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La direction prise la main dans le sac

Scandale à la RATP. Les salariés fichés et discriminés pour grève, arrêts maladie, grossesse...

Un mail plus que compromettant pour la RATP vient de fuiter, révélant que celle-ci procède à un fichage de ses salariés, sur le dépôt de bus Bords-de-Marne. Tous les motifs d'arrêts de travail, qu'il s'agisse de grève, d'arrêts maladies ou même de grossesses sont ainsi retenus contre les agents pour bloquer leurs salaires. Une discrimination scandaleuse qui semble être monnaie courante dans l'entreprise de transports parisiens.

Flora Carpentier

7 mai 2020

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C’est la CGT RATP qui a révélé l’affaire, en dévoilant un mail du directeur du centre bus des Bords-de-Marne à Neuilly-Plaisance (93), daté du 9 avril, en pleine crise sanitaire. Pour augmenter ses profits et bloquer les avancements de carrière de ses agents, la RATP n’hésite pas à les cataloguer dans un fichier totalement illégal, sur des critères de « production » qui discriminent les agents ayant exercé leur droit de grève ou ayant été en arrêt maladie, état de grossesse ou tout autre motif d’arrêt de travail. Un scandale qui montre bien que derrière les beaux discours glorifiant les « Héros du quotidien » en première ligne du Covid19, la RATP se préoccupe davantage de ses profits que de garantir le service public, et ce à n’importe quel prix.

Tract de la CGT RATP Bus et UGICT

« Une stratégie 100% production »

On découvre ainsi un mail digne du management de n’importe quelle entreprise privée, où l’on juge les agents en des termes qui font froid dans le dos, quand l’on pense aux risques encourus sur le terrain en ces temps de pandémie. « Production » est le maître-mot, et chaque agent analysé méticuleusement selon sa capacité à produire « du kilomètre », au point d’être qualifié de « nul vs prod » ou de « super agent ». Les salariés prêts à faire des heures supplémentaires sont ainsi valorisés au détriment de ceux présentant des inaptitudes ou ayant participé à la grève de cet hiver. La chasse aux arrêts maladies est ouverte, et le directeur s’en vante sans scrupule auprès des cadres du dépôt : « On a réussi à faire passer cette unité d’une stratégie 100% maladie à une stratégie 100% production ». Autant dire que le mal-être au travail des salariés ne semble pas l’inquiéter outre mesure. C’est pourtant bien là que la cause des arrêts maladies est à chercher, comme en témoigne Ahmed Berrahal, délégué CGT RATP au dépôt de bus Flandre : « quand un machiniste est en arrêt maladie c’est qu’il a été agressé par exemple, ou qu’il a des problèmes de dos, de bras... un agent qui roule pendant 10-15 ans a mal partout, c’est bien connu. Et pour le remercier, la direction le fiche pour qu’il n’ait pas d’augmentation de salaire. C’est une honte ! ». Il poursuit : « Mais ça ne m’étonne pas d’eux ! Quand elle nous dit pendant ce confinement qu’on n’a pas besoin de masques, pour après changer de version... on voit bien que sa seule préoccupation c’est le fric et pas les salariés ! »

