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Opinion

Triste monde possible

Il y a des événements politiques qui rapetissent le monde. Cette semaine en aura connu deux, sous la forme, si l'on peut dire, d'une condensation, puisque l'un couronne un long processus, tandis que l'autre se profile.

Guillaume Loïc

30 mai 2015

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Jean-Christophe Cambadélis vient d’être réélu premier secrétaire du parti socialiste. Il ne s’agit pas de n’importe qui. C’est même l’un des principaux tacticiens du rabougrissement du monde après 1968. Révolutionnaire de l’Alliance des jeunes pour le socialisme (lambertiste) en 1971, il préside l’Unef 10 ans plus tard, avant d’orchestrer la soumission de cette dernière au Parti socialiste, qu’il rejoint en avril 1986. Une belle façon de préparer la fin de cette même année et le mouvement Devaquet en lui opposant un appareil bureaucratique consolidé, garant en dernière instance de la séparation de la jeunesse des écoles avec celle des quartiers après l’assassinat de Malik Oussekine. C’est là un moment important de l’assignation de la jeunesse au champ des possibles néolibéral, de l’ajustement de l’imaginaire collectif à l’offensive restauratrice qu’avait alors déjà bien entamé la bourgeoisie.

Le génie contre-révolutionnaire de Cambadélis, c’est d’être de gauche. Dans la France de la 5e République, il y a en effet bien des vilénies que l’on ne peut faire que depuis cette tribune-là. Comme démontrer d’un seul mouvement que les frondeurs ne sont que des courtisans de pacotilles, mais une pacotille suffisante pour faire briller les yeux de toute la « gauche de la gauche », et la paralyser. Comme chercher à donner une forme nouvelle au champ politique hexagonal, afin de fournir à des capitalistes inquiets de la crise des mécanismes de leur démocratie des outils raffermis pour le gouvernement des possibles. « Républicains progressistes » versus « Républicains conservateurs », dit-il. Et des progressistes qui n’ont à offrir que la poursuite de la régression, symbolisée par l’annonce qu’à fait Cambadélis, sans gêne : son appel aux écologistes, aux radicaux, aux communistes, vise à soutenir une nouvelle candidature de Hollande. L’univers politique de la bourgeoisie française est désormais si réduit qu’il semblerait qu’il n’y entre plus qu’une seule idée, celle de la défense de son ordre.

C’est ce genre de constat qu’ont faits les indigné-e-s de l’Etat espagnol en 2011, en tirant pour leur part une conclusion qui a changé au moins pour un temps les règles du jeu de l’autre côté des Pyrénées. Occuper les places, les tenir y compris contre ces gardes-frontières du monde possible que sont les forces de répression, constituait un refus magistral de la part de la jeunesse et des classes moyennes de se voir imposer cette géographie politique-là, celle de la domination bourgeoise mise à nue par les conditions de la crise économique.

Mais, après son succès aux élections municipales à Madrid et Barcelone dimanche dernier, Podemos est entré en négociation avec le PSOE pour voir comment gouverner ces deux métropoles. La formation politique issue du 15M, avant même d’entrer véritablement dans les institutions du régime de 1978 – royaliste, clérical, espagnoliste, pour n’y aller que de trois adjectifs – en est déjà à chercher des arrangements avec la « caste » politicienne détestée. Le risque est désormais bien concret de voir Podemos suivre le chemin de la vieille social-démocratie socialiste, avec son lot de Cambadelis. D’en arriver à l’équation qui marquera la victoire du possible : Podemos, c’est les institutions aussi ; il n’y a pas d’alternative.

Tout cela est d’autant plus tragique que les « anticapitalistes » qui conforment l’organisation ne sont pas en reste dans ce rabougrissement de l’horizon. Teresa Rodriguez, leur principale figure, s’est imposée comme tête de liste en Andalousie en expulsant un secteur de ses propres camarades qui défendait un programme plus radical. Elle en est désormais à critiquer dans les médias le peu de cas que font les socialistes, arrivés premiers dans la région, de ses demandes de rencontre pour négocier les contours du futur gouvernement local. Quant à Ester Vivas, le principal visage des « anticapitalistes » de Podemos en Catalogne, elle a le mérite de la clarté en préconisant d’« occuper les institutions, comme nous avions occupé les places », et en expliquant que « suite au tremblement de terre politique que représentent ces élections, un nouveau mot d’ordre s’impose :"Oui, ils nous représentent" ». Ce ne sont certes pour l’instant que les mots et les gestes de Podemos, et de celles et ceux qui disent en être l’aile gauche, qui présagent d’un plan de rigueur à un rythme accéléré dans le domaine des possibles. Mais ceux-là sont glaçants, alors que l’abstention est restée quasiment aussi forte qu’en 2011, touchant par exemple une forte majorité de la jeunesse travailleuse, et que les grèves comme celles des « esclaves » de Movistar sont systématiquement trahies en rase campagne par les directions syndicales.

Il existe pourtant une loi historique qui défie toute ces fatalités. Le champ des possibles politiques est fonction directe du rapport de force entre les classes. C’est la vis d’Archimède de la majorité exploitée, qui semble souvent tourner en sens contraire, mais qui la portera à l’assaut du ciel. Les trahisons comme celles de Cambadélis payent bien. Mais nous pouvons en être fiers : c’est ce qu’il y avait à trahir qui fixe le tarif, et cela nous l’avions conquis de haute lutte. Ainsi, le monde pourrait bien à nouveau s’élargir, et renouer avec la dynamique imposée un temps par la grève des mineurs des Asturies, désignés comme leurs véritables représentants par des dizaines de milliers de personnes à l’arrivée de leur marche à Madrid à l’été 2012. Le critère de cet élargissement, c’est l’imposition de ce que Marx décrit comme « la seule politique véritablement populaire », c’est-à-dire la prise en charge de l’indignation collective, de la haine contre les politiciens corrompus, par les travailleur-se-s organisé-e-s. Alors seulement s’ouvre un horizon radicalement nouveau, sur le modèle de ce que fut la Commune de Paris : une démocratie de celles et ceux qui font tourner la société, mandatant des responsables qu’ils et elles peuvent à tout moment révoquer, pour des tâches définies collectivement, et pour des salaires semblables à ceux de n’importe quel-le travailleur-se. Si le monde de la gauche contemporaine est si triste, c’est à côté de cette possibilité-là.


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