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En lutte pour les salaires !

Thalès : après deux mois de mobilisation, les grévistes se préparent à durcir la grève

Depuis maintenant plus de deux mois, les salariés des différents groupes de Thalès se mobilisent pour des augmentations de salaires. Face à ce mouvement inédit, la direction reste sourde et pousse par là les salariés à accentuer la mobilisation. Depuis jeudi dernier, huitième jour de grève pour les salariés, une discussion s’est ouverte sur la forme que doit prendre le durcissement de la mobilisation.

Rafael Cherfy

28 mars 2022

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Crédit photo : Révolution Permanente Toulouse, Assemblée Générale du 24 mars Thalès Alenia Space

Après un huitième jour de grève, la direction persiste dans son mépris

Le géant Thalès connaît une mobilisation inédite depuis maintenant huit semaines. À l’échelle nationale, l’ensemble des entreprises du groupe se sont coordonnées pour s’opposer à la proposition méprisante de la direction sur les salaires. En grève chaque jeudi, la mobilisation touche des milliers de salariés à l’échelle nationale. Alors que Thalès réalise des profits records avec un bénéfice net multiplié par deux en 2021, les grévistes refusent les misérables 3,5 % d’augmentation maximum que la direction impose dans l’ensemble des entreprises du groupe.

La mobilisation est marquée par une forte unité syndicale (FO, CGT, CFE CGC, CFDT), ce sur la base une condition commune : pas de négociation tant que le siège du groupe interdira les différentes entreprises de négocier au-dessus de 3,5 %. Une situation figée depuis le début des NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) qui ont été boycottées par les différentes organisations syndicales. C’est sur cette base qu’a émergé le mouvement de grève dans les différentes entités du groupe Thalès.

Jeudi 24 mars, c’était le huitième jour de grève en deux mois, pour des salariés qui continuent d’être mobilisés. À cette occasion, porté par une Assemblée Générale de 500 personnes, le site de Cannes a décidé de la reconduction du mouvement au lendemain. Sur le site de Thalès Alenia Space à Toulouse, plus de 300 salariés se sont réunis en Assemblée Générale. La majorité des entrées étaient bloquées dès le matin, occasionnant « une journée morte » pour la direction, comme le décrit Thomas, élu CGT à Révolution Permanente. Cela fait deux semaines que ce blocage est instauré, symbole d’une volonté de durcir le mouvement. Dans la continuité, une délégation d’une trentaine de grévistes de Thalès AVS, une autre entité des six que compte le groupe, a rejoint les salariés du site toulousain d’Alenia Space.

Parmi les centaines de grévistes rassemblés, Bernard*, un des 86 ouvriers du site de Thalès Alenia Space affirmait que « la production est à l’arrêt avec la quasi-totalité des effectifs ouvriers en grève ». Ces derniers ont les plus bas salaires du groupe et sont donc les plus vulnérables face à la hausse brutale des prix et aux augmentations de salaire qui ne suivent pas. Bernard* nous résume ainsi la situation : « C’est simple, on contribue au bon fonctionnement de l’entreprise, on a fait des efforts avec le gel des salaires, le Covid, etc. À l’arrivée, l’activité se porte très bien avec des bénéfices record en majorité reversés aux actionnaires, mais ça ne retombe pas pour nous. La répartition des richesses n’est pas juste ».

Pourtant, selon le syndicat FO, le géant Thalès aurait distribué 130 millions d’euros cette année aux actionnaires dont l’Etat est le principal d’entre eux. Une politique qui favorise les actionnaires au détriment des salariés, qui passe d’autant plus mal en sachant que l’Etat est directement responsable de cette gestion. C’est dans ce sens que l’intersyndicale a interpellé les différents candidats à la présidentielle : « Face au mépris affiché d’une direction fermée et isolée, nous vous demandons d’exprimer votre point de vue sur le partage de la valeur créée, surtout concernant un groupe dont l’Etat est le premier actionnaire  ». Cependant, aucun candidat n’a pour l’instant réagi à cette interpellation et les salariés restent bien conscients que l’augmentation de leur salaire passera par la mobilisation.

Vers un durcissement de la mobilisation

Durant l’Assemblée Générale du jeudi 24 sur le site toulousain, l’annonce de la reconduction de la grève au lendemain par les grévistes Thalès Alenia Space à Cannes questionne une partie des salariés mobilisés. En marge du rassemblement, un petit groupe de grévistes discutent des perspectives. Xavier*, ingénieur syndiqué CGT : « Il faudrait frapper fort sur un moment, plutôt que d’étaler la mobilisation dans le temps. Même s’il y a un risque que ça soit moins suivi. Si on laisse passer pour la suite, ça va être compliqué. Sur un plan plus général, comme on est un fleuron de l’industrie, on sait que si on gagne ça ouvrira plus de possibilités pour l’ensemble des sous-traitants qui ont des salaires plus bas que nous ». Carole, ouvrière du site, va aussi dans ce sens : « C’est le moment de durcir le mouvement, sinon on peut rentrer dans une certaine routine à se mobiliser seulement les jeudi ».

