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Société patriarcale, culture du viol…

« Suicide-toi ». Écrire sur les questions féministes en 2017 : des journalistes harcelées et insultées

Des journalistes qui écrivent sur les problématiques féministes ont témoigné dans différents journaux des foudres qu’elles s’attirent à chaque fois qu’elles sortent un papier sur les inégalités hommes-femmes, le sexisme, les questions de genre dans la société en 2017. Car les insultes et les menaces pleuvent généreusement dès qu’un sujet touchant au féminisme est abordé pour discréditer le sujet, jusqu’à s’en prendre directement à l’auteure. Récemment, les langues de plusieurs journalistes se sont déliées suite au témoignage d’une journaliste de BuzzFeed qui a été victime de harcèlement – des invectives plus violentes que d’habitude – par des internautes à la suite… d’un article sur les poches de jeans. Des poches de jeans aux questions plus politiques, une partie des internautes se déchaîne sur les journalistes mais aussi fréquemment sur celles qui osent témoigner de situation de harcèlements et de sexisme. Loin d’être cantonné à internet, ce type de comportement sexiste existe et s’exprime au quotidien dans la famille, au travail, et vise à décourager, culpabiliser et délégitimer la parole des femmes qui ont bel et bien raison de dénoncer les profondes – réelles – inégalités et violences de genre qui touchent la moitié de la population. Cécile Manchette

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Marie Kirschen, journaliste chez BuzzFeed travaillant sur l’égalité hommesfemmes et la question LGBT, écrit régulièrement des articles sur le sujet. Un des derniers en date est le résultat d’une enquête réalisée sur la base d’un constat ou plutôt d’une interrogation : « les poches de jeans pour femmes seraient plus petites que celles des hommes. ». Dimanche 19 février en fin de matinée, elle publie donc un article intitulé « J’ai vérifié les poches pour hommes et femmes de six magasins et on se fait arnaquer ». Un papier qui s’inscrit dans un type d’article du journalisme féminin qui questionne les inégalités hommes-femmes, notamment dans la sphère de la consommation : taxe tampon, produits féminins, services pour les femmes (comme le prix pour une coupe de cheveux) plus chers que pour les hommes. Des articles qui, bien que plutôt « inoffensifs » au premier abord, attirent massivement les trolls. La journaliste de BuzzFeed en fait souvent l’expérience, mais cette fois les invectives étaient plus virulentes qu’à l’habitude : « on m’a dit que j’étais conne, que c’était ridicule de faire un article sur ça, explique-t-elle à L’Express. On m’a dit de me suicider. J’ai énormément eu de notifications sur Twitter, à tel point que je n’ai pas pu utiliser le réseau social normalement tout l’après-midi et que j’ai dû passer mon compte en privé pendant plusieurs jours. »

