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Libertés syndicales

Stage syndical antiraciste : de quoi la polémique est-elle le nom ?

Avec un peu de recul, il se confirme que le psychodrame soigneusement entretenu autour du stage antiraciste organisé par Sud Education s’est trompé d’objet, que, s’il y a bien scandale, il ne se trouve pas dans l’initiative syndicale mais dans son instrumentalisation politique et médiatique.

B. Girard

24 novembre 2017

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Avec un peu de recul, il se confirme que le psychodrame soigneusement entretenu autour du stage antiraciste organisé par Sud Education s’est trompé d’objet, que, s’il y a bien scandale, il ne se trouve pas dans l’initiative syndicale mais dans son instrumentalisation politique et médiatique.

Car au-delà de l’émotion artificiellement gonflée, soulevée par deux ateliers « non mixtes », au-delà des effets de manche et de tribune, c’est bien plutôt la décision inédite d’un ministre de porter plainte au pénal contre des enseignants qui aurait dû faire naître l’indignation. L’action intentée par Blanquer – on ne l’a pas suffisamment relevé - ne s’appuie pas sur l’arsenal législatif antiraciste existant (« incitation à la haine raciale » etc) mais, plus insidieusement, sur la loi de juillet 1881 relative à la liberté de la presse et à la diffamation. En cause, non pas les ateliers « non mixtes » mais la formule « racisme d’état », dont l’emploi serait considéré comme un délit. En jeu, la criminalisation de la parole publique, du débat politique, de la recherche. Au final, la remise en cause d’une liberté publique fondamentale.

Même si, comme on peut le penser - puisqu’une plainte pour diffamation déposée contre une personne morale, donc contre un syndicat, n’est pas juridiquement recevable - la perspective d’une condamnation reste pour le moment très hypothétique, l’absence de réaction forte du monde enseignant à cet abus de pouvoir interpelle (1). Parmi les syndicats, à l’heure actuelle, seule la CGT Educ’action a condamné sans réserve la décision de Blanquer, les autres choisissant de détourner le regard. Rivalités syndicales ? Indifférence ? Respect frileux de la hiérarchie ? Ou, pourquoi pas, réticences somme toutes légitimes à soutenir le principe d’un stage aux interprétations multiples ? En tout cas, cette acceptation tacite du coup de force ministériel n’est pas sans rappeler le silence assourdissant qui, avait accompagné la mise en cause de l’école en 2015, dans la foulée des attentats terroristes : visée par une commission d’enquête parlementaire sur « la perte des valeurs républicaines », cible de dénonciations indécentes dans les médias et chez les politiciens, l’école qui, selon Valls « avait laissé passer trop de choses », avait été la cible d’une violente campagne de dénigrement accompagnée d’une reprise en main idéologique. Bref, un invraisemblable climat de lynchage où se retrouvaient déjà, de façon significative, les mêmes préoccupations, les mêmes illusions, les mêmes extravagances qu’aujourd’hui avec l’affaire du stage de Sud Education.

Dans les deux cas, en arrière-plan, la référence obligée aux « valeurs de la république », lancinante injonction administrative, faisant écran à une juste perception de la réalité, autorise toutes les manipulations par ceux qui les mettent en avant et, en même temps, inhibe les autres qui se refusent à les remettre en cause ou simplement à les interroger. La république étant parée de toutes les vertus, sacralisée, l’autorité qui semble l’incarner – celle de l’état principalement – se trouve par un miraculeux transfert, jouir d’une infaillibilité (et d’une impunité) quasi-totales. Même si, le plus souvent, les serviteurs de l’état sont d’abord ceux qui s’en servent. Opposer la république et ses prétendues valeurs à tout questionnement légitime sur les discriminations, sur la justice sociale, sur les droits humains a pour effet, si ce n’est pour objectif, de discréditer à l’avance tout débat, de le rendre inaudible en le délégitimant. Poser la question des discriminations ethniques à l’école ? Un blasphème contre la république, qu’il convient de sanctionner, comme l’Eglise autrefois sanctionnait ses déviants. A l’école, faire des « valeurs de la république » l’objet d’un culte avec leçons obligatoires et force déploiement de rituels (symboles nationaux, commémorations patriotiques), à défaut de former des citoyens responsables permettra de préserver, au moins pour un certain temps, un ordre politique et social considéré comme intouchable, puisque républicain. Avec cette autre conséquence : le silence de l’opinion comme celui des syndicats d’enseignants face aux abus de l’autorité, ne peut qu’inciter cette dernière à poursuivre dans cette voie. Et même si la plainte déposée par Blanquer n’aboutit pas, il est certain qu’il saura tirer profit de la situation : la voie est dégagée. Un peu plus.

Enfin, comme si cela ne suffisait pas, cette médiocre comédie, artificiellement montée autour d’un stage syndical, initiée par la mouvance d’extrême-droite et ses réseaux avant d’être reprise un peu partout, place une nouvelle fois l’école en situation d’otage face à l’hystérisation des questions identitaires entretenue de façon irresponsable sur un large échiquier politique. Aveuglé par un débat aussi stérile qu’irrationnel sur le communautarisme, les prétendues « racines », ou sur d’hypothétiques cultures d’origine, on en vient à oublier une question qui mériterait pourtant de retenir l’attention : à l’école comme dans la société, l’exigence première est-elle de savoir d’où nous venons ou avec qui nous voulons vivre et pour quoi faire ?

(1) - Exception faite pour un certain nombre d’initiatives : http://www.questionsdeclasses.org/?Dossier-sur-l-affaire-du-stage-de-Sud-educ-93-et-le-Ministre-Blanquer


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