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Greenwashing

Total s’engage pour le climat et exproprie 400 fermiers au Congo pour planter des arbres

Mediapart révèle que les opérations de « compensation carbone » de Total, qui plante des arbres pour soi-disant réduire son impact environnemental, sont à l'origine de l'expropriation de fermiers au Congo. Un exemple de l'hypocrisie et de la nature destructrice et imperialiste du Greenwashing déployé par le patronat.

James Draoust

15 décembre 2022

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Pour pouvoir continuer à polluer toujours plus, tout en se présentant comme responsable sur le plan climatique, Total a trouvé une solution : planter des arbres. Beaucoup d’arbres. Tellement d’arbres à planter qu’au Congo, le géant du pétrole expulse de leurs terres des fermiers pour remplacer leurs cultures par des acacias, comme l’a révélé Mediapart.

Dans une enquête réalisée à partir de documents internes du gouvernement congolais et d’entretiens, Mediapart révèle que les activités de "compensation carbone" de Total se soldent par des expulsions de leurs terres de paysans et propriétaires congolais. Sur le plateau de Batéké, 400 paysans congolais se sont ainsi vu privés de leurs terres pour que le géant pétrolier y plante des arbres. 40 000 hectares ont ainsi été arrachés par cette opération de greenwashing. 

Ces opérations de « compensation », qu’elles soient menées par Total ou d’autres, sont aussi bien des arnaques environnementales que des attaques impérialistes systématiques contre les populations de pays sous domination.

Un projet impérialiste de pillage de ressources au nom du climat : le savoir-faire Total

Pour récupérer ces terres, Total s’est appuyé sur une combine avec l’État congolais. Les lois congolaises permettent en effet à l’État de se rendre propriétaire des terres convoitées avant leur revente. Ainsi, c’est entre Total et l’État du Congo que s’est conclue l’affaire, au détriment des populations. 

Dans un discours qui sonne comme un crachat, la ministre de l’économie forestière a ainsi « remercié » les familles, après les avoir forcé a céder leurs terres : « Soyez fiers de ce que vous allez contribuer à la lutte contre le changement climatique parce que vous avez mis à la disposition du gouvernement ces terres qui vont permettre à notre partenaire TotalEnergies de mettre en place ce projet de puits de carbone. » 

Comme dans toutes les expropriations de terres au profits d’entreprises, ces dernières et l’État se cachent derrière un soi-disant dédommagement financier. Un dédommagement qui cherche à cacher la violence du vol de terres et à le justifier. De plus, même pour les familles dédommagées (toutes ne l’ont pas été), la compensation est dérisoire et traduit un niveau de mépris colonial ahurissant : la valeur de l’hectare a été estimée à 1.8 €, soit 14 fois inférieure aux prix de locations effectives de certaines parcelles. Les familles de propriétaires et non tous les propriétaires devront alors se partager des miettes sur une somme totale de 50 millions de Franc CFA soit 76 000 €.

A grande échelle, la transformation de terres agricoles en monoculture d’acacias menace la sécurité alimentaire du pays dont une partie des fruits et légumes proviennent de ces terres. « Nous ne travaillons plus. Nous n’avons plus de champs. J’ai l’impression que ces gens sont venus pour nous tuer sur notre propre terre. », explique ainsi une personne chassée de ses terres. Le développement d’une filière d’agroforesteries à partir de cette monoculture augmenterait la dépendance du pays à la revente de ces matières premières.

Habitué des expropriations et des ravages contre les populations, Total va entre autres expulser 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie pour ses projets de méga pipelines Tilenga et EACOP. Dans ses projets d’extractivisme fossile, comme dans ses projets soi-disant écologistes, l’entreprise s’appuie sur les appareils répressifs des différents gouvernements pour piller les populations en toute impunité. 

