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Cheminots, usagers, même combat pour le service public – Partie 6

SNCF. Un travailleur handicapé muté à 170 km de chez lui pour avoir nettoyé et aménagé son poste de travail

En dehors des représentants du personnel, la SNCF semble vouloir se débarrasser aussi de ses agents malades ou ayant une reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH), c’est-à-dire « moins productifs ». Hichame, cheminot dans le sud-ouest, était menacé de licenciement pour avoir nettoyé et aménagé son poste de travail pour l’adapter à son handicap. Dans le cadre de la campagne sur les conséquences de la réforme ferroviaire et la situation à la SNCF aujourd’hui, Éric Bezou, qui a défendu nombre de ses collègues en difficulté pour des raisons semblables, dont Hichame récemment lors de son conseil de discipline, répond aux questions de Révolution Permanente.

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Révolution Permanente : Bonjour Éric, tu as défendu Hichame, qu’en est-il ?

Éric : Hichame a écrit de nombreux courriers ces dernières années pour dénoncer les discriminations et mesures vexatoires qu’il subit. J’ai rarement vu autant d’échanges sur le sujet et sans que l’entreprise n’apporte des réponses satisfaisantes. D’après lui, il aurait subi une double discrimination : pour raison de santé de par son statut RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé), mais aussi pour appartenance ethnique, ce qui est loin d’être rare dans l’entreprise qui n’a embauché des personnes issues de l’immigration qu’à partir des années 2000 et encore, pas en province, mais plus en Île-de-France suite au dispositif « emploi jeune » de Mitterrand.

RP : L’entreprise l’a accusé d’avoir nettoyé et aménagé son poste de travail et a demandé son licenciement, comment s’est passé le conseil de discipline ?

Eric : C’était très tendu. J’ai commencé par planter le décor des échanges de courrier et de la discrimination. Par exemple, on lui a refusé un déroulement de carrière en 2018, sans qu’il soit possible de savoir ce qui avait motivé cette décision (c’est pourtant une obligation réglementaire), ni surtout QUI avait pris cette décision puisque malgré les demandes écrites d’Hichame, il lui a été impossible de savoir qui était son responsable hiérarchique à l’époque… Bref, une suite de situations anormales et vexatoires.
J’ai essayé de développer au mieux, mais ensuite, le jury, côté direction, a multiplié les questions visant à démontrer que les faits étaient gravement fautifs en termes de sécurité du personnel (refixer un extincteur et percer une armoire pour y brancher une cafetière, ce n’est pourtant pas grand-chose). Il me semble avoir fini par convaincre, au bout d’une heure de questions nourries et orientées en sa défaveur par le jury, en expliquant que ce sont les conséquences de plusieurs années de discrimination qui ont poussé Hichame à vouloir à tout prix se revaloriser, à reconquérir l’estime de sa hiérarchie, en mettant son lieu de travail à un niveau de propreté et de présentation impeccable quitte à outrepasser ses prérogatives. Mais l’entreprise ne dit rien sur le fait qu’il a aménagé lui-même son poste en fonction de son handicap, au passage. Par exemple, il a déplacé l’imprimante qui était posée au sol (en achetant lui-même la rallonge électrique) car il ne lui est pas possible de se mettre à genoux à chaque impression…
Le licenciement a donc été évité, et il n’était pas du tout gagné que les représentants de la direction, qui avaient visiblement envie de le radier, se laissent finalement convaincre par mes arguments. Mais Hichame n’est pas encore sauvé, puisque la sanction qui lui est maintenant infligée c’est la mutation disciplinaire. En somme, il faut qu’il choisisse entre son emploi et sa famille puisque son épouse est en CDI et qu’il est déplacé à 170 km de chez lui !
Hichame a suivi une procédure réglementaire en effectuant « une demande d’abaissement de sanction », que nous reproduisons ci-dessous, et il a 10 jours pour dire s’il accepte ou pas sa mutation (s’il refuse, c’est le licenciement), alors qu’il n’a aucun élément concret sur le futur poste qui lui est imposé. Comment rendre un avis éclairé dans ces circonstances ? Comment prendre une telle décision ?

RP : Tu as défendu nombre de tes collègues RQTH, ou en longue maladie. Que peux-tu tirer comme conclusions de cette expérience ?

Éric : En effet, j’ai pu constater à plusieurs reprises la volonté de l’entreprise de rompre les contrats d’agents ayant un peu trop d’arrêts maladie à son goût et même un peu trop d’accidents du travail. Certains ont été convoqués, durant leur arrêt maladie pour négocier une rupture…
En 2018, sur la région SNCF de Paris Saint-Lazare, j’ai assisté deux collègues RQTH en procédure de licenciement et qui ont d’ailleurs été licenciés. Ils étaient sans poste depuis des années (2012 pour les deux agents), envoyés de mission en mission sans que l’entreprise ne se soucie réellement d’eux, et quand ils ont fait l’erreur de craquer, même de manière très minime, l’entreprise est tout de suite passée sur une procédure disciplinaire pour se débarrasser d’eux.
L’un d’eux, par exemple, a été convoqué à deux entretiens disciplinaires coup sur coup, sans que des faits réellement fautifs ne soient établis (retards dus à des suppressions de train avérées) et il a tapé du plat de la main sur le bureau en disant : « j’en ai marre de vos mensonges !!! ». Licencié.
D’un côté la SNCF signe un accord d’entreprise « favorisant l’emploi des travailleurs handicapés » et de l’autre elle licencie ces agents encombrants car il faut les reclasser et/ou aménager leur poste. Pour d’autres collègues RQTH sans poste non plus, on leur explique qu’ils ne doivent pas demander un temps partiel car ils ne trouveront pas de poste (un accord d’entreprise sur les temps partiels existe aussi pourtant). Mais ces agents, atteints de pathologies lourdes ne peuvent pas physiquement travailler à temps plein, alors quelle solution pour eux ?
En réalité, comme à France Télécom, où les « low performers » étaient poussés dehors, la SNCF tente de pousser à la démission, ou de négocier au mieux pour elle des ruptures de contrat, ou bien de licencier disciplinairement pour éviter de réaménager les postes, beaucoup d’agents ayant des problèmes de santé ce qui coûte cher. Certainement, aussi, parce que statistiquement ces agents ont plus d’arrêts maladie et plus de risque d’être inaptes avec des obligations de reclassement coûteuses également du point de vue de l’entreprise. Et ceci, en plus des pressions exercées pour dégoutter les agents au statut, pour qu’ils finissent par partir d’eux-mêmes, « par la porte ou par la fenêtre ».
Déjà, pour Hichame, la direction doit revoir sa position car en réalité il ne mérite aucune sanction ! Puis, avec le passage en force de la réforme ferroviaire et les énormes transformations en cours au sein de l’entreprise, cette situation va malheureusement s’aggraver encore plus dans les années à venir. La question aujourd’hui est de s’organiser et lutter pour y faire face, on ne peut pas permettre que nos collègues se fassent licencier ou muter, cela brise des vies et des familles !

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