaque dans le même mouvement.

Mais comment aborder publiquement la question de la prise du pouvoir ?

L’expérience des masses avec le gouvernement Kerensky qui poursuivait la guerre et voulait établir un gouvernement républicain bourgeois, avait pris fin. Chaque jour, le slogan de « Paix, Pain et Terre » gagnait en force. L’hégémonie bolchevique s’exprime en conquérant la majorité dans les Soviets.

« Paix ! » signifiait la fin de la guerre, et les bolcheviks en proposaient une sans annexion ni compensation aux bourreaux des capitalistes étrangers. Le « Pain ! » signifiait pour les travailleurs la fin de la faim dans la ville et le début de l’économie sans patrons. La « terre ! » augurait pour les paysans la distribution des terres, qui étaient encore entre les mains des grands propriétaires, c’est à cette époque que leurs grandes demeures ont été brûlés et leurs propriétés réquisitionnées. Mais afin de résoudre ces demandes, le IIème Congrès des Soviets de toute la Russie devait être convoqué.

Face à cette nouvelle situation, Lénine proposa le soulèvement armé et progressivement la date de l’insurrection fut fixée pour le 20 octobre. Au sein du Comité Central des Bolcheviks, de profondes divergences apparaissent et les dirigeants Kamenev et Zinoviev révèlent le plan à la presse de l’écrivain Gorki. Trotsky est interrogé dans le Soviet sur le soulèvement. Mais il explique que les préparatifs doivent garantir le Congrès des Soviets et tester le rapport de forces, défiant le gouvernement.

Les bolcheviks gagnèrent quelques jours alors que le Congrès devait commencer le 25. Trotsky ordonna par l’intermédiaire du Comité Militaire Révolutionnaire d’armer les gardes rouges. L’ordre fut exécuté avec succès et le plan du soulèvement armé des ouvriers commença à se mettre en place. Pendant ce temps, Lénine reste caché dans la maison d’un ouvrier dans la banlieue de Viborg - où on le traite avec sympathie - puisqu’il fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt : une cellule l’attendait à la prison.

Pendant cette période, Trotsky se rend de Cronstadt aux usines, du Soviet au Comité Militaire Révolutionnaire, de celui-ci à l’Institut Smolny où s’était installé l’état-major bolchevik. Tous les travailleurs le connaissent en personne. Il semblait parler simultanément aux quatre coins de la ville.

Dans la nuit du 24 au 25 octobre, ils prennent le pouvoir sans effusion de sang. Le gouvernement, ou ce qu’il en reste, se retranche dans le Palais d’Hiver. Mais le croiseur Aurora depuis la rivière Neva le bombarde avec quelques salves de canon, ce qui suffit à les défaire rapidement. Kerensky s’échappe à l’étranger.

La révolution russe a triomphé, ouvrant une nouvelle ère dans l’histoire de l’humanité. Bientôt Lénine apparaît en public avec Trotsky dans le Soviet, proclamant le triomphe et donnant tout le pouvoir aux soviets. En attendant, ils écrivent sur un petit papier et au crayon, les premiers décrets révolutionnaires donnant satisfaction aux mots d’ordre « Paix, Pain et Terre ! ».

Trotsky devient l’une des principales figures de la révolution mondiale et bien que l’architecte du triomphe soit Lénine, Trotsky est celui qui dirige le soulèvement sur le terrain, qui se produit sans effusion de sang. Sans aucun doute, Trotsky se forge avec la trempe de l’acier, qui ne peut que se produire qu’à la chaleur ardente de la révolution socialiste.

Traduction : Michel Rosso


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