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De la bataille des images à la lutte armée

Sortie ciné : « Une jeunesse allemande »

Maria Chevtsova Le nouveau documentaire de Jean-Gabriel Périot, « Une jeunesse allemande », en salle le 14 octobre, retrace le parcours et la radicalisation de jeunes intellectuels d’extrême-gauche allemands fondateurs de la Fraction Armée Rouge(RAF) dans les années 1970. C’est à travers des images d’archives quasi-exclusives que le réalisateur nous montre la jeunesse révoltée de cette époque, sa radicalisation et le traitement médiatique qui en est fait. Le réalisateur s’attache à dépeindre avec justesse les parcours intellectuels de ces militants de la RAF, dont Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Marie Meinhof, Horst Mahler et bien d’autres. De cette manière, le spectateur peut comprendre pourquoi ils en viennent à prendre les armes, et en quoi l’usage de cette violence s’inscrit dans la continuité de leur mode d’action, et n’est pas un signe de désespoir.

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Une jeunesse allemande en rupture

Dans les années 1960 en Allemagne, la jeunesse est en plein conflit générationnel. Les jeunes doivent vivre avec leurs parents qui ont vécu et soutenu le nazisme. Ils ne souhaitent pas porter le poids du passé de leurs ancêtres, et demandent donc des comptes à l’ancienne génération, refusant de passer sous silence le nazisme. La jeunesse est donc en lutte contre ses parents, mais aussi contre l’appareil social dans son ensemble.

Comme l’exprime Ulrike Marie Meinhof, journaliste et future membre de la Fraction Armée Rouge, « les parents ont perdu leur crédibilité en s’identifiant au national-socialisme, l’église catholique a perdu sa crédibilité en se réfugiant dans le national-socialisme et le patronat a aussi perdu crédibilité et autorité au cours du dernier siècle, à cause des conditions atroces utilisées pour développer l’industrie ». La jeunesse allemande est en perte de repères et n’hésite pas à critiquer toute forme d’autorité. L’impérialisme des Etats-Unis est fortement condamné, notamment dans le cadre de son soutien au Shah d’Iran et de son intervention au Viêtnam.

Le pouvoir des images

Une des formes d’action très populaire à cette époque est la diffusion, à plus ou moins grande échelle, de films documentaires réalisés par des étudiants et des jeunes politisés, qui croient en la force de l’image. Ils expriment leur militantisme via des actions artistiques, médiatiques et cinématographiques, mais reconnaissent rapidement la faible portée de leurs actions.

C’est aussi parce qu’il croit au pouvoir des images que Jean-Gabriel Périot a réalisé ce documentaire. Son parti pris a été de ne prendre que des images d’archives, visuelles et sonores, et de ne pas ajouter de commentaires : le résultat est surprenant et très narratif. « Une jeunesse allemande » est donc un film réalisé à partir d’extraits de films militants qui vont du ciné-tract de propagande aux films télévisés très construits et très politisés, en passant par les débats télévisés. Cela permet de voir comment, à l’époque, les militants ont utilisé les médias qu’ils avaient à disposition pour toucher le public, et pour « lancer la révolution ».

Radicalisation et naissance de la Fraction Armée Rouge

Mais parce que les images et les films n’ont pas eu l’impact escompté, parce que toutes les actions ont été sévèrement réprimées et parce que la voie « démocratique » n’offrait pas de possibilité, certains militants se sont radicalisés et ont fait le choix de la lutte armée comme moyen d’action. Non par désespoir, mais parce qu’ils étaient convaincus que la violence pourrait enfin faire bouger les choses. Ainsi, la Fraction Armée Rouge est créée en 1970, avec pour leaders Andreas Baader et Ulrike Marie Meinhof, groupe plus connu sous le nom de « Bande à Baader » en France.

Les premières actions de la RAF sont des braquages de banques, qui leur permettent par la suite de subvenir à leurs besoins. À partir de 1971, la RAF sort de l’anonymat en publiant un texte intitulé Le concept de guérilla urbaine, après quoi les autorités allemandes déclenchent de grandes opérations de recherche. En 1972, la RAF se lance dans une série d’attentats à la bombe contre des institutions publiques et des bâtiments militaires américains sur le sol allemand, faisant plusieurs morts. Ils exigent notamment la fin de la guerre au Viêtnam.

Les principaux leaders sont arrêtés en juin 1972 pour terrorisme, et détenus dans des conditions de restrictions particulièrement sévères. Ils sont privés de contact avec les autres prisonniers et d’activité collective, ne disposant que de 30 minutes de promenade solitaire par jour. Ulrike Marie Meinhof dénonce les conditions de détention des militants de la RAF comme une « torture par l’isolement », qui ne peut mener selon elle qu’à la mort ou à la trahison. Après quatre ans d’incarcération, en 1976, de nombreux militants se donnent la mort dans leurs cellules, laissant place à une seconde génération de la RAF.

Le documentaire ne porte pas tant sur la légitimité ou non de la violence, mais essaye plutôt de décortiquer le passage à l’acte et d’en comprendre les raisons. La question centrale qui intéresse le réalisateur est en réalité celle de la démocratie : « Aujourd’hui, la "démocratie" est devenue un fait indépassable que l’on ne questionne pas. Il n’y aurait aucun autre régime de gouvernance possible et cela ne s’interroge pas. On voit dans le film comment ce mot, "démocratie", a été employé comme un mantra par l’ensemble des protagonistes de cette histoire alors même que chacun d’entre eux l’entend de manière très différente ».

En effet quand les membres de la RAF parlent de « démocratie », le terme ne recouvre pas la même acceptation que quand il est utilisé par les hommes politiques du moment. Et il en va de même avec les mots « terrorisme » et « violence ». Car si le terrorisme est l’emploi de la terreur à des fins politiques ou idéologiques, comment qualifier l’intervention des Etats-Unis au Vietnam ? Les médias ont bien entendu leur part de responsabilité dans la propagande idéologique qu’ont entretenu, et qu’entretiennent aujourd’hui encore, les gouvernements au sujet de la démocratie et du terrorisme, avec une vision souvent très simpliste et binaire : d’un côté le bien et de l’autre le mal. Quarante ans plus tard, les questions soulevées par la jeunesse allemande et la Fraction Armée Rouge sont d’une pleine actualité !


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