La logique de compensation carbone en elle même, et plus généralement les logiques de "sécuriser" des terres pour en faire des réserves à carbone ou de biodiversité, se font systématiquement au détriment des populations. L’International Institute for Environment and Development rapporte ainsi : « Rien que dans 11 des 700 communautés qui se trouvent à proximité du parc de la Salonga (la plus grande aire protégée d’Afrique centrale, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO), les enquêteurs locaux de l’Action pour la promotion et protection des peuples et espèces menacés (APEM) ont trouvé trace, en 2019, de cinq exécutions sommaires, neuf viols et au moins 63 actes de torture et violence physique. » De même, sur 34 aires protégées du bassin du Congo, l’organisation rapporte que des violations aux droits de l’homme ont été constatées dans au moins la moitié, et des déplacements de populations dans 26.

La compensation carbone : l’arbre qui cache la forêt du greenwashing

Selon Total, ce projet permettrait sur 20 ans de compenser 2% de ses émissions annuelles... selon ses propres données d’émissions de CO2 largement sous-estimées comme l’a dénoncé un rapport de Greenpeace. 

En plus, le taux d’absorption de CO2 par les forêts, soumis à leur bonne santé, est autrement plus variable et sujet à variations (sécheresses,incendies, maladies...) que les émissions de l’entreprise, qui sont elles, immédiates et massives dans tous les cas. 

 

Au niveau de la biodiversité, les monocultures entreprises sont souvent inadaptées aux conditions climatiques locales et détruisent les nombreux cycles naturels. Le plateau Batéké est appelé le « château d’eau du Congo » tant les différents reliefs abritent des zones humides capables de stocker des quantités importantes de CO2 et abritant des éco-systèmes riches. La reforestation artificielle tend à puiser une partie de ces eaux, détruisant tout « puits de carbone » naturels. De plus, la transformation de la forêt pourrait aussi étendre les zones d’agroforesteries et de braconnages, surtout pour les gorilles très présent dans la région.

 

À tous les niveaux, la reforestation pose des problématiques qui sont d’ailleurs bien connues par la direction de Total. Selon Mediapart, celle-ci a même reçu une note interne datant de 2018 montrant les limites de la reforestation.

« La reforestation n’est pas une solution de compensation carbone qui devrait être mise en avant dans la lutte contre le changement climatique », admet un cadre de Total, acteur du dossier climat. 

Plus largement, et au-delà des conséquences écologiques et en terme de pillage de ces délires de « compensation carbone » il est tout simplement mathématiquement impossible de planter assez d’arbre pour compenser toutes les émissions, a fortiori quand les entreprises comme Total ont prévu d’augmenter leur production d’énergies fossiles. Les entreprises soucieuses pour leur image se livrent ainsi une guerre pour aller chercher des terres à exproprier pour y mener leurs projets : « Total s’approprie une denrée rare, prenant de vitesse ses concurrents. Mais ceci ne fait que diminuer le gisement potentiel sans changer grand-chose au fait qu’il n’y a pas assez de terres disponibles pour compenser les émissions imputables aux énergies fossiles », expliquait ainsi à Médiapart le socio-economiste Alain Karsenty

Ces opérations de « compensation » sont d’autant plus hypocrites que les extractions de pétrole, en plus d’être à l’origine d’émissions de CO2 massives, détruisent des espaces importants de biodiversité, des forêts et des zones humides capables de stocker du CO2. Les projets Tilenga et EACOP précédemment evoqués vont ainsi traverser et mettre en danger pas moins de 2000 kilomètres carrés d’aires naturelles en Ouganda et en Tanzanie. 

« Ce n’est pas de cette manière que nous allons réduire les émissions de carbone. Il ne s’agit pas de dire : je vais mettre une plantation quelque part pour séquestrer le carbone, et je continue à polluer indéfiniment. Ce n’est pas la solution pour le changement climatique », explique à Mediapart le militant militant congolais de la Commission justice et paix Brice Mackosso.

 

En effet, la « compensation carbone » n’a pas cet objectif. C’est avant tout un moyen de continuer à polluer tout en évitant toute remise en cause des destructions et pollutions engendrées pour les profits de quelques patrons et actionnaires. Ces expulsions montrent une fois de plus qu’il n’y a aucune illusion à avoir dans une quelconque « écologie » entre les mains des entreprises. Pour imposer une transition à la hauteur des enjeux, c’est contre ces entreprises et leur écologie impérialiste et mensongère qu’il faut se battre.


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