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Pour un autre « hôpital d'après »

Troisième « mardi de la colère » : la mobilisation continue dans toute la France

« L’hôpital d’après » avancé par le gouvernement et son Ségur de la santé ne convainquent pas les soignants et les usagers ; et ce alors que la suppression des 35h à l’hôpital commence à être évoquée. Il s'agit aujourd'hui de construire le 16 juin et la convergence des colères.

Nathan Deas

9 juin 2020

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 Alain Jocard /AFP 

Depuis plusieurs semaines, chaque mardi et jeudi, les soignants organisent des rassemblements pour exprimer leur revendications après le pic de la crise du coronavirus. La pandémie a dévoilé au grand jour l’incurie des politiques libérales de ces dernières années. Les décennies de coupes budgétaires et les économies faites sur le dos de la santé ont accouché de situations terribles : pénurie en masques et médicaments pendant la crise, personnel insuffisant en nombre, manque de lits, salaires gelés depuis dix ans, etc.

Dans nos colonnes, Charlotte, auxiliaire de puériculture aux hôpitaux de St Maurice nous racontait : « Cela fait sept ans que je travaille aux hôpitaux de St Maurice et cela fait sept ans que nos conditions de travail se dégradent. Depuis deux ans, c’est absolument terrible. On est tout le temps en effectif minimum, donc dès lors qu’il y a un arrêt, un empêchement de dernière minute, nous nous retrouvons en sous-effectif. Les services deviennent de plus en plus lourds. On a du matériel qui casse et qui n’est jamais changé. On répare les choses nous-mêmes avec du sparadrap. On en arrive même parfois à venir avec nos propres outils pour réparer le matériel. Ils ne veulent pas racheter, pas réparer, parce que ça coûte trop cher. Toute la journée on nous dit que ça coute trop cher ».

La mobilisation continue : des rassemblement dans toute la France pour des moyens pour l’hôpital public

À un gouvernement qui semble se satisfaire pour calmer la colère des hospitaliers de les doter de médailles, de nombreux hospitaliers répondent par une série de revendications : augmentation immédiate des salaires, abandon de la tarification à l’activité, augmentation des budgets alloués à l’hôpital pour pallier au manque de lits, de personnels, etc.

Ce mardi donc, devant de nombreux hôpitaux les rassemblements étaient reconduits. Ainsi devant le CHU de Nantes 200 soignants et soutiens ont exprimé la nécessité de construire un rapport de force pour obtenir l’application de leurs revendications, selon les propos d’ Olivier Terrien délégué CGT à propos de la promesse du gouvernement d’une prime de 1200 euros pour les hospitaliers : « Des belles promesses pendant cette crise qui ne seront pas tenues si nous ne créons pas le rapport de force. »

A Lyon devant l’hôpital Edouard-Herriot, à l’initiative des syndicats CGT et SUD et du collectif Inter-Urgences, un nouveau rassemblement était organisé.

 

A Nice et Grasse, les hôpitaux l’Archet et Clavary se sont joints à l’appel pour revendiquer le versement de la prime de 1200 euros ainsi que 300 euros d’augmentation des salaires. L’hôpital Saint-Clair de Sète s’est mobilisé pour faire entendre la parole des « invisibles » que sont les cuisiniers, chauffeurs, techniciens, brancardiers, agents d’entretien, etc.
En Ile-de-France, l’hôpital Beaujon (92) a également été le lieu d’un rassemblement pour dire une nouvelle fois les conséquences terribles des politiques de casse de l’hôpital : « Il y a eu des morts parce qu’il manquait des lits de réanimation, du personnel, … ». La nécessité d’une lutte commune et d’une convergence de l’ensemble du service public a aussi été aussi rappelée. 

Ségur : derrière les promesses, la fin des 35h ?

Alors que le gouvernement tente de mettre en scène « un dialogue social » pour repenser l’hôpital post-Covid, Édouard Philippe annonce d’emblée qu’il ne s’agira pas de « changer de cap, mais changer de rythme ». Le grenelle de la Santé convoqué par le premier ministre résonne comme une « parodie de concertation » pour Sud Santé, qui a décidé mardi dernier de quitter le « Ségur de la Santé ».

