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Education nationale

Sacrifier l’école publique aux intérêts du marché, la mission de Blanquer

Aussi doctrinaire qu'autoritaire, faisant avancer, en lieu et place de toute pédagogie, sa panoplie de consignes algorithmiques et le corpus des sciences cognitives articulées au neuroscientisme à la mode, Blanquer est un ministre clairement mandaté au sein du fameux "projet" macronien : il est là pour en terminer enfin avec l'école publique et gratuite, pour casser les statuts des personnels et porter l'estocade, avec Vidal, au rêve de l'accès de tous et toutes à la connaissance et à la culture.

Christa Wolfe

16 septembre 2020

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Le ministre de l’éducation nationale, comme d’ailleurs la ministre de l’enseignement supérieur, ont traversé les tempêtes et les remaniements politiques sans jamais donner l’impression de vaciller : face à l’opposition à la réforme du lycée, face à la grève du bac, face à la colère des personnels, Blanquer apparait comme le ministre indéboulonnable, nécessaire, irremplaçable. Aussi doctrinaire qu’autoritaire, faisant avancer, en lieu et place de toute pédagogie, sa panoplie de consignes algorithmiques et le corpus des sciences cognitives articulées au neuroscientisme à la mode, Blanquer est un ministre clairement mandaté au sein du fameux "projet" macronien : il est là pour en terminer enfin avec l’école publique et gratuite, pour casser les statuts des personnels et porter l’estocade, avec Vidal, à l’accès de tous et toutes à la connaissance et à la culture.

Avec ParcourSup, la fin du lycée se fait maintenant sous haute tension pour accéder aux études universitaires. On a ainsi vu se multiplier les entreprises de service à destination des lycéens qui doivent constituer un dossier de demande. Comme l’admission à l’université n’est plus de droit avec le bac, il vaut mieux désormais avoir les moyens de financer l’achat d’un bon CV et d’une lettre de motivation pour être retenu. Depuis 2017-2018, la démonstration est faite que la machine ParcourSup n’a d’autre usage que de mettre de plus en plus d’obstacles à certains élèves des classes populaires qui voudraient accéder aux études universitaires. Ou pour le dire autrement : ParcourSup est le joujou que s’est offert la bourgeoisie pour se réserver les études après le bac. On va avoir une bourgeoisie très cultivée et très savante.

Mais c’est pas une grande nouveauté, malgré tout, que les classes populaires ne soient pas les plus représentées dans les universités : c’est un fait sociologique qui dure même depuis longtemps, puisque les années d’étude, il faut pouvoir se les payer. Seulement, jusqu’à présent, le bac était accessible à tous les élèves : bac professionnel, bac technologique, bac général. Désormais, même ça, la bourgeoisie trouve que ç’a assez duré : l’école publique, gratuite, l’accès à la formation pour tous, ça n’a plus d’intérêt. Au contraire, même : voilà que la bourgeoisie se met à rêver d’un marché des formations scolaires, de parcours individualisés, de distribution différentiée des options, d’un bac nouvelle version, de programmes refondés, de la disparition des filières, bref d’un jeu foisonnant et immense où chaque élève devra tirer à lui tout seul son épingle et tant pis si personne n’est derrière pour l’aider et financer ses choix.

Il ne s’agit même pas de dire que Blanquer manie le ventilateur comme un chef et le micro comme un contre-ténor : derrière ses paroles méprisantes et la grande foire de sa réforme, il avance le pion de la destruction globale de l’école publique. Mais après l’expérience du confinement, il est devenu plus difficile de faire passer les profs pour des "fainéants" : le travail fait par chacun, l’obligation d’inventer des méthodes et des moyens alors que le ministère n’avait rien prévu - on s’en souvient, Blanquer disait "tout est prêt" dès qu’on lui tendait un micro, il doit sans doute appeler ça "faire son travail" - toute cette épreuve depuis la mi-mars jusqu’à juin a fait prendre conscience du travail et des difficultés des professeurs.

Le confinement, et plus généralement la gestion de la crise sanitaire, ont aussi eu des effets délétères sur l’état d’esprit global des plus précaires : le recours systématique à l’expertise et à l’argument d’autorité, l’ignorance largement entretenue d’une partie importante des classes populaires sur la pratique scientifique et les connaissances scientifiques en général, tout cela permet de mesurer ce que l’école publique a raté ces dernières décennies. Mais le "projet" de la bourgeoisie macronienne s’accommode très bien de cette ignorance et de ses effets destructeurs de la vie sociale ordinaire. Loin d’être apolitique, l’ignorance est en réalité une arme de longue durée, patiemment construite par des années de destruction larvée de l’école publique, à qui désormais il s’agit de porter le coup final pour en finir avec la gratuité et l’accès de tous et toutes au savoir.

La réforme du lycée professionnel et l’alignement des enseignements sur les besoins précis des entreprises à proximité des lycées apparait comme la perspective que Blanquer veut ouvrir à tous les établissements scolaires. Il s’agit donc de réduire l’enseignement à une formation professionnelle stricte, en faisant l’économie des cours à visée plus générale, qu’il s’agisse de l’histoire-géographie, des SES, du français ou de la philosophie. En SES, les programmes refondus suite à la réforme du bac ont par exemple supprimé une partie de l’enseignement macro-économique pour ne travailler qu’à l’échelle des entreprises. Certains thèmes ont disparu, comme le chômage. Et comme l’ont fait connaître les Stylos rouges du 93, les cours de SES sont aussi un moyen pour les entreprises françaises de se faire valoir et de préparer les élèves à l’ordre économique plutôt qu’à sa critique.

Ces contrats ponctuels constituent autant de passe-droits pour les entreprises privées, et rendent l’éducation nationale de plus en plus poreuse à des intérêts économiques pressants pour lesquels l’exercice de l’esprit critique et la connaissance du passé n’ont aucune valeur. Le "sanctuaire" est ainsi en train de se transformer en citadelle assiégée par les intérêts privés. Depuis plusieurs années, autour de l’école ont pullulé les entreprises privées de "service scolaire", profitant du fait que l’Etat refuse de considérer les difficultés des personnels et d’augmenter le nombre des profs et habituant tout le monde à payer pour avoir droit à un enseignement. L’inégalité de revenus se métamorphose ainsi en inégalité d’accès au savoir et la domination réelle se renforce de la domination par le savoir, entre ceux qui savent et ont droit à la parole et ceux qui ne sauront rien et n’auront plus qu’à se taire.

Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’apprendre les "recettes algorithmiques nécessaires à un emploi" comme le voudrait Blanquer, mais de donner accès à la connaissance du passé des sociétés, aux problèmes qu’elles ont rencontrés, aux solutions qu’elles ont trouvées et à celles qu’on peut encore trouver aujourd’hui à nos propres problèmes : il s’agit de donner à tous la conscience d’une temporalité sociale, la conscience d’une histoire et la compréhension du rôle de l’activité humaine dans cette histoire. Mais dans le rêve qu’espère réaliser la bourgeoisie, le temps est écrasé par la course folle des marchés, l’histoire est finie et la société achève sa réification dans la domination la plus complète. Avoir, en lieu et place de l’école publique, un marché des formations est une pièce maîtresse de ce projet : c’est là le mandat de Blanquer et ce qui le met à l’abri des turbulences.


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