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Discours mémoriel et impérialisme français

Rwanda : le discours mémoriel de Macron au service des intérêts économiques de la France

Le discours de Macron sur la « responsabilité de la France » dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 est une tentative tiède de clore le débat sur le rôle de l’État français dans les crimes racistes et coloniaux en Afrique. Si cette politique mémorielle favorise les intérêts économiques au Rwanda en consolidant les relations diplomatiques avec le président rwandais Paul Kagamé, elle laisse un goût amer aux associations de victimes du génocide.

Ariane Anemoyannis

27 mai 2021

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En 1994, au Rwanda, le régime Hutu met en pratique son projet de génocide des Tutsi. Pendant plusieurs mois, les milices Hutus, encadrées et guidées par l’armée et l’État rwandais, massacre près d’un million de personnes, en immense majorité des Tutsi. L’État français, alors sous la direction de Mitterand, est au courant du projet génocidaire des partisans du président allié Habyarimana dès 1993, mais n’intervient pas. Au contraire, à la veille du génocide, il continue à vendre des armes et à former les militaires rwandais. Après les massacres, il aide des responsables du génocide à fuir le pays. Le rôle de l’État français dans le génocide a été pointé du doigt par de nombreux rapports mais a toujours été minimisé voire nié par les gouvernements successifs.

Satisfaction du président rwandais, amertume des associations de victimes

Quelques semaines après la publication de deux rapports sur le rôle de l’État français dans le génocide des Tutsis en 1994, le président français a tenu à mettre les points sur les I pour contenter son allié dans la région d’Afrique central, parlant de « responsabilités » et invoquant le « pardon » des populations meurtries.

Des termes qui satisfont Paul Kagamé, visiblement enthousiaste de ce discours : « Cette visite parle du futur, pas du passé (…). Il y a une familiarité particulière qui résulte de la terrible et complexe histoire que nous partageons, pour le meilleur et pour le pire. Nous souhaitons créer une relation forte et durable, fondée sur des priorités qui comptent pour nous deux, France et Rwanda ».

Ces derniers mois, les rendez-vous entre les deux chefs d’Etat s’étaient multipliés, réchauffant des relations extrêmement tendues entre Paris et Kigali malgré le discours de Nicolas Sarkozy en février 2010 où il avait reconnu « de graves erreurs » et « une forme d’aveuglement ».

En mars 2021, le rapport Duclert avait conclu à des « « responsabilités lourdes et accablantes » » de la France. Des conclusions auxquelles le président rwandais avait indiqué pouvoir « s’accomoder » malgré que les modalités d’élaboration dudit rapport soient particulièrement controversées.

En effet, de nombreuses associations avaient alors pointé l’absence de spécialistes du Rwanda parmi les chercheurs et le fait que les conclusions aient été superficielles s’agissant des évènements ayant particulièrement impliqué l’Etat français. L’association Survie soulignaient ainsi : « les aspects les plus controversés de la présence française au Rwanda sont occultés, comme le rôle éventuel joué par des militaires ou des mercenaires français dans l’attentat du 6 avril 1994 et dans la défense de Kigali entre avril et juillet 1994, les raisons de la présence officieuse de soldats français pendant le génocide, les livraisons d’armes pendant le génocide, l’ordre donné de réarmer les auteurs du génocide une fois ceux-ci passés au Zaïre, ou encore le soutien apporté par les autorités françaises au projet de reconquête du Rwanda par le régime génocidaire ».

Les chefs d’État semblent toutefois sceller leur nouvelle idylle, Macron ayant même tweeté la veille de son départ pour Kigali que « au cours des prochaines heures, nous allons écrire ensemble une page nouvelle de notre relation avec le Rwanda et l’Afrique ».

Mais du côté des associations de victimes et des rescapés du génocide le plus meurtrier en cent jours, le compte n’y est pas. « Les rescapés auraient apprécié que le président français (…) puisse présenter des excuses. (...) Je pense que ça ne suffit pas, il fallait avoir le courage d’aller jusqu’au bout » a ainsi indiqué Alain Gauthier, cofondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). « On s’attendait à ce qu’il présente clairement des excuses au nom de l’Etat français. Il ne l’a pas fait. Même demander pardon, il ne l’a pas fait » a quant à lui regretté Egide Nkuranga, le président d’Ibuka.