Une parodie à laquelle le collectif Inter-Urgences n’a pas pu participer. Exclusion révélatrice pour Yann, kinésithérapeute aux Hôpitaux de St-Maurice, de la valeur de cette « concertation » : « Il y des représentants d’usagers à l’hôpital qui doivent être intégrés à la réflexion comme ceux qui prodiguent. Ils doivent être intégrés à cette démarche. Le Ségur en ce sens m’inquiète tout particulièrement. Le collectif Inter-Urgences, principalement composé de soignants, a été évincé de ces réunions, alors que ce sont des gens qui se battent depuis plus d’un an pour avoir des meilleures conditions de travail dans leur service et donc leur point de vue est particulièrement appréciable, parce qu’ils étaient en première ligne face à la crise. A la dernière réunion il me semble aussi que seulement la CFDT a été entendue en tant qu’organisation syndicale alors qu’elle n’est qu’à la troisième place des organisations sur le plan de la représentativité des métiers de la santé. Il y a là aussi une problématique, si on ne prend en compte l’avis que des médecins de la CFDT on se rend bien compte qu’on laisse de côté toute une partie de la population qui devrait être intégrée à cette réflexion ».

Derrière les promesses de revalorisation et d’investissements, se cache pour le gouvernement la flexibilisation du travail et la potentielle fin des 35 heures à l’hôpital. Ainsi, Édouard Philippe, dès l’ouverture du Ségur de la Santé expliquait que : « la question du temps de travail n’est pas un tabou ». « Le maître mot sera celui du pragmatisme. Je ne préjuge pas ici du résultat des discussions qui se tiendront dans les prochains jours, mais j’ai dit qu’il fallait lever les contraintes de toute nature. Le temps de travail doit être regardé de la même façon » ajoutait-il.

Pour Rose-May Rousseau, secrétaire générale de l’USAP-CGT : « Parler de “souplesse”, c’est s’affranchir de la réglementation du travail et du respect du droit du travail, on va encore plus sacrifier des collègues qui sont déjà diminués ». Selon Olivier Youinou, représentant de Santé AP-HP, parler de flexibilisation du temps de travail c’est déjà « méconnaître ce qu’est le travail aujourd’hui à l’hôpital puisque les accords signés en 2002 [qui statuaient sur les 35 heures] n’ont jamais pu être appliqués ». Il faudrait réaliser pour cela un plan d’embauche massif, ce que le gouvernement ne semble pas prêt à envisager, allant jusqu’à prendre le chemin inverse en invoquant la flexibilisation de temps de travail, alors même que la pandémie a révélé la déficience en personnel. Un problème qu’il s’agira de régler en travaillant plus, selon le gouvernement Macron.

16 juin : allons vers un déconfinement des luttes et une convergence des colères !

Ici et là, certains soignants ont choisi la convergence comme mot d’ordre, liant leurs luttes à celle de tous les travailleurs, contre le gouvernement et ses mesures anti-sociales. Dans un contexte marqué par la contestation à l’international contre les violences policières et le racisme d’Etat, les soignants de l’hôpital Delafontaine à St-Denis ont par exemple affiché leur soutien aux luttes en cours.

Si ces « mardi de la colère », vont dans le sens d’un renouveau de la lutte dans les Hôpitaux, dans la continuité des mobilisations de l’année dernière, ces rassemblements ne concernent pour l’instant qu’une avant-garde, qui si elle vise à s’étendre largement peine pour l’instant à véritablement imposer un rapport de force conséquent.

La mobilisation annoncée du 16 juin sera un indice précieux pour observer l’unification des colères. Il s’agit maintenant de se doter d’un plan offensif pour que la colère de tous ceux qui ont mis leur vie en danger, des travailleurs en première ligne face au virus, maintenant menacés par des plans de licenciements massifs, puisse s’exprimer collectivement ; s’alliant aux soignants et aux manifestants contre les violences policières racistes. Ainsi, le 16 juin devrait être une première étape pour allier les colères.

Loin de toutes illusions dans les concertations avec ceux qui sont responsables de la casse de l’hôpital, loin de toute confiance dans le gouvernement, il est nécessaire d’affirmer que seul le rapport de force permettra de répondre à l’urgence de la situation dans les hôpitaux publics. Ce n’est pas par des négociations mais par une auto-organisation à la base que les soignants, tous corps de métiers confondus, devraient décider de la suite du mouvement et des revendications !


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