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« C'est pas si grave que ça » ?

Touche pas à mon poste « répond » à la « polémique ». La culture du viol justifiée en direct

Sarah Macna Lundi soir dans l'émission « Touche pas à mon poste », l'équipe de Cyril Hanouna est revenue sur ce qu'ils ont préféré appelé « la polémique de Jean Michel Maire ». Entendre par cette expression, l'agression sexuelle dont a été victime Soraya, invitée sur le plateau, de la part du chroniqueur de l'émission Jean Michel Maire. En réalité, la manière même dont est intitulé ce « sujet » est révélatrice de la façon dont, dans cette émission comme dans tant d'autres espaces de cette société, on traite la question des violences faites aux femmes : avec mépris, voire moquerie, banalisant la parole de la victime et la rendant coupable de ce qui lui est arrivé, tandis qu'on plaint l'agresseur. Et tout cela, c'est ce qu'on appelle la culture du viol. Suite à notre premier article sur le sujet, nous avons reçu un certain nombre de commentaires disant qu'il ne fallait pas écrire là-dessus, que « c'était faire de la pub à Hanouna ». L'émission de lundi nous convainc de le faire, au contraire. Parce que face à cette banalisation d'un cas d'agression sexuelle, face à la culture du viol, aucun et aucune de nous ne peut rester sans rien dire. Au contraire, brisons le silence et donnons-nous les armes pour nous défendre !

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Banaliser pour mieux excuser

 
On l’aura compris très vite : pour l’équipe de Cyril Hanouna, ce qui s’est passé ce soir là, « c’est pas si grave que ça ». Tellement « pas grave » qu’on peut d’ailleurs attendre une bonne demi-heure d’émission avant d’en entendre parler, et même faire une pause dans cette discussion pour faire deux ou trois blagues à propos de l’émission « Danse avec les stars ».

Ce « ça », que l’on rejette au loin en disant que « c’est pas si grave que ça », a un nom. Un nom qui a été rappelé par l’association Osez le Feminisme dans son interpellation au CSA concernant l’émission, et qui est inscrit dans le Code pénal lui-même : agression sexuelle. « Les mots ont un sens », disent les chroniqueurs de l’émission. Oui, justement, les mots ont un sens, et embrasser une femme sur le sein sans son consentement est bien « une atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » (dans notre cas précis, « avec surprise », et sans doute « avec contrainte »), donc une « agression sexuelle » telle que définie par la loi - qu’importe ce qu’en pensent les chroniqueurs et invités de Touche pas à mon poste.

Mais ceux et celles-ci ne s’arrêtent pas là. Une fois rejeté le terme d’agression sexuelle, vient l’heure de citer les « circonstances atténuantes » de Jean Michel Maire : « ce n’était pas à une heure de grande écoute », « c’était le haut de la poitrine et pas le bas, il ne faut pas exagérer », « dans l’émission on est dans notre bulle », « il avait plusieurs heures d’antenne dans les pattes ». Comme si, finalement, on pouvait « comprendre » qu’un homme se donne le droit, parce que fatigué ou « dans sa bulle », d’embrasser une femme sans son consentement.

Parmi ces « circonstances atténuantes », les pires sont sans doute celles liées au contexte de l’émission et de la télévision. En effet, les uns et unes après les autres expliquent à quel point cette émission, c’est une « équipe », dans laquelle on peut se faire ce genre de choses les uns aux autres : « dans cette équipe, un non est un oui ». On a déjà parlé, dans l’article précédent, de la façon dont cette émission considère « l’humour » comme une manière parmi d’autres de se moquer et d’humilier son voisin. Une étape de plus est franchie quand, sous le couvert d’une émission présentée comme « bon enfant », on peut se permettre une agression sexuelle et dire qu’il ne s’agit là que « d’un geste de fin de soirée ». Le pire étant qu’il s’agit sans doute d’un cas recensé parmi des milliers de « gestes de fin de soirée », comme il y en a dans des milliers de soirées. La seule différence c’est que les chroniqueurs ne peuvent pas, pour des raisons professionnelles, prendre l’alcool pour « excuse », et défendent donc Jean-Michel Maire par l’argument de la fatigue. Mais à la télé comme ailleurs, dans toutes nos soirées, aucune « excuse » ne compte ! Quand une femme dit non, c’est non, et rien ne peut excuser de telles agressions - surtout pas une « bonne ambiance dans l’équipe » ou dans la soirée.

