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Documentaire “Sexe sans consentement”

Quelle place pour le plaisir féminin dans la société capitaliste et patriarcale ?

En 2018, France 2 diffusait un documentaire, "Sexe sans consentement", à propos de ce moment où un rapport sexuel n’est plus vraiment un acte consenti mais pas non plus une agression. Le documentaire donne à réfléchir sur les violences faites aux femmes, mais aussi sur la libération et le plaisir sexuel dans la société capitaliste et patriarcale.

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 Crédit illustration : Metra Mitchell, Beyond the Pleasure Principle 

En 2018, France 2 diffusait un documentaire, Sexe sans consentement, pour parler de la “zone grise”, une expression qui désigne le moment où un rapport sexuel n’est plus vraiment un acte consenti mais pas non plus une agression. À partir du témoignage de six femmes victimes d’agressions sexuelles, les réalisatrices souhaitent montrer ces moments où les femmes cèdent mais ne consentent pas. “Depuis toujours, il arrive aux jeunes femmes de ne pas consentir à des rapports sexuels et d’y céder malgré tout”, décrit la voix-off au tout début du documentaire : “Où se trouve, alors, la limite avec le consentement, la limite avec le malentendu, la limite avec le viol ?”. En partant du consentement sexuel, le documentaire donne à réfléchir sur des questions centrales dans le débat sur les violences faites aux femmes mais aussi sur la libération et le plaisir sexuel dans la société capitaliste-patriarcale.

Viols et féminicides, maillon le plus brutal de la chaîne de la violence patriarcale

Selon les estimations, 1 fille sur 5 a déjà été violée et 86% des Françaises ont, au moins une fois dans leur vie, été victimes d’une agression sexuelle dans la rue. Dans les mobilisations actuelles au Chili, plusieurs femmes ont été victimes d’agressions sexuelles par l’armée qui réprime violemment le peuple Chilien et dans l’État Espagnol, récemment, six gendarmes ont été incarcérés deux ans après leur condamnation suite au viol collectif d’une jeune fille. L’histoire des six femmes du documentaire témoignent de la réalité de nombreuses femmes et jeunes filles qui ont des relations sexuelles alors qu’ elles n’en ont pas forcement envie. Leurs témoignages se ressemblent, ce qui prouve que l’apparente singularité de leurs expériences traduit un caractère structurel. Les agressions sexuelles ne peuvent pas être considérées comme des cas isolés originaires d’une pathologie ou d’un seul individu, elles sont le produit du patriarcat. Les viols, les agressions et les abus sexuels ainsi que les féminicides, constituent la partie la plus brutale et visible de l’iceberg des violences faites aux femmes.

Parmi les six femmes qui témoignent aucune d’entre elles n’a porté plainte. En France, une femme sur huit décide de le faire et quand elle s’y décide, elle doit faire face au supplice des interrogatoires de police ou à la stigmatisation. Dès qu’une agression comme celle de la Meute dans l’État Espagnol prend de l’ampleur médiatique, de nombreuses personnes exigent des peines plus dures dans le Code Pénal. Face à cela, l’accompagnement des victimes doit permettre l’ouverture d’une réflexion sur la stratégie adéquate à adopter afin de ne pas tomber dans le punitivisme, qui montre déjà son inefficacité. L’anthropologue Rita Segato, suite à des recherches sur les système pénitencier, arrive à la conclusion que les prisons sont de véritables “écoles de violeurs” et que les pays qui renforcent leur code pénal ne font pas diminuer les délits sexuels. Alors que les débats sur les agressions sexuelles prennent de plus en plus d’ampleur dans le mouvement féministe depuis plusieurs décennies, le féminisme majoritaire depuis les années 1980, prône la création de nouveaux droits dans le cadre de “l‘État démocratique” qui apparaît comme neutre et extérieur aux rapports de genre. Le renforcement des punitions individuelles gérées par l’État et le système judiciaire ne mettront pas fin à l’oppression des femmes et de plus, paradoxalement, rechercher la justice dans notre système limite la définition de la violence patriarcale, qui se réduit aux délits inclus dans le code pénal. Face aux viols et à l’ensemble des violences faites aux femmes, en prenant l’exemple des féministes dans l’État Espagnol qui ont passé deux ans de mobilisations pour exiger justice en dénonçant le système judiciaire patriarcal, la réflexion la plus importante qu’on puisse faire c’est de mettre en valeur la mobilisation et l’auto-organisation du mouvement des femmes, de manière indépendante de l’État capitaliste et patriarcal. L’objectif n’est alors pas de renforcer les institutions répressives de la société capitaliste et patriarcale, mais de les renverser : “Si tu touches à l’une d’entre nous, nous nous organiserons par milliers !” pouvait-on entendre dans les plus grandes villes de l’Etat espagnol.