L’ambiance générale tend vers un durcissement de la mobilisation, mais quelques grévistes ne sont pas encore décidés. Certains d’entre eux se posent légitimement la question financière. En effet, durcir le conflit implique de perdre plus d’argent, ce qui freine particulièrement le secteur ouvrier du site qui ont les salaires les plus bas de l’entreprise. Cependant, loin d’être une fatalité, la mise en place d’une caisse de grève par l’Assemblée Générale et sa prise en charge par les salariés syndiqués ou non, peut venir résoudre ce problème. En s’appuyant sur la solidarité interne à l’entreprise, mais aussi sur la solidarité de la population, la caisse de grève est un outil puissant pour rendre visible le conflit au-delà de l’entreprise.

Aussi, les Assemblées Générales réunies chaque jeudi restent pour l’instant limitées et ne permettent pas aux grévistes, syndiqués ou non, de prendre de discuter de leurs doutes et de s’investir plus dans la mobilisation. Les prises de paroles concernent quasi-exclusivement les représentants syndicaux et laissent très peu de place au débat sur la stratégie de la grève, alors même que de nombreux salariés se questionnent sur le sujet. L’état actuel de l’Assemblée Générale alimente une certaine passivité des salariés qui laissent en définitive la décision et les réflexions à l’intersyndicale. Preuve en est, malgré l’Assemblée Générale du jeudi 24 mars avec plus de 300 salariés, il est pourtant revenue à l’intersyndicale de trancher ce lundi 28 mars de la forme que prendra la suite de la mobilisation. Pourtant, donner aux salariés syndiqués comme non-syndiqués l’espace pour qu’ils deviennent acteurs de leur grève est un élément décisif pour la suite de la mobilisation. C’est le seul moyen pour décupler les forces militantes de la grève, mais aussi garantir un fonctionnement démocratique de cette dernière.

Une autre interrogation décisive tient dans les perspectives plus générales, notamment sur le lien avec Airbus Defence and Space, un autre grand donneur d’ordre dont les salariés sont en grève chaque mardi depuis deux semaines sur des revendications similaires. Une situation inédite, ou deux des principaux donneurs d’ordre de l’industrie aéronautique française connaissent des grèves sur les mêmes problématiques au mêmes moments. Dans ce sens, une mobilisation commune des grévistes de Thalès et Airbus serait un symbole puissant qui pèserait fortement dans le rapport de force avec le patronat.

Une lutte inédite qui pose les germes d’une unité entre donneurs d’ordre et sous-traitants

Quoi qu’il arrive par la suite, il y aura un avant et un après-grève chez Thalès et Airbus. La crise qui a touché le secteur aéronautique depuis 2020 a créé un changement subjectif chez beaucoup de salariés du secteur, donnant lieu à des conflits pour les salaires chez certains sous-traitants (Derichebourg, Daher, AHG..). Actuellement la colère chez les grands donneurs d’ordre que sont Airbus et Thalès, perçus comme « privilégiés » par rapport à la sous traitance, montre que ces derniers se sentent aussi menacés et refusent de se laisser faire. C’est un changement majeur pour un secteur à majorité composé d’ingénieurs, où le climat social était très calme, parfois depuis plusieurs décennies. Ces grèves sont les premiers germes d’une tendance à la radicalisation d’un énorme secteur de cadre et ingénieur.

On assiste donc à une sorte de « prolétarisation » de toute une frange d’ingénieurs et cadres de l’industrie, ce qui diminue la distance entre les conditions des salariés des donneurs d’ordre et celles de la sous-traitance. Cette division artificielle réalisée par le patronat devenant plus friable, les luttes qui émergent peuvent commencer à poser les bases pour une future unité des salariés de l’aéronautique et du spatial. C’est dans ce sens que Gaëtan Gracia, militant à Révolution Permanente et tourneur-fraiseur de la sous-traitance aéronautique, est venu apporter son soutien aux grévistes de Thalès jeudi 24 mars.

Plus largement, dans un contexte où la BCE vient de publier des prévisions à la hausse très inquiétantes avec 5,1 % d’inflation prévu pour 2022, c’est l’ensemble du monde du travail qui est menacé par la hausse des prix. Si les salaires ne suivent pas, comme c’est le cas dans la grande majorité des entreprises, cela signifie une perte de salaire réel. Une situation inacceptable pour des millions de salariés qui ont déjà fait de nombreux efforts pendant la pandémie. Les grèves actuelles, notamment celle de Thalès, montrent le chemin à suivre pour que la hausse des prix soit payé par le grand patronat qui a réalisé des superprofits pendant la crise sanitaire.

*Les noms ont été modifiés par soucis d’anonymat des grévistes


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