Chiffre d’affaire en hausse pour la RATP, sur fond de bas salaires bloqués

Il n’est de secret pour aucun agent RATP que les « commissions de classement » annuelles, au cours desquelles ils sont évalués pour déterminer s’ils pourront bénéficier ou non d’évolutions de carrière, sont basées sur la seule logique de la rentabilité. A vrai dire, il est de plus en plus difficile de voir son salaire progresser dans cette entreprise aux profits pourtant faramineux, avec un chiffre d’affaire de 5,704 milliards d’euros en 2019 pour le groupe RATP, soit une hausse de 2,5%. L’augmentation de salaire de 12,5% de la PDG Catherine Guillouard passant d’une rémunération annuelle de 400.000 à 450.000€, n’était d’ailleurs pas passée inaperçue. Le contraste est brutal avec le salaire d’un chauffeur de bus, se situant entre 1495€ et 1800€, malgré la pénibilité du travail en horaires décalés, la nuit, les week-end et jours fériés, et ses conséquences pour la vie de famille. Des salaires par ailleurs bloqués depuis 4 ans, tandis que les cadres et directeurs de centre, aux salaires situés entre 6000 et 10.000 euros, se voient primés pour leurs gains de productivité. Pour Ahmed et son syndicat la CGT RATP, les revalorisations de salaires devraient être automatiques : « Si on est tous solidaires, on pourra faire plier cette direction et imposer que tout le monde passe à l’ancienneté ! »

Dans cette entreprise où la mission de service public disparaît peu à peu au profit d’une pure logique de « production », tout prétexte semble valable pour faire des économies et engranger des bénéfices. Cette méthode de fichage a d’ailleurs connu des précédents dans l’entreprise, comme le rappelle Ahmed : « Aujourd’hui c’est à Bords-de-Marne mais on sait que c’est partout ! Par exemple on avait découvert qu’en 2010 au dépôt de Flandre les agents étaient fliqués avec des dossiers sur les arrêts maladies ou l’inaptitude ». La RATP n’en est donc pas à son coup d’essai. Des méthodes de management qu’on retrouve d’ailleurs à la SNCF, épinglée à plusieurs reprises pour le fichage de ses agents, notamment sur les réseaux sociaux. Rien d’étonnant à ce que deux entreprises publiques en voie de privatisation aient les mêmes pratiques de pression managériale.

Le directeur démasqué est d’ailleurs bien conscient de l’illégalité de ses pratiques, puisqu’il alerte les cadres : « attention à l’étanchéité du fichier ». Il insiste également à plusieurs reprises sur l’enjeu à ne pas parler de « grève », critère « polémique » qui fait pourtant l’objet d’une « colonne » dans son fameux fichier. Cela ne l’empêche pas de se préparer à remettre le couvert : « L’année prochaine on fait la même en plus préparé ». On notera aussi comment la direction de la RATP favorise les élus de syndicats prêts à se compromettre : « une place pour M. dans le cadre des relations UNSA »... un aveu que l’UNSA RATP n’a pas jugé utile de commenter dans son dernier tract sur le sujet.

La course aux profits, un danger en temps de crise sanitaire

En pleine pandémie, cette course à la rentabilité montre aux yeux de tous le danger auquel elle expose les salariés des transports comme les usagers. Comme le dénonce Ahmed, « on est un service public, on ne peut pas être soumis à une logique de productivité, on est au service des usagers ! La RATP n’est même pas en capacité d’offrir des masques gratuits aux usagers, alors qu’elle est en capacité de préparer pour le 11 mai un arsenal de contrôleurs, GPSR [agents de sécurité RATP] avec la police pour aller les sanctionner dans nos bus avec des PV de 135€ parce qu’ils n’auront peut-être pas eu la chance de trouver un masquer ou les moyens de s’en payer un ».

Pour ce syndicaliste réprimé, dont le conseil de discipline a été reporté à l’après-confinement, ce nouveau scandale remet également au devant de la scène la nécessité de se mobiliser contre la répression : « Pour un arrêt maladie reçu soi-disant hors délai ou pour le moindre retard, on passe en disciplinaire, mais quand des directeurs nous fichent avec des fichiers illégaux, eux ils sont toujours en place, c’est ça qu’il faut dénoncer ! » Un deux-poids deux-mesures qui, on l’espère, devrait mettre le feu aux poudres à l’heure où les salariés de la RATP sont en première ligne du Coronavirus. A l’approche du 11 mai, on ne peut en effet pas dire que les conditions soient réunies pour garantir la sécurité des salariés et des usagers dans les transports en commun, véritable foyer de contamination.


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