Pour aller plus loin : L’agresseur, les hommes et le patriarcat

La Zone grise, produit d’une culture du viol qui empêche les femmes de se poser comme sujets sexuellement actifs

Pour creuser un peu plus la thématique de la zone grise developpée dans le documentaire et pour essayer d’expliquer quelle est sa signification, il faut d’abord analyser l’existence de la culture du viol massivement répandue dans notre société. L’industrie de la pornographie promeut le phallocentrisme, exalte la figure du macho dominant à la sexualité insatiable et la figure de la femme passive perçue comme un objet. Les médias et la publicité avec leur exploitation systématique des stéréotypes de genre au service du marché capitaliste, renforcent cette culture du viol : les femmes sont réduites à de beaux objets, à des corps à moitié nus, à simplement des seins et des fesses, pendant que les hommes sont incités à acheter des voitures, des boissons alcooliques ou toute sorte de produits censés renforcer leur virilité. Les corps et les fantaisies sexuelles se sont transformés en marchandises précieuses pour satisfaire la recherche illimitée de profit de l’industrie.

Une des revendications qui sort du documentaire est d’augmenter l’éducation sexuelle qui dans les “États démocratiques” européens reste anecdotique. Celle-ci est réservée aux écoles et son contenu se limite à donner des conseils sur la prévention des MST, à comment mettre un préservatif ou à expliquer le cycle reproductif. Aucune mention n’est faite de la sexualité LGBTI ou d’autres pratiques qui ne soient pas la pénétration vaginale. Il n’y a aucun cours sur la violence sexuelle ou sur le consentement. L’éducation sexuelle se fait donc souvent de manière autodidacte, à travers des discussions en famille ou entre amis ou souvent en apprenant avec ce que dicte la pornographie ou le cinéma.

Ce manque d’une éducation sexuelle approfondie s’accompagne d’une hypersexualisation de notre culture et des médias. Une série de recommandations implicites s’impose à travers les programmes TV, les magazines ou la publicité. Tout se vend et tout s’achète, depuis le corps d’une femme jusqu’aux longues listes de produits pharmaceutiques pour diminuer le dysfonctionnement érectile. Alors que la marchandisation sexuelle augmente, le manque de désir est paradoxalement une des raisons les plus fréquentes de consultation d’un médecin ou d’un psychologue. Dans un monde où le progrès technologique permet l’hyperconnexion globale, l’isolement conduit à avoir des relations de plus en plus éphémères, superficielles et utilitaires pour essayer de satisfaire le “vide interne” produit par l’aliénation de la vie quotidienne dans le capitalisme.

Dans une industrie du sexe façonnée pour les hommes, c’est le plaisir féminin qui est le plus exploité : tout est centré sur la performance des hommes qui, avec leur virilité dominante, leurs érections instantanées et leurs éjaculations tardives, cherchent à provoquer le “plaisir” de la femme. De même que pour le système capitaliste, le plaisir sexuel se pose dans une logique compétitive et performancielle : atteindre le plus d’orgasmes, dans le moindre temps pour prouver que tes rapports sexuels sont supérieurs. Mais cette éloge du “plaisir” rentre en contradiction avec la profonde insatisfaction sexuelle dont souffre l’humanité depuis plusieurs décennies. Qui prend plaisir dans ce modèle de rapports sexuels ? Quelle place pour des relations respectueuses centrées sur le partage ?

Le patriarcat produit non seulement les abus commis par les hommes mais empêche aussi les femmes de se considérer comme des sujets actifs sexuellement. Voilà une autre violence patriarcale qui touche en premier lieu les femmes mais qui en vrai fait souffrir l’ensemble de la société : le manque de liberté pour atteindre le plaisir en mettant au coeur de l’acte sexuel la découverte et l’exploration du désir dans le respect et le partage entre partenaires.

Sexe sans consentement, sans liberté, sans réflexion, produits de la société capitaliste-patriarcale

Les rapports sexuels, comme l’ensemble des rapports humains ne sont pas anhistoriques, ils sont le produit de la structure sociale qui découle du système productif de chaque époque. Alexandra Kollontai le décrivait bien dans plusieurs de ses oeuvres, les relations entre genres sont l’expression des relations sociales de production créées et entretenues par la morale et l’idéologie de la classe dominante qui définit la norme, c’est-à-dire ce qui est socialement permis et valorisé. La pratique sexuelle comme toute pratique humaine ne s’est donc pas réalisée de la même manière ni n’a pris la même signification au cours de l’histoire. Par exemple, dans l’Égypte antique, l’inceste était socialement permis et même valorisé parce qu’il permettait de maintenir la pureté de la dynastie régnante. De nos jours, la bourgeoisie essaye de limiter les pratiques sexuelles non-hétéronormatives puisqu’elles ne sont pas liées à l’utilité reproductive et ne permettent pas l’héritage de la propriété privée des familles bourgeoises. L’individualisme et le modèle de la famille nucléaire privatisent l’affection et instaurent un esprit de compétition inhérent au système capitaliste. On nous fait croire que l’amour s’acquiert avec la disposition pleine et exclusive de la personne que l’on aime, ce qui provoque une jalousie pathologique fatigante qui nous pousse à la méfiance constante vis-à-vis des autres personnes. Le néolibéralisme a rendu possible la marchandisation de toutes les sphères de la vie, en particulier du corps de la femme qui a comme seule utilité productive pour le capitalisme de générer de la valeur à travers le travail et l’exploitation sexuelle. La morale sexuelle actuelle montre les profondes contradictions idéologiques de la bourgeoisie : l’adultère se combine avec la figure du mariage solide ; la sexualité est un tabou alors qu’on attend des personnes qu’elles soient des expertes du sexe ; on parle d’amour, de liberté sexuelle et de plaisir dans une société où la majorité de la population est obligée de travailler jusqu’à la mort pour financer les privilèges d’une minorité de parasites capitalistes. Pour les révolutionnaires, l’amour libre est limité par le cadre capitaliste, la liberté ne peut pas être pensée pour une minorité. Pour pouvoir vraiment développer d’autres types de rapports sexuels, il faudrait créer les bases matérielles pour l’émancipation de l’ensemble de l’humanité.

