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Bloquons Blanquer

Retour sur la grève du bac et rétentions des copies : un mouvement inédit chez les enseignants !

Le mouvement de grève des enseignants le jour du bac et pour faire dérailler le bac marque un tournant dans la radicalité et la mobilisation d'un secteur moribond depuis la défaite de 2003 lors de la bataille des retraites. Une nouvelle génération d'enseignants a relevé la tête et, en représentant seulement 0,24% du corps de métier, a réussi à bloquer 27% des candidats du bac, poussant Blanquer dans ses retranchements.

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Retour sur une année mouvementée

L’année scolaire 2018-2019 a été mouvementée a plus d’un titre. Tout d’abord, parce que c’est la première année après Parcoursup et le désastre qu’il a provoqué en terme de sélection sociale. C’est ensuite une année marquée par la mise en place de la réforme du bac, du lycée et de la loi sur l’école de la confiance, une triple offensive menée au pas de charge et sans concertation. Ces bouleversements n’ont pas mobilisé massivement les collègues mais ils ont suscité de graves inquiétudes et ont provoqué de vives tensions dans les équipes. La mise en place des réformes touchant le lycée ayant pour finalité de réduire le nombre de postes, de nombreux profs ont senti que leur place était menacée et ont pris conscience de la gravité des projets de Blanquer.

L’année scolaire qui vient de s’écouler est aussi une année qui aura vu deux mouvements enseignants hors syndicats faire la une de la presse et un mouvement lycéen secouer le mois de décembre dans la foulée des scènes quasi-insurrectionnelles de l’Arc-de-triomphe le 1er décembre. En octobre, pendant les vacances de la Toussaint, le #Pasdevague révèle les conditions d’accueil déplorables dans lesquelles les élèves des quartiers populaires sont plongés et la détresse des enseignants qui sont dans ces établissements. En décembre, le mouvement des stylos rouges montre une colère latente dans l’Éducation nationale. Le mouvement connaît une forte audience sur internet mais peine à se structurer sur le terrain. Il mobilise toutefois des enseignants déterminés dont certains n’ont jamais eu d’expérience syndicale auparavant. C’est aussi une année où la répression contre les élèves a été forte. L’épisode de Mantes-la-Jolie a marqué les esprits tandis que l’instauration du SNU (Service national universel) semble être une ultime mesure de mise au pas de la jeunesse.

Blocage du bac : un 17 juin radical

Après de nombreuses journées d’action, de grèves et de mobilisations sans lendemain et une certaine pression de la base, consécutive au flot de réformes que Blanquer veut imposer, les organisations syndicales, presque à l’unanimité, ont appelé à faire grève le premier jour du bac. C’est un appel qui n’avait pas eu lieu depuis 2003, dernière année de forte mobilisation dans l’Éducation nationale. Plus ou moins suivie dans les établissements et selon les académie, la journée de mobilisation n’a pas réussi à bloquer le bac. Mais elle a réussi à mobiliser les collègues, notamment en Ile-de-France et dans l’académie de Toulouse où les AG étaient fournies et donnaient l’impression que quelque chose était enfin en train de se passer. Le ministère avait toutefois anticipé le mouvement et avait prévu des renforts pour éviter que le bac ne déraille dès le premier jour. Néanmoins, les médias ont enfin parlé des critiques que les enseignants adressent à la politique du ministre et l’image de Blanquer, encore épargnée dans l’opinion publique, a commencé à vaciller.

Blocage des notes et « prise d’otage » des copies

Pour promulguer les résultats du bac, il faut que les notes données aux copies des candidats soient rentrées dans le logiciel Lotanet et que les copies soient restituées dans les centres de jurys ou dans les rectorats. Or, lors des commissions d’harmonisation qui se déroulent pendant la période de correction des copies, de nombreuses AG ont eu lieu dans les différentes matières pour poser la question de la rétention des notes et des copies. Une idée qu’on voit fleurir quasiment tous les ans dans ces commissions, mais cette fois-ci elle a été prise au sérieux et de nombreuses disciplines se sont engagées à bloquer les notes. Trois options étaient sur la table : ne pas faire grève et laisser le rouleau compresseur du gouvernement continuer son œuvre de destruction du service publique, ne faire que la grève des notes en ne les rentrant pas dans le logiciel mais aller aux jurys de délibération du baccalauréat ou bien faire la grève des notes et des copies en bloquant les jurys du bac.