Mais dans la logique du « c’est pas si grave que ça », la palme revient à la présentatrice, qui ose affirmer :« Et puis je me souviens de l’époque des playmates (…) qui étaient à poil, on faisait bip bip sur les gougouttes et les culs-culs, et ça choquait personne donc faudrait pas non plus basculer dans un puritanisme total ». Autrement dit, c’est pas si grave que ça, on a pu faire pire... et peut-être d’ailleurs qu’il faudrait le refaire pour ne pas « basculer dans le puritanisme total ». De là à accuser la jeune femme qui ne veut pas et qui ose le dire d’être une prude et ne pas assez « se laisser aller », il n’y a qu’un pas, que de nombreux agresseurs et harceleurs ont franchi. Mais après tout, Jean Michel, on le connaît, il n’est pas comme tout ceux là, n’est-ce-pas ?...

« Jean-Michel Maire est un amoureux des femmes ». #Not all men ?

 
Les chroniqueurs s’accordent néanmoins sur une chose : ce qu’a fait Jean-Michel Maire, « c’est grossier », « de la pure goujaterie », « lourdingue et crétin ». Reconnaissent-ils donc que celui-ci a fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? En partie oui, mais pour le présenter comme un fait exceptionnel de la part du chroniqueur, si exceptionnel qu’on pourrait presque lui faire confiance pour que cela ne se reproduise pas. Pendant toute cette discussion, celui-ci est présenté comme « un amoureux des femmes » : « Je connais Jean-Michel, et c’est tellement pas lui, c’est tellement un amoureux des femmes, dans le respect, je pense qu’il s’est fait emporté par la fougue de l’émission ». Ils ajoutent à sa défense le fait que Jean-Michel Maire connaissait sa victime : « Il avait rencontré cette jeune fille, ils avaient discuté, il ne s’est pas dit qu’il voulait l’agresser, il a voulu faire un petit geste de spectacle ».

Cette logique d’argumentation révèle un autre fondement de la culture du viol : l’idée que « les violeurs », « les agresseurs », ce sont des gens un peu fou, à la marge, dans les rues sombres, pas quelqu’un qu’on connaît et avec qui on a discuté. Doit-on pourtant rappeler que l’immense majorité des violences faites aux femmes ne sont pas causées par des inconnus, mais par des proches (famille, ami, conjoint...) ? Et que le fait qu’ils aient « sympathisé » juste avant l’émission ne suppose pas d’emblée un consentement à tout « geste de spectacle » ?

Au cours des échanges, l’un des chroniqueurs va néanmoins jusqu’à dire, avec le ton qui convient, que ce qu’a fait Jean-Michel Maire n’est pas excusable. Le même s’excusera pourtant quelques instants plus tard : « Ce que j’ai dit sur Jean-Michel était assez sévère, et il me l’a dit à la pause, quand j’ai dit que le geste était inexcusable. Je voulais rappeler que moi même j’avais touché les seins d’une autre chroniqueuse dans un happening, malencontreusement, comme lui, donc voilà ». Puisqu’on est tous coupable, alors tous excusable ? Il suffit, comme ce chroniqueur l’avait fait apparemment, d’offrir un « magnifique bouquet de rose » pour s’excuser, et tout revient dans l’ordre. Sur Touche pas à mon poste, tout le monde est « amoureux des femmes », il semblerait. Si « amoureux » qu’on peut s’excuser d’aller trop loin. Et la première concernée n’a qu’à s’en tenir là.

Et la parole de la victime dans tout ça ?

 
La victime, mais quelle victime à vrai dire ? A bien regarder l’émission, on aurait l’impression que la victime, c’est Jean-Michel Maire. « Ce week-end il était très mal », « il est très peiné, on l’a jamais vu comme ça », « c’est pas le pervers qui est décrit depuis vendredi ». Il ne s’agit pourtant pas d’être un « pervers » ou un « dégénéré » pour être coupable d’agression. En revanche, ce qui est pervers, c’est cette manière, sur le plateau de Touche pas à mon poste, de réussir à renverser l’accusation. Jean-Michel Maire nous apparaît en effet, quasiment en larmes, « victime » de cette tempête médiatique qui aurait pris trop d’ampleur. « C’est vrai que ça m’a blessé », dit-il, choqué par le terme « d’agression sexuelle ». « On m’a pas demandé ce que j’en pensais ».

Il faut vraiment n’avoir absolument aucune conscience des violences faites aux femmes, et du silence autour d’elles, pour oser dire ces mots. Car celle à qui, pendant les trente premières minutes de temps d’antenne sur « la polémique Jean Michel Maire », on n’a pas demandé ce qu’elle en pensait, c’est bien Soraya. Elle arrive pourtant sur le plateau. On lui donne pourtant la parole. Mais la parole qu’on lui donne, c’est la parole de quelqu’un qui doit se justifier, et notamment se justifier de cette tempête médiatique qu’elle n’a pourtant pas déclenché elle-même. Un à un, les chroniqueurs et chroniqueuses l’interrogent, avec des questions fermées qui n’attendent qu’un seul type de réponse : « Vous l’avez trouvez un peu lourd, mais bon voilà », « Vous ne vous êtes pas sentie agressée mais gênée, non ? », « C’est une boutade, il ne faut pas exagérer ».