Une politique mémorielle timorée pour répondre aux critiques sur l’impérialisme français en Afrique

Une frustration de la demi-mesure qui se comprend lorsqu’on dézoome des mots-clés prononcés par Emmanuel Macron et repris dans la presse dominante. « Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n’avaient pas le visage de la France » a-t-il ainsi tenu à préciser, soulignant ainsi que la France « n’a pas été complice ». « Le président a utilisé des mots très calibrés pour dédouaner la diplomatie, l’armée, les politiques français, il a réfuté les accusations de complicité et est resté flou sur les agissements inavouables de la France », a ainsi analysé le chercheur François Graner.

Une rhétorique de Macron qu’il a déjà employé s’agissant de la colonisation de l’Algérie, la qualifiant de « crime contre l’humanité » lorsqu’il était candidat à la présidentielle de 2017 puis refusant une fois président de formuler explicitement la responsabilité centrale de l’Etat français dans la colonisation et les crimes coloniaux en Algérie.

Si Macron s’exerce à la politique mémorielle depuis le début de son quinquennat, c’est parce que les critiques sur l’impérialisme français en Afrique se sont multipliées, y compris parmi la jeunesse en France qui se politise aux travers des questions anti-racistes et décoloniales. En particulier, la dénonciation de la colonisation et du pillage encore actuel de l’Algérie sont au cœur du soulèvement populaire algérien qui se poursuit depuis 2019.

Pour clore le débat sur le rôle de l’Etat français, le président joue ainsi un jeu d’équilibriste entre mea-culpa en demi-teinte et négation de l’impérialisme français, s’engouffrant dans la critique réactionnaire du décolonialisme en agitant l’idée que la colonisation serait instrumentalisée par certaines franges de la population qui revisiteraient alors « leur identité par un discours post-colonial ou anticolonial » et développerait une « forme de haine de soi que la République devrait nourrir elle-même ».

Derrière les discours mémoriels, les intérêts économiques de la France en ligne de mire

Mais cette politique mémorielle a aussi vocation à réaffirmer l’impérialisme français en Afrique alors qu’il est largement destabilisé par les mouvements populaires, en Algérie, au Sénégal ou encore récemment au Tchad. En effet, le nouvel allié de la France en Afrique centrale n’est en rien le produit du hasard ou d’une sensibilité particulière d’Emmanuel Macron quant au génocide des Tutsis.

Avec lui en déplacement pour le prouver, une dizaine d’entreprises françaises triées sur le volet et chargée d’étudier les possibilités d’investissement au Rwanda, aidée du directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux.

« « Le Rwanda a eu des performances remarquables ces dernières années et peut être considéré comme une plate-forme potentielle de rayonnement économique dans la région », revendique ainsi une source diplomatique au Monde. Après des tensions diplomatiques, la France a entamé un processus de réconciliation en 2019 en signant deux accords financiers avec le Rwanda, chose inédite depuis trente ans. D’une part la France a octroyé 40 millions d’euros à l’Etat rwandais pour aider à la lutte contre le Covid, et d’autre part elle a versé près de 6 millions d’euros pour faire la promotion du français dans les écoles.

Des dons qui viennent accompagner l’installation de grands groupes capitalistes français comme le groupe Bolloré venu en visite avec l’ex-président Nicolas Sarkozy en 2019 ou encore la Banque Publique d’Investissement. Ainsi, c’est Vivendi qui a ouvert un complexe culturel près de Kigali, puis GVA qui s’est installée en grande pompe au Rwanda.

Des intérêts économiques et géopolitiques non négligeables pour la France, qui passent donc par le rapprochement diplomatique avec le pouvoir rwandais. Et si ce dernier semble satisfait du discours mémoriel de Macron ce jeudi, c’est parce qu’il a été calibré au terme de nombreuses visites et permet d’ouvrir plus sérieusement des relations économiques qui n’auraient pas été acceptables pour la population sans cette déclaration d’intérêt de l’État français concernant le génocide de 1994.


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