Quelle place pour la sexualité dans les mouvements féministes ?

Une large frange du mouvement féministe insiste sur le danger de la sexualité masculine et sur la nécessité de se protéger face au risque d’agression. La sexualité masculine est donc conçue comme violente et prédatrice, antagoniste à celle des femmes, présentées comme des objets du désir d’autrui, ou comme des victimes, mais jamais comme des sujets actifs de leur propre sexualité. De l’autre côté, certaines féministes insistent sur le plaisir et le désir sexuel féminin, en ignorant et banalisant parfois la violence sexuelle qui découle de l’existence du patriarcat.

Pour les femmes, la sexualité apparaît comme un terrain à la fois d’auto-répression pour se protéger des risques mais aussi d’exploration, de plaisir et de découverte du désir. Se centrer uniquement sur le plaisir laisse de côté la structure patriarcale violente mais parler uniquement de violence et d’oppression sexuelle ignore l’expérience que les femmes peuvent avoir en temps que sujet sexuel actif, ce qui augmente inévitablement leur terreur et leur détresse sexuelle. Historiquement, les femmes ont souvent été divisées en deux groupes : les femmes correctes, qui se contrôlent et se protègent sexuellement, et les femmes déviantes, qui vivent leur sexualité sans contrôle et qui méritent d’être condamnées et violées aux yeux de la société. Les bonnes femmes se limitent sexuellement et contrôlent la sexualité masculine considérée comme irrépressible. Les effets du patriarcat sur la sexualité féminine ne s’expriment donc pas uniquement dans les agressions et les viols mais aussi dans la valorisation d’une sexualité limitée. La lutte contre l’oppression sexuelle ne doit donc pas se limiter à la dénonciation de la violence masculine, elle doit aussi être capable de combattre la répression de la sexualité féminine qui ne provient pas uniquement du danger mais aussi de l’ignorance et de l’intériorisation du patriarcat.

Dans le modèle sexuel véhiculé par la société, le plaisir masculin n’est pas non plus garanti. Le documentaire le montre, les hommes sont obsédés par la performance sexuelle défendue par la pornographie. Un dysfonctionnement érectile peut facilement devenir une tragédie, de laquelle le capitalisme pharmaceutique sait tirer profit à travers la vente de Viagra.

Les femmes sont poussées à se justifier et à normaliser les difficultés pour accéder à l’orgasme, on nous interdit d’explorer nos organes génitaux, de parler d’érotisme ouvertement ou de partager nos expériences de masturbation. La pression morale nous pousse à l’ignorance et à l’insécurité et nous éloigne de l’acceptation, la connaissance et l’amour de nos corps.

Mêmes si les mobilisations des dernières décennies ont permis de conquérir plus de libertés et de droits en matière de sexualité, l’exploitation capitaliste impose des restrictions matérielles immenses pour une sexualité plus libre. Les journées épuisantes, les maladies favorisées par le travail, les horaires décalés, le travail de nuit, les difficultés pour avoir un logement décent, les obstacles pour les jeunes précaires pour s’émanciper du foyer familial, conditionnent et limitent notre sexualité. L’exploitation capitaliste qui nous pousse à travailler dans la précarité avec des journées de travail interminables et jusqu’à la fin de nos vies, empêche toute découverte des plaisirs sur le terrain sexuel.

La lutte pour la libération sexuelle ne passe donc pas uniquement par la déconstruction individuelle, culpabilisante et frustrante, de conceptions ou de peurs sur la sexualité. Elle doit se faire dans le cadre d’une lutte contre le système capitaliste-patriarcal et ses violences à l’échelle internationale. Mettons fin aux oppressions sexuelles, aux violences, au silence et aux orgasmes simulés. Organisons-nous pour défendre une société émancipée où l’on pourra jouir du temps libre, nous toucher, nous connaître et prendre plaisir dans le respect des rapports sexuels libres.

Comme le disait le révolutionnaire russe Leon Trotsky qui s’imaginait le dépassement de la société capitaliste, le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, la femme et l’homme de la nouvelle société à venir édifieront librement leur sexualité pour accéder ainsi au plaisir et à la libération propres à une espèce humaine plus heureuse et émancipée. C’est pour cette liberté profonde que nous luttons parce que dans le communisme, “l’épanouissement de chacun sera la condition de l’épanouissement de tous”.


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