Ces actions prévues ont fait l’objet d’une campagne d’intimidation sans précédent de la part de Blanquer. Il menaçait d’enlever deux semaines de salaires aux enseignants, sans prendre en compte la correction des copies. Il a aussi menacé de sanctions disciplinaires les enseignants grévistes allant à l’encontre des prérogatives d’un ministre contre une action couverte par un droit de grève. Même si les profs grévistes le jour de la restitution des copies n’étaient pas nombreux (moins de 1%), Blanquer a dû se rendre en urgence sur BFM-TV pour annoncer que les résultats du bac auraient lieu le vendredi 5 juillet sans faute. L’intransigeance du ministre a été à l’origine de sa perte. En déclarant cela, Blanquer a aussi incité les jurys devant se tenir le jeudi 4 juillet à remplacer les notes manquantes par la note du livret scolaire, soit celle du contrôle continu. Ainsi, le bac perdait sa valeur d’examen national et identique pour tous. De nombreux collègues ont été choqués par cette décision et par la rupture d’égalité qu’elle entraîne.

Jeudi 5 juillet : des jurys en furie

Le jeudi 5 juillet, de très nombreux jurys et centres de délibération ont été perturbés au bon sens du terme par la rétention des notes. Des enseignants ont lu et fait voter une motion refusant de remplacer la note de l’examen du bac par celle du contrôle continu, des enseignants ont quitté leur jurys en voyant qu’on rompait l’égalité entre candidats, des enseignants se sont réunis en AG dans leur centre d’examen (à Toulouse par exemple). Des chefs de centre ont eu des attitudes très autoritaires et ont menacé les collègues de sanctions s’ils refusaient de faire leur travail. En bref, une ligne de fracture s’est opérée chez les profs et une polarisation s’est effectuée entre ceux qui refusent les réformes Blanquer et les autres passifs ou complices. En ce sens, l’action de retenir les notes et les copies a eu le mérite de faire se positionner de manière forte la profession et a montré la réussite et l’impact de l’action.

L’autre point important de cette journée est que de nombreux jurys ont commis des fautes et irrégularités très graves dans l’attribution des notes du bac : falsification des notes, inventions arbitraires de moyenne... les témoignages de sortie de route sont très nombreux et ont décrédibilisé l’action de Blanquer. Un chef d’établissement de l’académie de Créteil a témoigné de degré de stress dans lequel les ordres du ministères l’on plongé et comment son éthique professionnelle a été bafouée lors de cette démarche : « J’ai tout donné, sans réfléchir. "Sans réfléchir", c’est vraiment ça. Ce n’est que le soir, en rentrant chez moi que j’ai commencé à réaliser ce que je venais de faire. Depuis, je me refais le film de la journée, je prends conscience. On est face à un réel problème démocratique : un ministre, sans aucune concertation, a décidé seul de changer les règles. En tant que fonctionnaire, je dois obéir aux ordres, sauf quand l’ordre est manifestement illégal. Or la question se pose : changer le fonctionnement du bac en cours de route, et appliquer des règles différentes selon les élèves… Est-ce légal ? ». L’intransigeance du ministre à publier les résultats le 5 juillet s’est ici retournée contre lui : pour de nombreux collègues, il est clair maintenant que Blanquer préfère un bac truqué à un bac honnête.

Sur le plan subjectif, les enseignants qui ont participé à ce mouvement ont le sentiment d’avoir remporté une victoire contre Blanquer. Même si ce dernier reste au commande et qu’il fera appliquer ses réformes dès la rentrée, sa victoire est en demi-teinte. L’obstination déraisonnable du ministre à vouloir réformer sans concerter alors même qu’il se présente comme le premier avocat des professeurs et son passage en force pour le bac ont suscité un élan de solidarité avec les grévistes et l’on mis en bute à une opposition profonde dans le secteur éducatif. Plutôt que de reculer la date des résultats du bac et d’en faire porter toute la responsabilité aux grévistes en jouant de sa communication pour diaboliser les « preneurs d’otages », Blanquer s’est tiré une balle dans le pied en incitant à falsifier le bac.

Sur la base de cette perte de crédit du ministre de l’éducation, les enseignants ont tout intérêt à poursuivre leur mouvement dès septembre. La rhétorique des élèves « pris en otage », comme le répétait encore Macron dimanche dernier, même si elle est forte, n’est pas toute puissante. Une véritable faille dans le dispositif du gouvernement vient de s’ouvrir à l’image de la secousse que le mouvement des Gilets jaunes a provoquée. Il y a fort à parier que les AG et les débuts d’auto-organisation qui ont vu le jour en ces journées de fin d’années laissent des traces et des réflexes parmi les profs mobilisés en vu d’une extension de la contestation envers leurs collègues.


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