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Marche des Fiertés 2015

Reprenons le drapeau de Stonewall !

Alice Leiris Peu importe finalement pourquoi la police est intervenue au Stonewall Inn le soir du 28 juin 1969. Peut-être parce qu'elle trouvait que les 2000 dollars de pot-de-vin que la mafia du bar lui versait par semaine n'étaient plus suffisants, ou que le bar violait trop ostensiblement la loi, ou peut-être parce que les élections municipales approchaient. Ce qui est sûr, c'est qu'elle ne s'attendait pas à ce que cette descente routinière sur un des bars de la communauté LGBTI de New York tourne en émeute et devienne l'élément déclencheur du mouvement de libération des LGBTI.

19 juin 2015

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Lorsque la police débarquait dans un bar LGBTI, la routine était de séparer les individus en groupes sur le trottoir : « pédés par ici, gouines par là, anormaux vers là-bas (pour désigner les trans) ». Elle s’acharnait tout particulièrement sur les trans, car si, par exemple, une femme trans portait moins de trois habits jugés masculins, elle pouvait être directement emmenée au poste.

Une fois le contrôle des papiers effectué et le pot-de-vin encaissé, les personnes devaient se disperser. Mais cette nuit de 1969, une lesbienne qui se débattait avec les policiers s’est adressée à la foule en disant : « pourquoi vous ne faites rien ? » Fallait-il continuer de vivre les humiliations quotidiennes de la part de la police, ou fallait-il riposter ?C’est alors que les personnes présentesont commencé à lancer des pièces de monnaie aux forces de l’ordre, des bouteilles et ensuite des cocktails molotov improvisés. Face à une foule grandissante qui provenait des autres bars du quartier, les forces de l’ordre ont fait appel à la police anti-émeute qui a dû faire face à une résistance acharnée de la part des présent-e-s. Selon les mots de Sylvia Riviera, ayant participé aux affrontements, « on était déterminées ce soir à nous libérer » [1].

A la fin des années 60, la société était politisée et polarisée par le mouvement des droits civiques, le mouvement contre la guerre au Vietnam ou le mouvement des femmes, et plusieurs des présent-e-s s’y étaient par ailleurs déjà investi-e-s. Or malgré leur participation, les LGBTI restaient marginalisés en leur sein. Dans cette mobilisation, en quelque sorte, ils et elles n’avaient rien à perdre car ils n’avaient aucun droit, ni voix au chapitre.

Après une nuit d’émeutes, les manifestants et manifestantes sont revenus encore plus nombreux, les premiers tracts commençaient à circuler exigeant l’expulsion de la police et de la mafia des bars de la communauté. Quelques jours après, le Gay Liberation Front était créé, en rupture avec la politique dominante au sein de la communauté qui défendait une culture homosexuelle « respectable », faite d’hommes virils et de femmes féminines. Cette sensibilité, organisée autour de la Mattachine Society par un ancien membre du Parti Communiste, voyait d’un très mauvais œil les drags queens et les trans qui se révoltaient à Stonewall et qui ne rentraient pas dans leur définition de gays « respectables » et surtout discrets. Pour ces dernières notamment, qui ont été aux premières lignes lors des affrontements avec la police, il ne s’agissait plus de se cacher et surtout pas de négocier auprès des parlementaires quelques concessions, mais de revendiquer haut et fort leur droit à l’existence. C’est en cela que Stonewall était une rupture, un moment fondateur de notre mouvement, car il posait l’idée que pour obtenir des nouveaux droits il fallait d’abord s’organiser et lutter. La suite de l’histoire du mouvement LGBTI est celle de sa cooptation par les partis institutionnels et d’un changement radical de stratégie, mais cela est une autre histoire.

Abigail Bakan, historienne féministe, dit que dans la tradition marxiste il y a sans cesse des références aux « moments fondateurs » (Commune de Paris de 1871, Révolution russe de 1917, etc.), tandis que dans le mouvement féministe et LGBTI domine une vision en « vagues ». Mais ce que veulent aujourd’hui les dominants c’est de nous faire oublier que pour les luttes LGBTI les « moments fondateurs » ont aussi existé comme à Stonewall aux États-Unis, et que parfois même les moments fondateurs du marxisme ont aussi été des « moments » de notre émancipation.

En France, le gouvernement du Parti Socialiste a cédé sur certaines revendications, sans pour autant avancer sur le reste (PMA, droit des trans, etc). Malheureusement, certaines organisations collaborent à cette farce, contribuant à l’idée que l’on n’a pas besoin de s’organiser et de lutter pour obtenir des nouveaux droits. Alors que la Marche des fiertés ressemble de plus en plus à une deuxième Techno Parade, qu’elle est progressivement vidée de son contenu politique et qu’elle est de plus en plus commercialisée, il faut reprendre le drapeau de Stonewall. Cela veut dire défendre, entre autres choses, l’indépendance politique de notre mouvement vis-à-vis du gouvernement, d’autant plus qu’il s’agit d’un gouvernement qui reprend avec la main droite ce qu’il cède avec la main gauche, et qui expulse et réprime les réfugié-e-s de la Chapelle.

19/06/2015


[1Propos rapportés par Sylvia Riviera, militante trans d’origine portoricaine, présente lors des émeutes, lors de son discours à la Latino Gay Men of New York.



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