A peine a-t-elle ouvert la bouche qu’elle doit se défendre. En tout et pour tout, son temps d’antenne aura été de quelques dizaines de secondes, pendant que d’autres dissertent sur son cas, et se donnent le droit de mettre des mots sur ce qu’elle aurait ressenti. Elle explique alors pourquoi elle a voulu être présente sur le plateau ce lundi soir. En premier lieu, parce que non, c’est non : « J’ai dit non, et j’ai répété, j’ai dit non, et quand une femme dit non, il faut respecter ses choix  ». Ensuite, pour dire qu’elle a accepté les excuses que lui a présentées le chroniqueur.

Mais c’est lorsque la question de la plainte en justice se pose que tout dérape à nouveau. Alors que déjà, elle devait se défendre d’avoir été la « cause » du malheur de ce fameux « amoureux des femmes », elle va très vite passer dans le rôle de la coupable. Soraya explique en effet : « J’ai décidé de ne pas porter plainte parce que j’ai eu un appel téléphonique de Jean-Michel Maire, dans lequel j’ai été touchée par ce qu’il me disait, qu’il encourait par rapport à sa vie professionnelle et familiale. C’est quelque chose qui m’a beaucoup touchée ». On peut se demander pourquoi Jean-Michel Maire s’est senti obligé de passer ce coup de téléphone, s’il est tant « respectueux des femmes » et de leur choix. Mais Soraya a beau dire qu’elle ne compte pas porter plainte, le fait même qu’elle ait pu « une fraction de seconde » l’envisager, devient un problème. Plusieurs fois de suite, elle est poussée à répéter qu’elle ne portera pas plainte, de dire qu’elle ne voulait pas le faire, tant les chroniqueurs sont choqués de cette idée.

Cet enchaînement logique est malheureusement très banal. Et combien de femmes sont poussées, comme Soraya peut-être, à ne pas porter plainte, parce que ce serait créer le scandale ? A ne rien dire, à se taire, de peur qu’on les accuse ? Ou tout simplement à ne pas pouvoir parler, parce qu’on ne les écoute pas - et si on les écoute, on le fait comme on l’a fait dans cette émission, c’est à dire en dernier, en parlant à leur place, et en leur disant ce qu’elles doivent ressentir et faire ? Ce qui n’est pas banal en revanche, c’est que cela se passe sur une chaîne télévision à une heure de grande écoute. Et c’est pourquoi ce genre de situation doit au contraire nous permettre de faire la lumière sur la réalité de tous ces mécanismes qui poussent des milliers de femmes à ne pas prendre la parole.

Au boulot, à la fac, dans la rue, en famille ou avec nos ami.e.s : non à la culture du viol !

 
On pourra néanmoins reconnaître une vérité, dite par Hanouna, pendant toute cette émission : si cette agression a choqué, c’est qu’elle fait écho aux violences vécues par les femmes. C’est ainsi que l’explique le présentateur : « On peut comprendre que ça ait pu choquer les femmes qui vivent des choses difficiles au travail ». Comme on le voit dans le contenu général de l’émission, ce n’est malheureusement pas cette petite phrase empathique de Cyril Hanouna qui pourra faire oublier que ce genre d’émission participe néanmoins à les faire taire. La fin de la discussion montre que le présentateur n’a d’ailleurs clairement pas l’objectif de libérer la parole là-dessus : « Je veux garder le naturel de l’émission, on sera toujours en direct, je ne veux pas que vous changiez tous. Faites attention, voilà, ce sont des gestes qui sont regrettables, mais c’est ce qui fait aussi la force de l’émission. Je vous le dis parce que c’est la seule émission, en direct, dans laquelle il peut se passer tout et n’importe quoi. Je pense que c’est ça aussi le succès de touche pas à mon poste. »

La « polémique » terminée, retour au business. Tant pis pour tous les hommes qui ont vu cette émission en se confortant qu’ils peuvent, dans un moment de « spectacle », ou de « fatigue », s’arroger le droit de passer outre le consentement des femmes. Tant pis pour toutes les femmes qui y auront vu ce que l’on réserve à une femme qui ose dire qu’elle a envisagé un instant de porter plainte ou d’en parler. C’est du moins la conclusion qu’en tire le présentateur. Nous, au contraire, nous en tirons la conséquence inverse : que ce soit sur un plateau télé ou entre amis, qu’importe l’habillement ou l’attitude, qu’importe la relation ou la sympathie, non, c’est non. Respecter le consentement ne se négocie pas, et la parole des victimes de violences doit se faire entendre. Contre tous les Jean-Michel Maire et tous leurs acolytes, nous ne nous tairons plus.


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