En effet, la journaliste a reçu à la suite de la publication de l’article, un déferlement de commentaires haineux, d’insultes, de menaces : « allez brûler en enfer les féministes », « on s’en balek prends ton sac à main d’pute et va chier », ou encore « suicide-toi ». Ces réactions loin d’être ponctuelles sont en réalité systématiques dès que sont abordées dans la presse internet les questions de féminisme et de genre. Les réactions virulentes dont a été victime cette journaliste ont amené des médias tels que Slate.fr ou L’Express (http://www.lexpress.fr/actualite/medias/appel-au-viol-haine-les-journalistes-feministes-en-prennent-plein-la-tronche_1884119.html) à élargir l’enquête pour montrer que cela touche l’ensemble des journalistes « spécialistes » des questions féministes de différents médias français. Ainsi, Anaïs Condomines, « journaliste féministe », raconte avoir vécu un enfer au début de l’année 2017. Après avoir publié une enquête sur les raids anti-féministes du forum de jeux vidéo jeuxvidéo.com, elle a été victime d’insultes virulentes. De même, Aude Lorriaux, contributrice chez Slate.fr, a connu une vague d’insultes après une enquête sur les touchers vaginaux, dans laquelle elle montrait que ces gestes médicaux étaient parfois pratiqués sur des patientes endormies, sansleurconsentement. Ou encore Johanna Luyssen qui, en dénonçant lavision réactionnaire des femmes, et du féminisme, de la journaliste du Figaro Eugénie Bastié, a dû faire face à un harceleur, contributeur du site Atlantico. « [Il] a écrit un article sur Atlantico m’expliquant que mon article n’était ni plus ni moins que la métaphore de la « laideur » de la gauche et m’a ensuite écrit sur Facebook « Dommage que vous soyez belle ! ». Puis : « Vous êtes le plus joli punching ball que j’ai jamais eu », et depuis ce type me poste régulièrement des commentaires sur ma page Facebook pour me faire réagir. ».
On découvre alors dans l’article de Slate.fr, rédigé suite à l’affaire des poches de jeans, que « les journalistes et les rédactions anticipent les conséquences de ce genre de sujet ». « Lorsque nous déterminons les sujets en conférence de rédaction, nous savons d’emblée quels sujets vont faire l’objet d’une « shitstorm » (tempête de commentaire haineux). », confirme Flore Galaud de LCI. Les journalistes expliquent qu’elles sont rapidement identifiées comme des « journalistes féministes » et sont alors clairement « surveillées » et « suivies » par les internautes réactionnaires qui ne loupent pas une occasion de commenter la moindre de leurs publications ou leurs commentaires. Ces dernières rusent alors de techniques pour éviter de recevoir des flots d’insultes sur les différents réseaux sociaux.

En réalité, ces flots d’insultes organisés et déversés sur internet et les réseaux sociaux sont l’expression du climat réactionnaire qui traverse la société. Une tendance à la réaction qui se traduit par une haine et une colère clairement dirigées à l’encontre des personnes les plus opprimées : les femmes, les personnes LGBTI ou encore les personnes racisées. Ces commentaires haineux qui visent à discréditer les questions féministes, à les juger « inintéressantes », à considérer que le féminisme est « ringard », « dépassé », à juger que les féministes sont des « furies », des « hystériques », est un discours que l’on entend d’abord dans la bouche des politiciens les plus droitiers. Un discours qui s’exprime ouvertement via la Manif pour tous ou chez les masculinistes – qui défendent les droits des hommes – et que nombre de politiciens ne condamnent pas voir encouragent tels François Fillon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy et on en passe.

Un sexisme débridé qui s’exprime aussi au quotidien dans la rue, dans le noyau familial, au travail, à travers un ensemble de remarques, de comportements, d’agressions à l’encontre des femmes et personnes LGBTI. Ce qui sur internet se cantonne à des insultes et des mots prend dans la réalité la forme d’agressions verbales ou physiques de milliers de femmes. Et l’ensemble de ces insultes, de ces agressions, – sur internet, au bureau, dans la rue ou à la maison – qui sont l’expression de la domination des hommes sur les femmes, tendent à remettre les femmes à leur place, à les humilier pour les faire taire, pour les rabaisser. Certaines journalistes se demandent si elles vont continuer à écrire tout comme certaines femmes hésitent à dire qu’elles ont été victimes d’une agression craignant – à juste titre – les représailles. À combien de femmes qui se sont faites violer demande-t-on encore comment elles étaient habillées au moment des faits ? À combien de femmes agressées par leur mari rappelle-t-on que si elles parlent elles mettent leur couple en danger et, qu’après tout, leur mari fait bien ce qu’il veut ? Face à ces violences quotidiennes et répétées, il est encore plus primordial et nécessaire que les questions féministes et de genre soient soulevées, que les conditions de vie des femmes et personnes LGBTI soient dénoncées et les inégalités de genre expliquées et amenées à la porter de chacun, notamment sur internet et les réseaux sociaux.

Image : Couverture de Causeur en juillet 2015


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